Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 5 décembre 2012 à 16h30
Commission des affaires européennes

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Au sujet du Mali, je précise que seuls le MNLA et Ansar Eddine ont participé à la rencontre organisée par le président Compaoré. Si une avancée politique permet d'éviter une situation de conflit, tant mieux. Du reste, cette initiative a été prise parce que l'Union européenne d'une part, le Conseil de sécurité de l'ONU d'autre part, avaient clairement montré la perspective vers laquelle nous nous dirigeons.

Notre politique au Sahel repose sur deux piliers : un objectif militaire, pour lutter contre le terrorisme, et un objectif de solution politique avec les groupes du Nord à condition que ceux-ci rejettent tout à la fois le terrorisme et l'idée d'une partition du Mali. Nous restons vigilants car ce n'est pas la première fois que ces groupes font les déclarations que vous mentionnez, Madame Poznanski-Benhamou.

Concernant le traité sur le commerce des armes, madame la présidente Auroi, la France a adopté une position très en pointe, comme je l'ai exposé lors de mon audition devant les commissions de la défense et des affaires étrangères sur les exportations d'armes. L'Assemblée générale des Nations unies s'est prononcée pour la tenue d'une conférence finale en 2013. Un accord en la matière est indispensable.

Comme vous le soulignez, les armes de petit calibre sont aujourd'hui celles qui tuent le plus de personnes. L'Union européenne est très active dans différents programmes visant à les contrôler et à les retirer des théâtres de crise. La France veillera à ce qu'elle continue de financer ces initiatives qui permettent le désarmement des milices, le retrait des armes et la démobilisation.

La question se pose tout particulièrement en Libye, où l'Europe de la défense a une opportunité de mener des actions de prévention à caractère civil. L'Union européenne, je le répète, dispose d'une panoplie de capacités complémentaires pour mener une action globale dans ce pays. Après les missions de diagnostic qui ont été menées, peut-être sera-t-il possible de mener une mission civile plus large afin que l'Union européenne soit plus active dans la gestion post-conflit. Le sujet, qui relève plus de la compétence du ministre des affaires étrangères que de la mienne, est d'actualité.

Oui, Monsieur Dumas, la cyberdéfense est un sujet majeur pour l'avenir. Nous apporterons notre contribution au centre d'excellence de cyberdéfense de l'OTAN de Tallin en y envoyant des officiers, dont un cadre juriste.

Pour en revenir aux questions, notamment celle de M. Fromion, portant sur l'articulation avec l'OTAN, l'idée du rapport Védrine est que, puisque nous sommes dans l'OTAN et que nous n'en sortons pas, nous devons y prendre notre place sans complexe et y afficher notre volonté européenne. C'est ce que nous faisons et allons faire. L'exemple de la cyberdéfense montre que l'on peut agir de manière européenne au sein de l'OTAN.

S'agissant des coopérations renforcées et de la coopération structurée permanente, nous sommes d'accord sur les concepts mais, en l'état actuel des positions des différents pays, l'adoption de ces formules ne permettrait pas d'aboutir. Là encore, il faut être pragmatique. La réunion de Weimar + a déjà demandé beaucoup de compréhension et de discussions, d'autant qu'il existait une certaine amertume à notre égard concernant les accords de Lancaster House, passés alors que d'autres initiatives existaient par ailleurs. Nous avons réuni Weimar + quelques jours seulement après l'exercice Corsican Lion. C'est à nous de dire à nos partenaires que nous travaillons avec les Britanniques dans le cadre de Lancaster House et que, parallèlement, nous nous engageons dans la construction progressive et pragmatique l'Europe de la défense. Les coopérations structurées sont une bonne réponse, mais elles sont aujourd'hui prématurées.

J'en viens aux questions sur la défense antimissile. L'accord intervenu à Chicago prend en compte notamment quatre points que nous avons fait valoir : premièrement, la défense antimissile ne remet pas en cause la dissuasion ; deuxièmement, les coûts doivent être maîtrisés sans extension du financement commun ; troisièmement, le contrôle politique des décisions doit être respecté ; quatrièmement, on ne s'interdit pas une coopération future avec la Russie.

Le concept de défense antimissile adopté au sommet de l'OTAN de Lisbonne a ajouté la notion de défense de territoire à celle de défense de théâtre, comme l'a dit M. Le Bris. Le système intérimaire mis en oeuvre aujourd'hui est essentiellement américain. Nous n'avons décidé de nous engager financièrement que sur le C2, c'est-à-dire le système de commandement et de contrôle. Nous avons indiqué que nous envisagions par la suite une contribution en nature grâce à notre système sol-air de moyenne portée terrestre (SAMP-T) et au dispositif d'alerte avancée que nous pourrons mettre en oeuvre, tout en gardant le contrôle de nos propres moyens.

Le processus est donc engagé. L'objectif est de protéger nos territoires d'agresseurs potentiels qu'il est assez aisé d'identifier, sans que soient reniés les « fondamentaux » que j'ai mentionnés. Le rapport Védrine, certes, se demande pendant combien de temps ces fondamentaux ne seront pas remis en cause. Mais pour l'instant, nous nous en tenons à cette contribution et à cette affirmation de nos principes et de notre identité de décision.

Par ailleurs, le déploiement des missiles Patriot en Turquie a été validé hier par la réunion des ministres des affaires étrangères de l'OTAN. Je précise que c'est une mesure uniquement défensive et que seuls les États-Unis, l'Allemagne et le Pays-Bas sont impliqués..

Au sujet des projets de ventes d'Eurofighter par les Britanniques, Monsieur Dhuicq, j'ai indiqué à la Commission de la défense lors d'une audition récente qu'il ne fallait pas confondre les rôles en matière d'exportation de matériel militaire. Les responsables politiques doivent créer les conditions politiques permettant à l'industriel de faire son commerce, et non pas l'inverse. On a pu constater par le passé que la confusion des genres menait à l'échec. En revanche, lorsque les conditions sont réunies, on peut réussir. Au Brésil, où je me suis rendu récemment, un vrai partenariat stratégique nous a permis de vendre six sous-marins et de participer à la réalisation d'une base navale pour les accueillir.

J'ai constaté comme vous les démarches récentes effectuées pour promouvoir l'Eurofighter, mais elles avaient déjà commencé au salon aéronautique de Dubaï, à un moment où une situation de crise affectait un autre avion. Je pense que notre démarche actuelle est bien comprise, y compris par les responsables politiques des pays avec lesquels nous souhaitons collaborer. En Inde, par exemple, les discussions se passent bien. Je me rendrai sur place quand le moment sera opportun. Là encore, je veux que mon action soit pragmatique.

Entre les deux notions de smart defence et de pooling and sharing, que plusieurs intervenants ont évoquées, nous soutenons le pooling and sharing dans le cadre de l'Agence européenne de défense, où nous sommes impliqués dans plusieurs projets.

Le pooling and sharing doit également être envisagé en matière d'acquisitions. Nous nous réjouissons à cet égard de l'accord intervenu entre l'Agence européenne de défense et l'OCCAR (Organisme conjoint de coopération en matière d'armement), la première identifiant le manque capacitaire et élaborant avec les États la manière d'y remédier, la seconde, dans le rôle d'une sorte de « DGA européenne », se chargeant de l'acquisition. La France est pleinement partenaire de l'OCCAR, qui intervient dans une bonne partie des programmes qu'elle partage avec d'autres pays.

La smart defence relève d'une logique différente. Elle a été élaborée après que l'Europe se fut dotée de l'Agence européenne de défense et de la stratégie du pooling and sharing, puis confirmée à Chicago. L'OTAN ayant constaté des insuffisances capacitaires dans différents programmes, vingt-six initiatives ont été lancées afin de trouver les voies et moyens pour y remédier. La France est présente dans quatorze de ces vingt-six groupes de travail et en préside deux.

Notre volonté reste néanmoins d'établir une complémentarité entre la smart defence et le pooling and sharing. C'est la condition pour que l'Europe de la défense prenne toute sa place dans ce dispositif. Tel n'est pas toujours le cas. Nous devons veiller à ce que la smart defence ne devienne pas une démarche commerciale d'industriels américains.

La force de l'Europe, madame Ameline, est de proposer une réponse globale. Le dispositif Atalante mis en place dans la corne de l'Afrique en est une bonne illustration. Six bateaux européens (espagnol, italien, maltais, français, portugais, roumain) et quatre avions de surveillance maritime assurent une présence permanente dans la zone. Le quartier général de l'opération est situé en Grande-Bretagne et le commandement en est assuré par un Britannique. En outre, l'Europe mène un programme de formation de l'armée somalienne destiné à structurer l'État somalien et à permettre à ce pays d'exercer lui-même ses propres responsabilités dans la zone. Enfin, la mission EUCAP-Nestor aide les pays de la corne de l'Afrique à se doter des moyens maritimes et juridiques pour lutter contre la piraterie. Elle est dirigée par un amiral français.

La globalité et la coordination de toutes ces actions donnent à l'intervention européenne une grande force.

Parmi les programmes européens en cours, Monsieur Lequiller, celui qui me préoccupe le plus est celui des drones. L'Europe ne doit pas manquer cette opportunité considérable. Tous les pays susceptibles d'être intéressés par cette capacité n'en sont pas au même degré de préparation, qu'il s'agisse de la volonté d'acquisition, de la volonté d'agir en commun ou de l'état capacitaire propre. Mais les divergences ne sont pas assez importantes pour bloquer l'éventualité d'une action commune. J'espère que le travail bilatéral que nous menons actuellement pourra ensuite s'élargir.

D'autres projets se dessinent, notamment en matière spatiale. Pour la succession du satellite militaire Hélios, la France est en pointe mais il serait utile que plusieurs pays envisagent ensemble cette nouvelle génération satellitaire. Il y a là des perspectives de coopération prometteuses.

La question de la guerre des mines pourrait elle aussi donner lieu à des initiatives communes.

En tout état de cause, il existe de nombreuses perspectives d'action et de coopération pour structurer l'industrie européenne.

M. Christophe Léonard m'interroge sur la compatibilité entre Weimar + et Lancaster House. La dissuasion nucléaire ne se partage pas, mais l'accord « gagnant-gagnant » passé avec les Britanniques est une avancée majeure. Pour le reste, aucune des orientations décidées n'est exclusive de l'autre. Ceux qui le veulent doivent pouvoir rejoindre l'initiative franco-britannique ; de même, les Britanniques doivent pouvoir prendre part aux initiatives du groupe « Weimar + ». C'est cela, l'Europe pragmatique qui avance par l'action. Toutes les participations – qu'il s'agisse des drones ou d'autres sujets – seront autant de briques dans la construction de l'Europe de la défense. Nous ne mettons aucune exclusive car nous savons que c'est ce qui a entravé jusqu'à présent les avancées souhaitables.

En matière de coopération des industries de la défense, l'OCCAr est un outil important. Différents partenariats n'en devront pas moins être engagés avec des pays européens. Certains projets d'accord ont failli aboutir, d'autres pourront se faire demain. Les gouvernements, par le biais de la task force ou de rencontres bilatérales approfondies, peuvent essayer d'établir des connexions. En matière maritime, terrestre ou satellitaire, les perspectives de coopération sont importantes pour peu qu'elles soient soutenues par une volonté politique.

La France n'est pas la seule en Europe, Monsieur Folliot, à disposer d'un espace maritime important. De plus, l'outre-mer est une chance pour nous dans le débat européen puisqu'il ouvre de grandes possibilités de développement, y compris en matière de défense. Je suis persuadé que l'enjeu maritime sera déterminant pour l'Europe de la défense. On voit d'ailleurs qu'une des opérations européennes les plus efficaces aujourd'hui est maritime.

Pour ce qui est d'un éventuel Livre blanc européen, Monsieur Lamassoure, je place beaucoup d'espoirs dans l'approche de M. Van Rompuy. J'ai rencontré le président du Conseil européen par deux fois et j'ai trouvé qu'il était en phase avec les initiatives françaises. Le dossier de l'Europe de la défense va monter dans l'échelle des priorités. L'exigence est d'aboutir à un dispositif qui ait du sens avant la fin de l'année 2013, parallèlement aux travaux de la task force.

Cela se traduira peut-être par l'élaboration d'un Livre blanc, peut-être par la réactualisation du paquet défense en identifiant les menaces et les risques sécuritaires et en affirmant une volonté commune, pour peu que les États membres s'accordent sur l'initiative Van Rompuy.

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