Madame la présidente, monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Le dialogue entre la Commission européenne et les élus nationaux est en effet très important, car l'Europe ne se fait pas à Bruxelles, mais partout. Si donc le Parlement européen est mon premier interlocuteur parlementaire, les parlements nationaux ont une importance majeure, car les lois européennes doivent être appliquées dans les États membres et il vous incombe aussi de les expliquer aux citoyens.
L'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a provoqué des changements considérables : la justice, qui relevait jusqu'alors des seules instances nationales, relève désormais d'une responsabilité européenne accrue à laquelle s'ajoutent les effets de la Charte des droits fondamentaux, qui a valeur de traité. L'élément national et l'élément européen doivent être complémentaires, sans se télescoper. Vos doutes en la matière, monsieur le président, doivent nous faire réfléchir au niveau européen sur notre manière de procéder.
Ma tâche n'est pas de changer les systèmes judiciaires nationaux, mais de bâtir des ponts entre eux pour qu'ils puissent fonctionner : la libre circulation des citoyens doit avoir pour pendant la libre circulation des droits.
La justice doit aussi servir la croissance.
Le droit à un procès équitable, qui est l'un des piliers des systèmes judiciaires européens, n'est contesté par personne, mais les procédures pénales et les droits de l'accusé diffèrent selon les systèmes nationaux, de telle sorte que les personnes qui se déplacent perdent parfois leurs droits en passant d'un État à un autre. C'est la raison pour laquelle je me suis immédiatement employée à la définition de normes communes minimales permettant d'assurer une protection suffisante des suspects et des personnes accusées, dans quelque pays qu'elles se trouvent.
La première directive dans ce domaine, portant sur le droit à l'interprétation et à la traduction, a été adoptée en neuf mois seulement. Cette rapidité témoigne du besoin de combler un vide. La directive sur la déclaration des droits, le droit d'être informé sur ses droits et la lettre des droits, a également été adoptée. Les négociations sur la présence d'un avocat, qui font suite à l'arrêt Salduz, viennent en outre d'être débloquées, étendant donc ce droit à tous les Européens, ainsi que celui de communiquer avec leur famille et de bénéficier du soutien de leur consulat ou de leur ambassade. Le Parlement européen et le Conseil des ministres vont finaliser cette négociation dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois.
Toutes ces mesures, qui vont dans le sens du droit à la libre circulation, l'un des droits fondamentaux des citoyens européens, renforcent la confiance mutuelle.
J'ai constaté, en travaillant sur les droits des personnes accusées, que la victime était presque absente du processus pénal dans de nombreux États européens. Un texte fixant des normes minimales quant aux droits des victimes de la criminalité, en particulier des victimes vulnérables – notamment des femmes, souvent victimes de violences –, quelle que soit leur nationalité et quel que soit l'État où les faits ont été commis, a été publié au Journal officiel des Communautés européennes le 14 novembre. Là encore, l'adoption du texte a été très rapide. Ce dispositif doit être transposé en droit national : la balle est dans votre camp.
Il m'a par ailleurs fallu reprendre le dossier de la directive relative aux droits des consommateurs, qui n'avançait guère. Le travail mené avec le Parlement européen et le Conseil a permis de débloquer les négociations, qui traînaient depuis des mois, et de faire aboutir une directive qui renforce les prérogatives des consommateurs, sanctionnant notamment les fraudeurs opérant sur Internet : les consommateurs ne seront plus contraints, par exemple, de souscrire à une assurance ou de louer un véhicule lorsqu'ils achètent un billet d'avion, et disposeront d'un délai de 14 jours pour rendre, s'ils le souhaitent, les marchandises achetées à distance. Le droit européen s'inspire des meilleures solutions nationales pour les proposer à tous les citoyens européens et faire progresser ceux des droits nationaux qui ne sont pas encore au niveau des meilleurs. Je veillerai à ce que la transposition des nouvelles dispositions dans tous les États membres soit rapide.
En effet, les citoyens européens – dont les Français – hésitent encore à acheter au-delà des frontières et le commerce électronique ne fonctionne pas comme il le devrait. Or, un marché unique ne peut fonctionner si les consommateurs n'ont pas confiance et la justice doit donc également contribuer à la croissance de ce marché unique, dont nous venons de fêter le 20e anniversaire. Chacun dans le cadre de nos responsabilités, nous aidons le commissaire français Michel Barnier, chargé de ce marché unique, qui accomplit un travail extraordinaire pour lever les blocages et mettre en place une économie sociale de marché reposant sur la libre circulation des marchandises et permettant tout à la fois aux PME d'étendre leur champ d'opération et aux citoyens d'utiliser sans réticence les avantages de ce marché.
Pour atteindre ce but, il faut donner une vraie chance aux PME. Or, 40 % des PME françaises ne dépassent pas le cadre de leurs frontières du fait de la complexité des procédures judiciaires de règlement des litiges transfrontaliers. Le Parlement européen a voté hier à une très large majorité ma réforme du règlement Bruxelles I, qui instaure en Europe un principe du fédéralisme américain, la « full faith and credit clause », selon laquelle une décision prise par la justice d'un État fédéré est reconnue dans un autre. Désormais, dans le droit civil et commercial européen, une décision de justice prise dans un État membre s'appliquera dans un autre. La procédure de l'« exequatur », longue et chère, qui imposait à la justice de recommencer une procédure déjà accomplie et qui se révélait inutile dans 95 % des cas, est supprimée. Nous voulons pouvoir nous concentrer sur les 5 % de cas qui posent problème, ce qui permettra aux entreprises d'économiser plus de 47 millions d'euros par an. Après l'acceptation formelle de ce règlement par le Conseil, qui devrait intervenir en décembre, la réforme de Bruxelles I devrait donc vous être soumise l'année prochaine.
La réticence des consommateurs et des entreprises à acheter et à vendre hors de leurs frontières est aussi une question de droit des consommateurs, car une entreprise française qui voudrait vendre dans toute l'Europe devra appliquer 27 règles différentes en la matière. Pour résoudre ce casse-tête très préjudiciable au commerce électronique, j'ai proposé l'instauration d'un droit commun européen de la vente, qui ne modifie pas le droit des contrats propre à chaque pays, mais leur superpose un droit des contrats supplémentaire, optionnel, que les contractants pourront choisir d'appliquer pour les ventes transfrontalières. Ce dispositif sera particulièrement utile aux mini-entreprises, pour qui les frais liés au commerce transfrontalier peuvent représenter jusqu'à 7 % du chiffre d'affaires annuel, ce qui ne les incite pas à étendre leurs activités – et, de fait, les trois quarts des petites entreprises européennes ne réalisent aucune vente à l'étranger. Remédier à ce manque à gagner pourrait se traduire par un gain de plusieurs milliards d'euros.
En matière de protection des données, le raisonnement part d'une idée semblable, mais aboutit à des conclusions très différentes. Nous disposons de 27 systèmes différents, qui peuvent être forts comme en France ou en Allemagne, ou faibles comme dans d'autres pays européens. Les entreprises du secteur des technologies de l'information qui souhaitent s'étendre sur tout le marché européen doivent obtenir 27 autorisations différentes et, en cas de problème, traiter avec 27 régulateurs des données personnelles. C'est là encore un casse-tête très coûteux qui empêche le développement des petites entreprises, auxquelles nous voulons donner une chance.
En outre, les traités et la Charte des droits fondamentaux imposent aux Européens l'obligation absolue d'assurer une protection optimale des données personnelles des citoyens. Il faut, dans le même temps, ouvrir le marché pour nos entreprises européennes et faire en sorte que les entreprises non-européennes opérant sur notre territoire appliquent le droit européen, ce qui est aujourd'hui loin d'être le cas. La solution consiste à appliquer pour tout le continent une règle unique et claire, présentant une grande sécurité juridique. Il faut pour cela adopter une approche législative cohérente et concevoir un paquet de mesures couvrant aussi bien le secteur privé que le secteur administratif, ainsi qu'une directive relative au secteur de la police et de la sécurité, car les traités et la Charte se limitent à garantir la protection des données personnelles, sans plus de distinction.
Dans un tel mécanisme, l'entreprise ne se définira pas par sa nationalité, mais par le lieu où elle opère et par les consommateurs auxquels elle s'adresse. Ainsi, toute entreprise opérant sur le territoire de l'Union européenne et s'adressant à des consommateurs européens sera soumise à ces règles. Elle aura donc affaire à un seul régulateur, sur le territoire où elle opère et par l'intermédiaire d'un guichet unique, mais sur la base d'un seul droit national, ce qui empêchera les effets de niche poussant les entreprises à se réfugier dans les pays où le droit est moins contraignant. Un très haut niveau de protection des droits réels des individus sera assuré, notamment pour ce qui concerne la portabilité, l'Internet ou le droit à l'oubli – qui vient d'ailleurs de donner lieu dans votre pays à des propositions très intéressantes du défenseur des droits. Le niveau de protection des données personnelles doit être très élevé, car les citoyens n'ont plus confiance : 70 % d'entre eux sont très inquiets du traitement dont ces données font l'objet – inquiétude justifiée si l'on en croit Symantec, selon qui les activités illégales d'usurpation d'identité croissent de 60 % par an.
Notre ambition en la matière est partagée par le Parlement européen, par la présidence chypriote du Conseil des ministres et par la future présidence irlandaise, laquelle entend faire de ce paquet une priorité pour parvenir à un accord politique d'ici à l'été 2013. Ce calendrier est certes optimiste mais, depuis 33 ans que je suis en politique, j'ai toujours fait de l'optimisme le premier point de mon ordre du jour. Sans optimisme, on n'arrive à rien. Nous inviterons donc toutes les parties concernées à faire au plus vite pour qu'un vote sur ce paquet très important pour les citoyens et les entreprises puisse intervenir au Parlement européen avant les élections européennes du printemps 2014. Pour mener à bien cette ambition, je refuse de me perdre dans les discussions techniques et d'écouter les lobbyistes des grandes entreprises américaines. Nous n'allons pas nous laisser faire et laisser freiner un projet d'une telle importance.
Vous êtes en contact étroit avec les citoyens. Nous ne pouvons pas continuer à mener la politique européenne en vase clos. Il est grand temps d'impliquer les citoyens et de leur expliquer ce que nous faisons car Bruxelles est toujours désignée comme la cause de ce qui ne va pas. Pour construire l'Europe, il faut expliquer aux citoyens pourquoi l'Europe est un avantage pour eux.
Pour préparer 2013, année européenne des citoyens, j'ai entrepris une série de réunions publiques qui ont déjà eu lieu dans le Sud de l'Espagne, en Allemagne et en Autriche et vont se poursuivre en France. Je vous engage tous, ainsi que vos ministres et les élus locaux, à faire de même. J'ai d'ailleurs indiqué aux maires et aux présidents de régions espagnols, lors de la première de ces réunions, qu'il était de leur responsabilité d'aller au-devant des citoyens. Il faut inscrire 2013, année des citoyens, dans votre programme.