Intervention de Viviane Reding

Réunion du 21 novembre 2012 à 17h30
Commission des affaires européennes

Viviane Reding :

Pour ce qui concerne la protection des données personnelles, vous venez de décrire le fonctionnement de la directive de 1995. Les raisons qui nous ont fait changer de cap sont bien illustrées par le cas d'un étudiant autrichien qui, pour régler un différend avec Facebook a dû s'adresser au régulateur des données personnelles irlandais pour faire valoir son droit. C'était là un processus difficile, que cet étudiant en droit s'est du reste fait un malin plaisir de pousser à son terme, avec des résultats finalement peu concluants. Il était indispensable de réformer ce fonctionnement.

La réforme prévoit l'application d'une seule règle dans tous les pays et le recours à un régulateur qui est celui du lieu de résidence habituel du citoyen. Avec ce système, l'étudiant autrichien s'adresse au régulateur autrichien, lequel, sur la base d'un même droit applicable en Autriche et en Irlande, s'efforce de résoudre le problème avec le régulateur irlandais. S'il y parvient, il en informe l'étudiant autrichien. S'il n'y parvient pas, le groupe qui se substituera à la réunion des régulateurs de l'ensemble des pays membres régie par l'article 29, veillera à ce que les problèmes transfrontaliers puissent se régler par un accord qui sera d'autant plus facile à trouver que le droit applicable sera le même dans les différents pays. Le problème est donc réglé pour le citoyen.

Il se règle de la même manière pour l'entreprise, qui devra déclarer, même si sa maison-mère est située à Honolulu, un lieu d'établissement principal en Europe, où elle sera soumise au régulateur territorialement compétent sur la base d'un droit identique pour tous les pays. L'entreprise ne pourra donc plus se réfugier dans un pays-niche.

Bien plus difficile à résoudre est le problème du transfert des données personnelles vers un pays tiers. Des centaines d'accords internationaux bilatéraux entre les États membres et des pays tiers ont été conclus à une époque où, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, les considérations de sécurité et la lutte contre le terrorisme primaient sur les droits. Aujourd'hui, c'est la Commission européenne qui est responsable des traités internationaux, désormais conclus entre l'Union européenne et les pays tiers, et je suis en train de négocier, avec de grandes difficultés, de tels accords bilatéraux pour la protection des données personnelles. Notre conception d'un équilibre entre les droits et la sécurité n'est pas partagée sur tous les continents et les négociations avec les États-Unis sont très laborieuses – elles pourraient être terminées depuis longtemps si j'avais abandonné les droits, mais je n'en ai pas le droit, parce que j'y crois et parce que nous sommes liés par des traités et par une législation. Nous nous efforçons donc de fonder les règles régissant ces transferts sur nos règles européennes.

La question du Parquet européen est très délicate, comme toutes les questions de droit pénal, bien enracinées dans les conceptions particulières de chaque État. Dans ce domaine, il est impossible d'avancer massivement, car les États membres ne nous suivraient pas. J'avance donc pas à pas, en commençant par des législations sur lesquelles vous-mêmes travaillez déjà, comme les intérêts financiers du budget européen, à propos desquels j'ai proposé, avec le commissaire Algirdas Šemeta, une directive sur les définitions et les sanctions en matière de fraude. Des mesures semblables seront prochainement proposées pour réprimer les contrefaçons de l'euro. Nous nous en tenons donc pour l'instant à ce qui concerne le budget européen et les fraudes à son encontre, en nous efforçant d'y ajouter, par étapes, un Parquet européen chargé de mettre ces mesures en pratique. La France nous aide beaucoup en ce sens, mais le travail avec d'autres pays est beaucoup plus difficile. Je ferai en 2013 des propositions dont on peut craindre qu'elles ne recueillent pas l'unanimité nécessaire, ce qui imposerait de recourir à une coopération renforcée. Je suis personnellement convaincue que le Parquet européen devra s'occuper de la criminalité transfrontalière, qui ne relève pas du budget de l'Union, mais il faut progresser point par point.

Pour ce qui est des Roms, personne n'a oublié les problèmes que j'ai eus avec la France, du fait de la non-application de la directive de 2004 relative à la libre circulation des personnes. S'il était encore parmi nous, j'aurais rappelé à M. Bompard, qui déplorait la divinisation des droits et la disparition des devoirs, que cette directive prévoit certes les droits des individus en matière de libre circulation, mais aussi leurs devoirs.

Les difficultés que nous avons rencontrées tiennent à ce que la France n'avait pas encore inscrit ces droits dans son droit national. La directive étant aujourd'hui correctement transposée en droit français, problème est désormais résolu, du moins pour ce qui concerne l'éviction des Roms, qui est maintenant prononcée à titre individuel.

Le problème demeure en revanche pour l'insertion des Roms et il se pose, à des degrés divers, dans tous les pays. J'ai proposé à cet égard un cadre destiné à l'élaboration de plans d'action nationaux à cette fin et tous les États membres ont remis des stratégies nationales en matière de logement, d'éducation, de travail et de santé. Un rapport sera rendu annuellement sur l'application de ces stratégies nationales dans les États membres. Si un État membre n'applique pas sa stratégie, le principe de subsidiarité ne me permet d'intervenir dans les domaines du logement, de la santé ou de l'éducation, mais la Commission peut aider. Ainsi, le Commissaire chargé des fonds régionaux a modifié les règles d'utilisation de ces fonds afin qu'ils puissent être désormais employés aussi pour le logement, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici.

Chaque État membre doit en outre désigner un point de contact pour les Roms. Ces points de contacts se réunissent à Bruxelles pour échanger sur leurs réussites et sur les problèmes qu'ils rencontrent. J'ai également demandé à quelques États membres de créer un groupe pionnier, auquel la France participe, chargé lui aussi d'échanger sur ce qui marche et ce qui ne marche pas, afin de m'aider à formuler une recommandation au Conseil pour faire avancer l'intégration des Roms.

Vous êtes, comme moi, des politiques : nous savons tous que l'insertion des Roms est un thème qui n'est populaire dans aucun des États membres – il l'est de moins en moins à mesure que la crise progresse et que d'autre parties de la société entrent dans la grande pauvreté. Le nouveau budget européen prévoit donc la création de fonds sociaux et régionaux plus adaptés à ces franges de la société. L'inclusion sociale représente ainsi 20 % de la dotation du Fonds social européen. Les Roms y sont éligibles et la mise à disposition des fonds aurait pour condition préalable l'existence d'une stratégie nationale en la matière. Voilà donc l'approche « soft » à laquelle il me faut recourir pour pousser ce dossier et trouver des solutions qui ne soient pas seulement répressives dans des domaines relevant de la responsabilité nationale.

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