Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 27 mars 2013 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

L'Assemblée examinera demain, en séance publique, la proposition de loi (no 422 [2008-2009]) de M. Yvon Colin et plusieurs de ses collègues du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), adoptée par le Sénat le 23 juin 2010, qui vise à rétablir une circonscription unique pour l'élection de représentant français au Parlement européen.

Cette proposition a été rejetée par la Commission des lois le 20 mars dernier.

Il m'a semblé utile que nous en débattions aujourd'hui et que nous nous engagions ainsi dès à présent dans un travail approfondi de réflexion et de propositions pour réussir les élections européennes de 2014. Car ma conviction est que le succès reposera moins sur des réformes, plus ou moins hâtives, des modes de scrutin, que sur notre capacité à insuffler une réelle dimension et une forte ambition européenne dans le grand rendez-vous programmé entre l'Union et ses peuples.

Il ne faut pas surestimer l'enjeu du retour à un scrutin national

Comme vous le savez, en effet, en l'absence d'une procédure électorale uniforme – qui, bien que prévue dans l'Acte portant élections des membres du Parlement européen au suffrage universel direct du 20 septembre 1976 et mentionnée, comme une possibilité, dans l'article 223 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, n'a jamais été adoptée –, les Etats membres disposent d'une grande marge de manoeuvre dans l'organisation des élections européennes dès lors qu'ils respectent des « principes communs » fixés dans la décision no 2002772CE du Conseil du 23 septembre 2002 : proportionnalité du scrutin, possibilité de mettre en place des seuils pour l'attribution des sièges – qui ne peuvent excéder 5 % des suffrages exprimés – uniformité des incompatibilités et des immunités.

Usant de ces facultés, la loi no 2003-327 du 11 avril 2003, soutenue par le seul groupe UMP et adoptée grâce au recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, a renoncé à la circonscription unique dans laquelle se déroulaient les élections européennes depuis 1979 et découpé le territoire en huit circonscriptions ad hoc, regroupant plusieurs régions.

Son objectif était de remédier à la forte abstention constatée au cours de ces scrutins en rapprochant les électeurs de leurs représentants.

On ne peut guère dire qu'il ait été atteint et l'expérience des euro-régions a été décevante.

Le taux d'abstention s'est inscrit, sans infléchissement notable, dans sa regrettable mais solide courbe d'aggravation qui l'a fait passer de 39,3 % en 1979 (37 % dans l'Union) à 59,4 % en 2009 (57 % dans l'Union), seule l'échéance de 1994 ayant témoigné d'une modeste décrue (47,3 % après 51,3 % en 1989).

Dans un même esprit, l'artificialité des grandes régions dessinées en 2003, sans ancrage historique et sans pertinence économique ou sociale, et le maintien de pratiques regrettables de « parachutages » et de « nomadisme » des candidatures ont obéré le tissage d'un réel lien de proximité entre les eurodéputés et leurs électeurs.

Le nouveau mode de scrutin, en réduisant le champ d'application de la proportionnelle à des circonscriptions plus réduites, a enfin altéré la qualité de la représentativité proportionnelle de nos députés. Les partis politiques arrivés en tête y ont en effet acquis une robuste prime majoritaire – l'application à une circonscription nationale des résultats constatés en 2009 aurait ainsi réduit le nombre de sièges obtenus par l'UMP de sept – tandis que le seuil pour pénétrer au Parlement de Strasbourg, en théorie de 5 %, s'est élevé dans les plus grandes « euro-régions » à plus de 8% et dans les plus petites, comme le « Massif Central – Centre », à près de 14 %.

Le retour à une circonscription unique ne saurait, en soi, garantir le succès des élections de 2014.

La circonscription unique, pratiquée pendant vingt-cinq années en France, ne saurait pour autant être parée de toutes les vertus.

On ne peut ainsi considérer qu'une liste nationale serait, en elle-même, de nature à renforcer le lien de proximité entre les électeurs et les eurodéputés et à relâcher l'emprise de l'appareil des partis sur la désignation des candidats.

Cela explique sans doute pourquoi tous les pays de plus de vingt millions d'habitants ont divisé leur territoire en circonscriptions – bien que selon des modalités très différentes, l'Allemagne et l'Italie, par exemple, organisant des systèmes mixtes attribuant les sièges après une totalisation des voix au niveau national –, conformément d'ailleurs à la recommandation du Parlement européen du 30 mai 2002.

Me paraît toutefois plus fragile l'argument souvent avancé que le retour à un scrutin national offrirait une dangereuse « prime aux extrêmes ».

Il est indéniable que l'accroissement de la taille des circonscriptions entraînerait une augmentation, presque mécanique, du contingent des élus à partir des listes recueillant le moins de suffrage et induirait une certaine fragmentation de notre représentation à Strasbourg. La transposition des résultats de 2009 à un scrutin national aurait dans cet esprit augmenté de deux sièges la représentation du Front national, de quatre sièges celles des autres extrêmes droites – dont Libertas – et de quatre sièges celle de l'extrême gauche.

Toutefois, ce type de raisonnement, étroitement politicien, me semble parmi les moins fondés à guider notre choix, tant l'expérience historique montre l'inanité des « tripatouillages » électoralistes uniquement motivé par des estimations de conjoncture électorale ayant conduit à des résultats en parfaite contradiction avec les attentes et les postulats de leurs apprentis sorciers.

Il faut réfléchir dès à présent aux moyens de réussir les élections européennes et engager les débats pour affermir l'ancrage démocratique européen.

L'expérience montre que l'existence de listes nationales ou de listes régionales n'est guère décisive pour la qualité des élections.

Le scrutin régional n'a pas empêché en 2009, par exemple, la liste Europe-Ecologie de se trouver un leader national apte à incarner l'élection et à imposer des thèmes européens au coeur des débats. De même, de nombreuses élections antérieures à 2004 se sont enfermées dans un provincialisme étroit donnant l'impression de jouer bien plus une énième revanche des élections nationales que de définir les grandes directions de l'action européenne.

En cohérence, il me semble évident que le succès des prochaines élections appelle des efforts dépassant largement le cadre borné de l'ingénierie électorale.

Car, et nous en sommes tous conscients, l'ampleur de l'impact désormais exercé par l'Union sur la vie quotidienne de nos concitoyens, dans une crise d'une violence exceptionnelle, nous place devant des responsabilités historiques.

Si nous échouons à faire des Européennes de 2014 un réel débat démocratique, grâce auquel les peuples auront la certitude de pouvoir peser sur la part de leur avenir qui est déterminé à Bruxelles et à Strasbourg, je crains que l'Union ne paie très cher la fragilité de son ancrage démocratique.

Une telle ambition suppose à mes yeux d'avancer dans deux grandes directions.

Il faut d'abord incarner la démocratie européenne dès 2014. Cela impose que les partis politiques préparent et animent une campagne européenne, en se dotant de programmes précis sur l'ensemble des enjeux de l'agenda de l'Union et en fixant clairement les ambitions qu'ils assignent à l'Europe –ce qui implique qu'ils nous précisent notamment s'ils sont favorables à la convocation d'une Convention et, le cas échéant, qu'ils nous décrivent les réformes institutionnelles qu'ils estiment nécessaires.

Cela rend aussi indispensable que chaque parti présente clairement son candidat à la présidence de la Commission européenne et s'organise pour lui donner un rôle moteur dans la campagne.

Je pense qu'il faut même aller plus loin. L'impératif de clarté démocratique induit que les partis, dont aucun ne peut prétendre obtenir seul la majorité à Strasbourg, déclarent quelle coalition ils comptent former, détaillent dans un programme commun les principaux projets qu'ils partagent et désignent leur candidat commun. Il doit en effet être bien précisé qu'aura vocation à diriger la Commission le candidat de la majorité arrivée en tête des élections.

Cela implique en parallèle, que les chefs d'État et de Gouvernement s'engagent à respecter le vote des électeurs, conformément à l'esprit de la nouvelle disposition introduite à l'article 17 du traité sur l'Union européenne par le traité de Lisbonne qui précise que le Conseil européen, à la majorité qualifiée, soumet au vote du Parlement européen un candidat « en tenant compte des élections ».

Enfin, c'est à l'architecture complète des pouvoirs au sein de l'Union qu'il faut dès à présent penser.

La répartition des portefeuilles des commissaires est décisive. Elle devra donc refléter fidèlement les choix opérés par les électeurs en 2014.

Dans un même esprit, seront renouvelés peu de temps après l'été 2014 les fonctions de Président du Conseil européen et de Haut représentant à la politique extérieure.

Les impératifs de parité, de respect des équilibres politiques des institutions et d'efficacité du travail inéluctablement commun de ces divers acteurs devront présider à des choix avisés et anticipés.

Il convient par ailleurs de mieux étayer la légitimité démocratique du Parlement européen pour l'après 2014.

A plus longue échéance, je crois que notre débat d'aujourd'hui nous invite à repenser en profondeur la légitimité du Parlement européen, en n'hésitant pas à parcourir des chemins audacieux.

Je pense notamment à la lancinante question de l'élection d'une fraction d'eurodéputés sur une base transnationale, qui constituerait l'un des vecteurs les plus efficaces pour imposer des élections vraiment européennes.

On peut aussi dès à présent s'interroger sur la pertinence du principe de dégressivité proportionnelle présidant à la répartition des effectifs nationaux au Parlement européen, qui, au travers l'imposition d'un seuil minimal de six parlementaires par Etats, permet à un eurodéputé maltais ou luxembourgeois de représenter 65 000 habitants contre 850 000 pour un Allemand ou un Français.

Cette distorsion très significative du principe fondamental « un homme une voix » constitue notamment, en effet, l'obstacle principal empêchant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe de considérer l'Union comme un « État démocratique » et par conséquent d'accepter tout nouveau transfert significatif de souveraineté.

Nous devons par conséquent réfléchir au moyen de la faire évoluer, ce qui suppose d'examiner des perspectives audacieuses.

Je pense ainsi à l'instauration d'un système électoral « mixte » où les électeurs européens voteraient en même temps pour leurs eurodéputés et pour leur candidat à la Commission européenne, ainsi élu démocratiquement à l'échelle de toute l'Union, ou à l'institution d'une seconde chambre émanant des parlements nationaux, un « Sénat », où les Etats seraient équitablement représentés, libérant la contrainte de la perpétuation des contingents nationaux au Parlement européen et ouvrant la voie à des élections où la représentation des citoyens, où qu'ils résident dans l'Union, serait mieux équilibrée.

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