Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 21 mai 2013 à 14h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteur :

Je vous remercie madame la présidente, notamment d'avoir bien voulu accélérer le processus d'examen de ce texte, puisque mon collègue Rudy Salles présentera cette proposition de résolution, demain, devant la commission des affaires culturelles.

Nous avons commencé ce travail sur le financement du cinéma européen, mon collègue Rudy Salles et moi-même, il y a déjà quelques mois. Ce sujet s'est également trouvé pris sous les feux de l'actualité de l'exception culturelle, question avec laquelle il entretient des liens de complémentarité. L'objet de la présente communication est, à travers le projet de résolution proposé, que le parlement français prenne une position sur le changement du régime applicable aux aides d'État dans le secteur du cinéma que propose la Commission européenne.

Nous nous devons d'être particulièrement conscients d'un paradoxe relatif à l'industrie cinématographique européenne, notamment française. L'insolente bonne santé qu'affichent le cinéma français et le cinéma européen, insolente bonne santé soulignée par les succès internationaux de films comme The Artist et Amour, cache une faiblesse structurelle qu'il ne faudrait pas ignorer.

Le rapport sur le financement européen du cinéma, sur lequel, mon collègue Rudy Salles et moi-même, travaillons, a pour objet de répondre à cette interrogation : comment pérenniser l'existence d'un cinéma européen de qualité ? Notamment ce qu'il représente en termes de valeur.

Avant d'être technique, la question demeure politique : quel avenir souhaitons-nous pour notre politique cinématographique européenne ? Comment sauvegarder les industries cinématographiques nationales qui contribuent chacune par leur spécificité à construire un cinéma européen de qualité ? Comment sauvegarder le tissu industriel propre à chaque pays pour que les savoir-faire industriels et artisanaux demeurent sans que l'on assiste à un dumping social entre États membres pour attirer les tournages, sur le seul critère du moins disant économique ou fiscal ?

Notre propos se placera donc sur le terrain de la législation européenne et sur les risques que son évolution fait porter aux industries cinématographiques nationales, qui sont la sève du cinéma européen.

Pour cela quelques rappels juridiques s'imposent. L'Union européenne n'a pas de compétence propre ou partagée en matière cinématographique. Le respect du principe de subsidiarité attribue aux États membres la définition de leurs politiques culturelles, dont la politique cinématographique. Néanmoins, les états membres se doivent de respecter les règles du Traité en matière de concurrence, notamment en ce qui concerne l'attribution des aides d'État. Or, le secteur cinématographique est un secteur aidé.

La « Communication cinéma » de 2001 règlemente la compatibilité des aides d'État avec les règles de la concurrence en vigueur dans le traité. Elle dispose que l'aide doit être destinée à un produit culturel. Elle offre également la possibilité pour un producteur de dépenser 80 % des aides à la production sur le territoire d'un État membre, et elle précise que l'intensité de l'aide doit être limitée à 50 % du budget de production. Néanmoins, l'intensité de l'aide peut être supérieure pour les films dit « difficiles » et à petit budget.

Le projet de révision présenté en 2012 proposait de maintenir l'intensité de l'aide voire de l'augmenter pour les productions transfrontalières. En revanche, il limitait la possibilité pour un producteur de dépenser l'aide sur un territoire donné à 100 % de l'aide accordée. Ce qui revient de fait à limiter la territorialisation des aides à 50 % du budget de production. Cette nouvelle réglementation a inquiété, à juste titre, les professionnels du secteur. Pour maintenir un tissu industriel et des savoir-faire sur nos territoires, la territorialisation des aides est essentielle.

L'avis des différents présidents de CNC européens converge : l'industrie cinématographique européenne n'est pas en concurrence au sein de l'Union européenne ; elle est en concurrence, certes, mais avec l'industrie cinématographie américaine. Aussi ne faut-il pas l'affaiblir. Une étude parue en 2008, sur laquelle la Commission européenne s'est pourtant appuyée pour élaborer son projet de révision, a conclu que la territorialisation des aides n'était ni un frein à la création cinématographique européenne, ni une entrave à la libre concurrence entre États membres, notamment du fait de l'existence de nombreuses co-productions.

À titre d'exemple, selon le rapport produit par le CNC, « L'industrie cinématographique en France en 2011 », le nombre de jours de tournage « en France, s'établit en 2011, à 5 002 jours, contre 4 959 jours en 2010. Au total, en 2011, le nombre de jours de tournage pour les films d'initiative française s'établit à 6 879 jours, dont 27,3 % à l'étranger. Dans la majorité des cas les tournages à l'étranger sont justifiés par des raisons artistiques. Néanmoins, ils peuvent reposer sur deux autres types de raisons économiques : une réduction des coûts de production (Hongrie, Portugal) ou l'accès à des financements locaux dans le cadre de coproductions (Belgique, Luxembourg, Allemagne, Canada).

La territorialisation des aides doit donc rester un principe si l'on veut conserver une industrie cinématographique compétitive et spécifique. Et surtout si on veut lutter contre un dumping fiscal et social, auquel pourrait conduire l'absence de territorialisation des aides.

Face au front uni des différentes industries cinématographiques européennes et de leurs gouvernements, qui s'opposaient aux nouvelles règles proposées, la Commission européenne a décidé de présenter un nouveau projet de communication.

Celui-ci, présenté par la Commission européenne le 30 avril dernier, n'apaise en rien les inquiétudes des professionnels. Outre le fait qu'il offre un calendrier contraint, il vide clairement de sa substance le principe de la territorialisation des aides.

L'objectif de cette communication sur les aides d'État est d'assurer un principe de sécurité juridique pour les États membres.

Si quelques éléments positifs doivent toutefois être soulignés, dont l'extension du projet de communication aux activités autres que la production, en l'état, le projet de communication demeure particulièrement insuffisant. En ce qui concerne l'extension du champ d'application de la communication, on peut déplorer l'absence de mention des jeux vidéo qui sont un secteur innovant et créatif. En revanche, l'inclusion des aides aux salles de cinéma n'est en rien pertinente. Il faudra, dès lors, exclure expressément du champ d'application de la Communication les aides destinées aux salles de cinéma, dans la mesure où par essence, elles ne relèvent pas de la libre circulation des biens et des services.

En ce qui concerne les aides à la production, le projet demeure toujours terriblement insuffisant. La Commission européenne semble faire droit aux demandes initiales. Le critère de 80 % est maintenu. Mais il ne s'agit que d'une disposition en trompe l'oeil. Dans les faits les États membres ne pourront plus permettre à des industries nationales de conserver les savoir-faire inhérents à la création artistique.

Ne plus permettre aux États membres de tenir compte de l'origine des personnes, des biens et des services, revient, en effet, clairement à vider le principe de territorialisation des aides de sa substance.

Outre le fait que cette déterritorialisation des aides pourrait avoir pour effet de multiplier les dispositifs plus ou moins opaques en termes d'attraction fiscale pour inciter à une délocalisation des tournages à des fins autres qu'artistiques, elle vise à créer une concurrence artificielle contraire aux intérêts du cinéma européen.

Le cinéma européen n'aura rien à y gagner sauf à y perdre son identité.

C'est pourquoi nous vous proposons le projet de résolution suivant qui vise à demander à ce que la Commission européenne revoit son projet de communication de manière à tenir compte de l'avis de la représentation nationale.

Il ne s'agit pas uniquement de défendre la spécificité d'une industrie cinématographique nationale, il s'agit surtout d'assurer la pérennité du cinéma européen, faite de diversité des expressions culturelles, dont le cinéma français est l'un des maillons essentiels de la chaîne de financement.

À court terme, l'avenir de l'industrie cinématographique européenne réside donc dans la garantie que la territorialisation des aides sera maintenue.

J'en profite pour rappeler que cette proposition de résolution s'insère dans le calendrier de travail qu'a prévu notre commission, en organisant une réunion interparlementaire le 18 juin sur le financement européen du cinéma, qui sera suivie par une table ronde de professionnels le 19 juin. Ce travail vise à défendre la pérennité du cinéma européen et non pas les seuls intérêts nationaux.

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