Intervention de Mario Draghi

Réunion du 26 juin 2013 à 9h30
Commission des affaires européennes

Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne :

De nombreuses questions portent sur l'atonie de la croissance. Sans aucun doute, la faiblesse constatée l'année dernière s'est prolongée en 2013. Dans son scénario, la BCE envisage une reprise graduelle pour la fin de l'année. Cette reprise viendra de nos exportations, d'une politique monétaire accommodante, de la baisse des prix de l'énergie et de la faible inflation que nous prévoyons pour 2013 et 2014. Dans certains cas, elle sera liée aux premiers bénéfices de la mise en oeuvre de différentes réformes. L'année prochaine, le ralentissement du rythme de la consolidation fiscale devrait également la favoriser.

La politique de la BCE a été accommodante par le passé, elle l'est aujourd'hui et elle le restera dans l'avenir prévisible. Comme l'a dit également Benoït Coeuré, il y a quelques jours, la sortie de cette orientation de politique monétaire est encore lointaine. Nous sommes ouverts à l'utilisation de tous les instruments que nous considérons comme appropriés car les flux de crédit demeurent faibles.

Nous constatons néanmoins que la « fragmentation » – c'est-à-dire l'écart entre les conditions financières des différents pays – s'est atténuée par rapport à l'année dernière. Le programme OMT y est sans aucun doute pour quelque chose.

La fragmentation concerne le financement d'une part, le crédit d'autre part.

À un moment de l'année dernière, certaines banques ne pouvaient pas s'autofinancer. Les conditions de financement étaient très différentes en coût et en quantité selon les pays de la zone euro. À bien des égards, cette situation a trouvé une résolution. Les coûts de financement ont convergé, particulièrement en ce qui concerne les dépôts – sachant que plus les dépôts divergent selon les pays, plus la fragmentation pose de problèmes –, si bien que la divergence a presque disparu.

En matière de crédit, en revanche, nous n'observons pas les mêmes évolutions positives. Le flux de crédit reste faible en direction des ménages et plus encore en direction des PME.

En l'espèce, quelle peut être l'action de la BCE ?

Il peut y avoir trois raisons pour lesquelles les banques ne prêtent pas.

D'abord un manque de fonds. C'était une menace sérieuse en 2011 et 2012. Nous avons relevé le défi et surmonté ce risque.

Ensuite un manque de capitaux. Concernant ce risque, il y a relativement peu de choses que nous puissions faire : la solution dépend des banques elles-mêmes, de leurs actionnaires et des États. Il faut pouvoir établir de façon transparente quel est l'état de santé réel des banques au travers de leurs bilans.

Enfin l'aversion au risque. Les banques peuvent craindre le risque macroéconomique. L'année dernière, par exemple, certains ont pensé que l'euro pourrait éclater. Nous avons répondu à cette menace par notre politique monétaire, comme il nous incombe de le faire. Les banques peuvent également craindre que le client ne rembourse pas son crédit. Nous ne pouvons remédier à ce risque microéconomique : cela n'est pas de notre ressort.

Certains intervenants ont établi des comparaisons entre la BCE et la Réserve fédérale ou la Banque du Japon. Je n'ai pas de commentaires à faire sur d'autres banques centrales mais il est clair que l'objectif principal de notre mandat tel qu'il a été défini par le traité est le maintien de la stabilité des prix, en contrecarrant les pressions à la hausse comme les pressions à la baisse.

Mais nous avons d'autres caractéristiques qui nous différencient des États-Unis en particulier. Dans la zone euro, par exemple, les trois quarts de l'intermédiation de crédit passent par les banques, alors qu'aux États-Unis les trois quarts de cette intermédiation passent par les marchés de capitaux. C'est pourquoi nous devons travailler avec les banques alors que la Réserve fédérale travaille essentiellement via les marchés de capitaux.

Quant au programme OMT, il a permis d'obtenir les résultats escomptés sans que nous ayons à dépenser un euro en rachat d'obligations d'État. Le succès de cette politique montre aussi à quel point les peurs quant à l'explosion potentielle de l'euro étaient injustifiées et spéculatives. Cela étant, la bulle que nous avons fait éclater à l'époque faisait peser de lourdes menaces sur l'économie et la croissance de la zone euro.

Le programme OMT est précisément conçu pour la partie de l'écart de crédit que provoque la crainte infondée d'un risque systémique de l'euro. Il a montré son efficacité pour bloquer la spéculation et peut être activé dès que le besoin s'en fait sentir. En contrepartie, les pays qui demandent son activation signent un programme avec le Mécanisme européen de stabilité et le Fonds monétaire international.

Le programme concerne les émissions obligataires de court terme – jusqu'à trois ans – et sa mise en oeuvre doit respecter une transparence totale. Toutes les données relatives à l'identité des détenteurs, à la nature de ce qui est acheté et à la maturité des crédits doivent être communiquées aux marchés.

Pour le reste, il est évident que la BCE relève de la juridiction de la Cour de justice de l'Union européenne. J'ai toute confiance dans la capacité des juges de la Cour constitutionnelle allemande d'examiner avec indépendance et équité tous les arguments qui lui ont été soumis au sujet du programme OMT et de la BCE.

J'en viens à la question de l'union bancaire.

Il est important pour la reprise que le flux de crédit s'accentue. Et, pour que le crédit circule, nous devons être certains que nos banques fonctionnent correctement. À cet effet, et avant de devenir le superviseur de la zone euro, la BCE va entreprendre une revue de la qualité des actifs, c'est-à-dire une revue des bilans des principales banques qui seront soumises au mécanisme unique de supervision. Cet examen concernera quelque 130 établissements représentant 80 à 85 % du crédit dans la zone euro. Pour qu'il soit crédible, il faut y associer non seulement la BCE et les superviseurs nationaux, mais aussi des superviseurs de pays hors zone euro et certains acteurs du secteur privé.

À titre personnel, je pense que, dans l'ensemble, il ne révélera pas de faille fondamentale, tant les superviseurs de la zone euro – particulièrement en France – ont démontré leur exceptionnelle qualité pendant la crise. N'oublions pas que la crise n'est pas née dans la zone euro. Dans la grande majorité des cas, ce ne sont pas nos banques qui ont fabriqué les produits toxiques. La détérioration du crédit et, partant, celle de la qualité des bilans des clients des banques est due en grande partie à la une récession particulièrement longue.

Concernant le mécanisme de supervision unique (MSU), la BCE travaille activement à différents chantiers. Je préside un groupe de haut niveau de contrôleurs nationaux. Un manuel de contrôle et de supervision est en cours d'achèvement. Les superviseurs nationaux font preuve d'un désir de travailler ensemble qui me réconforte. Au lieu d'être sur la défensive et de tenter de protéger leurs savoir-faire et leurs traditions, ils ont la volonté de les partager, ce qui est essentiel au fonctionnement de la nouvelle structure. La supervision n'est pas un gâteau que l'on couperait en tranches, les trois quarts revenant à Francfort et quelques miettes étant laissées aux superviseurs nationaux : nous travaillerons avec ces derniers pour la bonne et simple raison que ce sont eux qui détiennent le savoir-faire. La BCE accédera à ce savoir-faire à travers eux et avec eux.

Le MSU fait encore l'objet d'un échange de vues avec le Parlement européen, notamment au sujet de la recevabilité démocratique. Je répète que la BCE est disposée à adopter les règles les plus exigeantes en la matière. J'espère que le vote final du Parlement interviendra dans les meilleurs délais car, tant que le processus politique n'est pas arrivé à son terme, nous ne pouvons mettre en place ce dispositif extrêmement important. À cet égard, nous attendons avec impatience le résultat des discussions du Conseil pour les affaires économiques et financières qui se réunit actuellement.

Il faut garder à l'esprit une distinction fondamentale s'agissant de ce mécanisme.

Pour les banques en liquidation – gone concern –, la seule action que nous souhaitons est la résolution. Dans ce cas, la question qui se pose est celle du pecking order : dans quel ordre les actionnaires et les créanciers seront-ils payés ? Les États-Unis disposent dans ce domaine d'un système qui a fait ses preuves, le mécanisme de résolution unique de la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation). Il n'est donc nul besoin, selon moi, de réinventer la roue : je crois possible de reprendre certaines parties du dispositif en les adaptant aux spécificités de la zone euro. C'est la voie que la Commission et le conseil ECOFIN semblent privilégier. Il faut ensuite déterminer à partir de quand on décide d'utiliser de l'argent public dans le processus de résolution. Enfin, les juridictions nationales doivent-elles avoir une certaine latitude pour décider de la façon dont chaque catégorie de créancier doit être payée et de l'emploi de l'argent public ? Je crois que, dans ces cas de gone concern, cette flexibilité doit être réduite au minimum. Il n'y en a aucune aux États-Unis et l'on n'a recours à l'argent public qu'en cas de risque systémique, lorsque l'on craint que la résolution d'une banque ne produise une réaction en chaîne. Ce cas de figure nécessite une majorité qualifiée.

Il en va tout autrement pour les banques dont le capital est insuffisant mais qui, pour le reste, sont viables – going concern. Peut-être en identifierons-nous au cours de notre revue de la qualité des actifs. Pour ces banques, la procédure ne différera pas de ce qui se pratique aujourd'hui : les superviseurs nationaux et la BCE examineront les solutions possibles – appel aux actionnaires, vente d'une partie de l'établissement, fusion, etc. Mais contrairement à aujourd'hui, la réaction des superviseurs, souvent complexe et délicate, se déroulera dans un environnement financier bien ordonné.

Je terminerai par l'évasion fiscale. À un moment où nous demandons des sacrifices à tous, en particulier aux plus faibles, à un moment où nous demandons des changements de mode de vie au nom de la flexibilité, à un moment où nous révisons en profondeur un modèle social dont nous nous apercevons qu'il ne peut être éternellement fondé sur la création de dettes, c'est une lutte qu'il faut mener à tout prix et gagner. Aucune complaisance n'est possible sur ce terrain-là.

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