Je vous remercie pour ces questions nombreuses, variées et complexes.
Je commencerai par le scénario macroéconomique. Pour l'année prochaine, nous prévoyons une reprise graduelle qui commencerait à la fin de 2013. J'ai déjà mentionné quels peuvent être les facteurs de cette reprise. Mais la situation est compliquée. Des incertitudes demeurent tandis que l'on assiste, dans le même temps, à des progrès. Nous devons tout faire pour consolider ces progrès et pour nous assurer qu'ils seront suivis de nouveaux progrès.
Les risques continuent d'être vers le bas et l'amélioration que nous envisageons est progressive et fragile. Le risque principal, comme beaucoup l'ont souligné, est le taux de chômage élevé, qui maintiendra la consommation, la demande domestique et l'investissement fixe à un niveau bas.
Notre réponse à cette situation est la poursuite d'une politique monétaire accommodante aussi longtemps que nécessaire. Le Conseil des gouverneurs a décidé de maintenir ce que l'on appelle la fixed rate full allotment policy jusqu'en juillet 2014. Les banques pourront se financer à un taux fixe et à la hauteur dont elles auront besoin. Nous serons ainsi en mesure de répondre à tout problème de financement pouvant survenir dans les prochains mois.
Notre politique ne se limite cependant pas à cela. Comme je l'ai dit, la sortie de crise reste éloignée.
De nombreux intervenants ont soulevé la question des taux de change.
Revenons un an en arrière. La méfiance était alors généralisée et le taux de change était plus bas. Les flux s'orientaient, au mieux, vers l'Allemagne mais, pour la plupart, en dehors de la zone euro. L'euro était plus faible mais les taux d'intérêt de nombreux pays de la zone euro étaient bien plus élevés qu'aujourd'hui. D'un certain point de vue, la force actuelle de l'euro est due au retour de la confiance dans la devise de l'union monétaire. D'un autre point de vue, elle est également due aux conséquences indirectes de politiques menées ailleurs dans le monde.
Le taux de change n'est pas, en soi, un but pour la BCE. Notre mandat précise que la Banque doit assurer la stabilité des prix à moyen terme. Un intervenant se demandait d'ailleurs si l'inflation n'était pas désormais trop basse. En effet, la projection de l'inflation pour 2013 et 2014 est bien en deçà de 2 %. Nous devons néanmoins être prudents. La situation actuelle s'explique en grande partie par la baisse des prix du pétrole et de l'énergie en général. Il y a donc une volatilité sous-jacente que nous devons prendre en compte.
Fondamentalement, il nous faut veiller aux prévisions d'inflation à moyen terme. Celles-ci restent solidement ancrées à 2 % – précisément à 1,97 % en quinze ans d'existence de la BCE, ce qui témoigne de la capacité de notre institution à remplir son mandat originel. C'est un point à prendre en considération dans nos décisions de politique monétaire.
Le taux de change, j'y reviens, n'est pas un but de notre politique, mais c'est un élément important de la stabilité des prix que nous connaissons aujourd'hui et c'est un élément important de la croissance. À cet égard, nous observerons avec attention les effets possibles de la volatilité que les marchés financiers ont connue dans les dernières semaines.
J'en viens aux questions sur le programme OMT.
Comme je l'ai indiqué, il s'agit d'un dispositif opérationnel qui peut être activé à tout moment si les conditions l'exigent. Il va sans dire que la BCE relève de la juridiction de la Cour de justice de l'Union européenne. C'est comme expert, et non comme partie en cause, qu'elle a été entendue par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Cette dernière adressera sa décision au Gouvernement et au Parlement allemands. Cela étant, je ne suis ni juriste ni constitutionnaliste. Ce que je puis dire, c'est que j'ai pleinement confiance dans l'indépendance, la rigueur et l'impartialité des juges constitutionnels allemands.
Le système TARGET 2 est un exemple des améliorations que j'ai évoquées puisque les divergences se sont réduites de 20 % par rapport à leur maximum. Plus généralement, ce dispositif permet de mesurer à la fois les déséquilibres entre les pays et l'incertitude environnante.
S'agissant du premier aspect, nous sommes tous bien conscients, je crois, qu'il ne peut y avoir d'union monétaire avec des pays créditeurs en permanence et des pays débiteurs en permanence. Les États ne peuvent être créditeurs ou débiteurs que pendant un certain temps. Les gouvernements et les institutions européennes travaillent activement pour parvenir à une situation où les déséquilibres de cette ampleur seraient exclus.
S'agissant du deuxième aspect, il faut bien comprendre que l'objectif de réduire l'incertitude environnante a un effet sur les soldes TARGET 2.
Pour ce qui est des opérations de refinancement à long terme (LTRO) à trois ans que nous avions lancées, je me rappelle les questions concernant le risque considérable auquel nous nous exposions en injectant une telle masse de liquidités dans le système. Deux ans après, 60 % des sommes ont été remboursées, ce qui est à la fois bon signe et mauvais signe. Bon signe, parce que les banques peuvent se financer un peu plus entre elles et recourent moins à la Banque centrale – sachant que, dans un monde normal, elles devraient se financer elles-mêmes –, ce qui montre le retour d'une certaine confiance dans le marché interbancaire. Mauvais signe, parce que cet argent ne se fraie pas suffisamment un chemin vers l'économie, qui est pourtant sa destination naturelle. Nous devons donc en revenir au scénario principal, en persévérant dans notre politique monétaire jusqu'à ce que ce retour de confiance trouve une traduction dans l'économie.
Beaucoup de questions portaient sur le mandat, dont je dois rappeler qu'il est fixé par le traité. Si je me réfère à mes expériences successives de gouverneur de la Banque d'Italie et de président de la BCE, je dirais que l'exigence clairement énoncée de veiller à la stabilité des prix n'est jamais entrée en contradiction avec le travail pour soutenir la croissance. Elle n'a jamais constitué un obstacle à une politique monétaire qui, tout en poursuivant son objectif principal de stabilité des prix, pouvait également produire de la croissance.
J'ai déjà expliqué pourquoi, étant donné la structure de nos institutions financières, il serait difficile de mener une action semblable à celle de la Réserve fédérale ou à celle de la Banque du Japon – dont le succès doit encore être soumis à l'épreuve des faits, du reste. Notre business n'est pas de financer les gouvernements : je vous renvoie à l'article 123 du traité. Aussi, tout en restant à l'intérieur de notre mandat, je crois que nous avons été très actifs.
Pourquoi est-il si important de se référer à notre mandat ? Les banques centrales sont des institutions puissantes, non élues et, dans le cas de la BCE, elles défendent âprement leur indépendance. Ces trois caractéristiques ne sont pas forcément compatibles. La seule façon de faire qu'elles le soient, pour la BCE, est d'agir dans le cadre du mandat que vous, législateurs, avez établi. Voilà pourquoi nous sommes si soucieux et si fiers de respecter notre mandat.
Cela dit, la discussion sur la respiration de ce mandat est principalement entre vos mains, pas entre les nôtres.
Pour en revenir au financement de l'économie réelle, notamment des PME, le Conseil des gouverneurs examine différentes pistes et a constitué un groupe de travail à ce sujet. Aux États-Unis, les capitaux échangés sur les marchés sont appréciés, vendus et notés de manière transparente, si bien que leur circulation est relativement aisée. Dans nos pays, les prêts aux PME passent généralement par les banques. N'ayant pas de prix de marché, ils doivent être, pour ainsi dire, réaménagés avant d'être accordés, de manière à pouvoir être appréciés et échangés. La BEI, la BCE et la Commission européenne travaillent en commun à la façon dont on pourrait intégrer des ABS (valeurs mobilières adossées à des actifs) dans le dispositif de garanties de la BCE.
La BCE est prête à garantir les prêts que les banques font à leurs clients. Elle a commencé à le faire depuis près de deux ans. Mais ce n'est pas forcément facile d'un point de vue opérationnel. Le pays qui y parvient le mieux dans la zone euro est la France.
En matière de supervision, peut-être M. Christian Noyer pourra-t-il me relayer pour décrire la coopération entre les superviseurs nationaux et la BCE.