Intervention de Alain Lamassoure

Réunion du 2 avril 2013 à 16h30
Commission des affaires européennes

Alain Lamassoure, Président de la commission des budgets du Parlement européen :

Le bon fonctionnement de l'Union européenne exige la collaboration étroite des parlements nationaux et européen : je suis donc heureux de cette occasion d'échanges. La proposition de résolution européenne sur le CFP que vous venez d'évoquer a été adoptée par 506 voix, contre seulement une centaine. Le Parlement européen y juge la proposition de la Commission globalement raisonnable et rappelle la triple nécessité qui s'impose : gérer le plus strictement possible le budget européen, financer les objectifs communs de l'Union européenne (UE) fixés dans la stratégie Europe 2020 et financer les nouvelles compétences de l'UE issues du traité de Lisbonne. Or, il n'y a jamais eu de débat au Conseil européen pour s'interroger sur la situation actuelle, les nouvelles responsabilités européennes depuis Lisbonne et les conséquences de la crise que traverse l'UE depuis 2008. Comment utiliser au mieux le budget européen sans obérer les budgets nationaux et sans s'enfoncer dans la récession ? Le 8 février 2013, le Conseil européen n'a pas pris une décision sur le cadre budgétaire de l'UE, mais a mis en pièces le budget européen. Le président du Conseil européen, M. Van Rompuy, a tenu 27 « confessionnaux » pour obtenir l'acceptation de chaque paquet national. Finalement, sur le montant total du CFP, alors que la Commission européenne proposait une hausse des crédits, le Conseil européen s'est accordé sur une diminution en volume. Exprimés en part de PIB, les crédits de paiement du CFP représenteraient 0,87 % du PIB, soit le niveau de 1987 ! Entretemps, les dépenses publiques sont passées en moyenne de 40 à 50 % dans les États membres, quatre traités successifs ont élargi les compétences de l'UE et le nombre d'États membres a été multiplié par deux, les nouveaux États étant relativement plus pauvres donc éligibles aux fonds de cohésion. Relativement, le budget de l'UE connaîtrait ainsi un recul. Or, aucun gouvernement national ne s'est engagé à réduire son budget sur sept ans. Les coupes les plus sévères affectent l'agriculture (- 12 %) et la cohésion (- 8 %) ; la rubrique IA qui concerne l'innovation et la recherche est abondée à hauteur de 25 à 30 % mais la répartition des crédits reste à faire au sein de cette rubrique. Finalement, les crédits que l'UE consacre au programme-cadre recherche, sans doute le plus utile à la croissance, pourraient n'augmenter que de 3 pour 10 000.

En outre, le cadre budgétaire sur lequel s'est accordé le Conseil européen est profondément injuste. Il l'est en matière de recettes : le budget européen n'est pas financé par des ressources propres mais par des contributions nationales. La plupart des États membres sont parvenus à ne pas payer proportionnellement à leur richesse : le Royaume-Uni a négocié un privilège à perpétuité, les rabais de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Suède et de l'Autriche, qui devaient expirer en 2013, ont été prolongés et le Danemark devrait aussi en bénéficier dorénavant. La France elle-même aurait obtenu un plafonnement de ce qu'elle paye à la place des autres : rappelons en effet que les contribuables français payent 1 milliard d'euros à la place des contribuables britanniques ! Je remarque que si la contribution des plus riches est ainsi plafonnée, la contribution des États membres au budget de l'UE devient dégressive : les citoyens des États membres les plus pauvres s'en scandaliseraient certainement s'ils le savaient…

Côté dépenses, l'injustice prévaut aussi : les coupes effectuées sur les crédits de la cohésion entraîneraient une diminution de 30 % des crédits à la Grèce, autant pour l'Espagne, - 10 % pour le Portugal, mais une augmentation de 5 % pour la Pologne, de 10 % pour la Slovaquie et de 1 % pour la Suède. Et ceci ne résulte d'aucun critère objectif, juste de la position de force de certains États. Je déplore aussi que le montant de l'aide aux plus démunis soit amputé d'un tiers. Le fonds d'aide à la mondialisation voit son enveloppe divisée par cinq, passant de 500 à 100 millions d'euros par an, alors même que la crise rend ce fonds particulièrement nécessaire. Enfin, les crédits du fonds de solidarité, destiné à répondre aux catastrophes naturelles, connaissent une division par deux.

Il faut bien voir qu'en se privant ainsi d'un minimum de moyens à l'échelle européenne, on se prive aussi de moyens à l'échelon national, car on empêche les économies dans nos budgets nationaux.

Le budget communautaire est un budget d'intervention économique à 94 % – il est conçu pour financer des politiques dont on pense que le rapport coûtefficacité est meilleur à l'échelon européen. Par exemple : si l'on prend l'affaire des viandes frauduleuses, la question qu'il convient de poser est de savoir si un service européen de répression des fraudes ne serait pas plus efficace qu'une collection de services nationaux. Autre exemple : nous pourrions avoir une politique de l'air et des frontières européenne unique avec des agents européens plutôt que d'additionner 27 corps nationaux ; ce serait également une économie.

Le Parlement européen rejette le cadre financier, mais de manière constructive. Nous préconisons trois pistes de négociation :

1 – une clause de révision à mi-parcours, c'est-à-dire en 2017, au moment où les finances des États membres auront normalement retrouvé l'équilibre ;

2 – la nécessité de trouver un accord politique pour financer le budget par de nouvelles ressources propres (la France est d'accord sur ce point et soutient la taxe sur les transactions financières ou l'attribution d'un point de TVA au profit du budget européen).

Mais le Parlement est prêt à examiner d'autres pistes à la condition que ces ressources nouvelles diminuent d'autant les contributions nationales et qu'il s'agisse de ressources dynamiques en rapport avec la croissance économique. La taxe carbone par exemple pourrait être une ressource propre.

3 – La flexibilité, c'est–à-dire la possibilité de transférer d'un chapitre à un autre des crédits non utilisés ou de les reporter d'une année à l'autre. Dans l'actuel cadre, on aurait pu disposer de 70 milliards de plus.

Si le Parlement obtenait satisfaction sur ces trois points, il accepterait le cadre financier tel qu'il est proposé, mais il ne peut accepter que le budget 2013 soit en déséquilibre. L'année dernière, on a renvoyé sur 2013 environ 3 milliards d'euros de paiement qui auraient dû être exécutés en 2012. Nous ne négocierons sur 2014-2020 que si les engagements de 2013 sont bien payés en 2013. Or, les programmes tournent à plein et le niveau des crédits de paiement de 2013 est au plus bas. Un budget rectificatif pour 2013 a été proposé par la Commission européenne, mais y aura-t-il une majorité qualifiée au Conseil pour ajouter 11 milliards ? Et surtout ce budget rectificatif suffira-t-il ?

Nous nous engageons dans une longue négociation qui comprend trois volets :

1 – le cadre 2014-2020 ;

2 – le budget rectificatif de 2013 (il faut financer 2013) ;

3 – le volet législatif qui est un aspect nouveau qui découle du traité de Lisbonne.

Ainsi, le Parlement européen partage le pouvoir législatif avec le Conseil sur toutes les politiques financées par le budget européen. Or, le président Van Rompuy a fait une répartition savante et compliquée des crédits sur laquelle le Parlement a son mot à dire. Le Parlement va donc arbitrer et la modification des retours budgétaires qui en résultera pour certains États membres ne leur plaira pas forcément.

Nous espérons terminer avant la fin de l'année, mais ce n'est pas certain et alors si nous glissons sur 2014, nous serons à la veille des élections européennes et chaque candidat devra présenter son programme de financement.

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