Intervention de Karel De Gucht

Réunion du 16 janvier 2013 à 16h30
Commission des affaires européennes

Karel De Gucht, commissaire européen en charge du commerce :

Je lirai le rapport que vous êtes en train de rédiger avec beaucoup d'attention. Tout dépend de ce que l'on entend par « juste échange ». Si l'on impose à un pays en voie de développement ou émergent les mêmes obligations sociales ou environnementales qu'un pays à économie mature, jamais ce pays ne pourra se développer. Il s'agit plutôt de déterminer quel est le degré de divergence acceptable et les différences que nous sommes prêts à accepter. Le sujet est complexe et nous l'intégrons dans nos négociations avec les pays émergents, mais évidemment beaucoup moins quand nous négocions avec des économies matures comme la Corée du Sud ou peut-être prochainement les États-Unis. On ne peut pas établir le juste échange et la réciprocité parfaite ligne par ligne ; il faut l'appréhender dans une vision globale d'un accord.

En fait, la façon dont ce terme de « juste échange » est utilisé par certains cache une notion très protectionniste vis-à-vis des pays en voie de développement et émergents. Une application à la lettre du juste échange ne serait rien d'autre que du protectionnisme aggravé. D'ailleurs, le cycle de Doha avait démarré sur cette idée d'un décalage nécessaire entre, d'une part, les pays en voie de développement et émergents et, d'autre part, les pays à économie mature. Pour autant, ce décalage ne doit pas concerner tous les domaines. C'est ainsi qu'en matière environnementale et de lutte contre le changement climatique, il faut exiger des règles plus strictes, car tous les êtres humains sur la planète sont directement concernés. En revanche, la protection sociale des travailleurs n'est pas un des critères d'évaluation pour le maintien ou non du régime européen du Everything but arms – Tout sauf les armes – initié par votre compatriote M. Pascal Lamy. Elle relève d'une convention de l'Organisation internationale du travail qui ne figure pas dans l'éventail des conventions qu'un pays doit signer pour bénéficier de ce régime. Pour ma part, je pense qu'elle le devrait, en prévoyant toutefois une application modérée dans la mesure où une évolution aussi brutale serait un frein au développement de ces pays. J'envisage de prendre une initiative en ce sens. La question du juste échange se décline en plusieurs tonalités de gris, pas en noir et blanc, comme certains ont trop tendance à le faire.

Les pays émergents et ceux qui ont émergés il y a vingt ou trente ans, comme le Japon ou la Corée, avaient opté pour une politique qui n'était en fait pas très différente de celle menée actuellement par la Chine. La grande différence entre ces pays, c'est la taille, pas la politique industrielle. Ce que les autres ont fait par le passé, la Chine le fait aussi, mais l'échelle est telle que cela nous pose des problèmes. S'agissant d'un accord sur l'investissement avec ce pays, j'espère pouvoir engager des négociations au cours de l'année. Lors des deux derniers sommets Europe-Chine, les Chinois ont signifié que la protection des investissements ainsi que l'accès aux marchés figureraient à leur ordre du jour. Je ne peux que constater que l'obtention d'un mandat de leur part traîne. C'est aussi pourquoi nous traînons un peu : il serait idiot de nous montrer prêts si la Chine ne se montre pas intéressée. Il faut tout de même un minimum de parallélisme dans les procédures. Si j'espère pouvoir entamer les négociations, cela n'en vaut pas la peine si l'accès aux marchés ne figure pas à l'ordre du jour.

Quant à savoir si l'instrument de réciprocité sur les marchés publics nous aiderait, la question est évolutive. Il est vrai que, par rapport aux marchés publics américains, nos marchés publics sont beaucoup plus ouverts, mais la part des pays émergents y reste très limitée. Ils ont la possibilité d'entrer sur ces marchés mais, jusqu'à présent, ces pays ne l'ont fait que très rarement. Ainsi, chaque contrat n'entraîne pas la participation d'une société chinoise ; ces participations restent exceptionnelles. Mais cette question de la réciprocité est évolutive car, dans l'avenir, les sociétés chinoises se montreront de plus en plus intéressées par nos marchés publics. Il faut s'y préparer, d'autant que, si tel était le cas, nous-mêmes disposerions alors d'un levier sur leurs propres marchés publics. Il faut bien expliquer à notre opinion publique que, pour l'instant, nous ne sommes pas vraiment concurrencés par les sociétés chinoises sur nos marchés publics.

Par réciprocité positive, j'entends qu'un accord de libre-échange implique des concessions réciproques reflétant un équilibre, pas forcément par secteurs – ce qui est très difficile – mais dans sa globalité. Dans une négociation avec un pays développé, les efforts doivent être consentis, pas ligne par ligne, mais par tout moyen qui permette d'obtenir, au final, la satisfaction mutuelle des objectifs poursuivis. Il faut aussi jouer de l'atout important que représente notre marché, le plus grand au monde. Même si la crise économique à laquelle nous sommes confrontés rend les négociations plus difficiles, les autres parties sont en fin de compte très conscientes des opportunités que notre marché leur offre. Sur ce point, on ne peut pas dire que la crise nous affaiblisse.

Le calendrier d'adoption de l'instrument de réciprocité sur les marchés publics est du ressort du Parlement et du Conseil. La Commission présente sa proposition. Elle est actuellement en discussion au Conseil. L'affaire n'est pas très bien engagée dans la mesure où il y a une minorité de blocage. Les choses sont également compliquées au Parlement. Ayant moi-même été parlementaire européen pendant plus de vingt-cinq ans, je sais que le Parlement prendrait mal que l'exécutif commande son calendrier.

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