Intervention de Arnaud Richard

Réunion du 26 février 2013 à 18h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Richard, co-rapporteur :

Une politique de croissance de l'Union européenne est indispensable.

Les 120 milliards d'euros devant être injectés dans l'économie européenne, dans le cadre du pacte de croissance arrêtés lors du Conseil européen de juin 2012, sont en train d'être déployés, et ils ne sont pas concernés par le cadre budgétaire rigoureux fixé pour la période 2014-2020. Mais cette action ne suffira pas au rétablissement de la croissance économique, si cette dernière n'est pas soutenue par des mesures macro-économiques favorables.

Les trois principales mesures du pacte sont à présent concrètement engagées :

– la Banque européenne d'investissements, va « dans les prochaines semaines » augmenter son capital de 10 milliards d'euros, ce qui devrait « porter sa capacité de prêt globale à 60 milliards d'euros » ;

– le projet de réallouer 55 milliards d'euros de Fonds structurels inutilisés est « en bonne voie » ;

– enfin, le programme d'émissions de dette communes, ou « project bonds », pour financer des infrastructures de transport, de télécoms ou d'énergie, est sur les rails. Ainsi, sur l'enveloppe prévue par l'Union européenne, 100 millions d'euros ont déjà été autorisés, et les 130 millions restants doivent être mobilisés début 2013. L'Union européenne espère ainsi lever des investissements pouvant atteindre 4,5 milliards d'euros pour lancer ces grands projets dans leur phase pilote. Reste que l'affectation des fonds - pour beaucoup déjà existants à travers les 55 milliards de Fonds structurels non utilisés - à des projets précis doit encore faire l'objet de négociations entre les États, qui doivent proposer des projets porteurs de croissance, et la Commission, qui a ses priorités, notamment l'interconnexion entre pays européens d'infrastructures de transports, d'énergie et de télécoms, doit de son côté les accepter.

Plus que jamais, il est nécessaire de maintenir la pression sur l'Union européenne afin que celle-ci place la croissance au coeur de ses préoccupations. L'Europe a aussi besoin d'un budget de croissance et de véritables ressources propres. On ne peut pas déconnecter le Pacte de croissance et le signal négatif qu'ont donné les chefs d'États et de Gouvernement le 8 février dernier avec un budget en décalage total avec les ambitions affichées de l'Europe.

Du fait de la faiblesse de la demande intérieure, la zone euro sera probablement en récession, en 2013.

Le FMI a eu l'honnêteté de reconnaître qu'il s'était trompé dans ses calculs économétriques, que la réduction des dépenses publiques entraînait un effet déflationniste plus important que prévu, rendant plus compliqué le retour à l'équilibre budgétaire et entraînant des souffrances considérables pour les populations. La Commission européenne elle-même estime que si l'Union européenne peut espérer une esquisse de croissance économique en 2014, par un niveau accru des échanges extérieur, celle-ci peut être contrariée par une valorisation excessive de l'euro. La volatilité de l'euro, plus que le taux, constitue aujourd'hui un handicap réel pour l'industrie européenne, en particulier pour les pays du sud de l'Europe.

Dans notre rapport en décembre, nous évoquions le fait que les institutions européennes ne doivent pas se cantonner au rôle d'un « cabri » criant « rigueur, rigueur » mais doivent aider les pays de la zone euro à retrouver concrètement le chemin de la croissance économique, seule voie réaliste pour financer le règlement de la dette des États, sans drames sociaux qui seraient de nature à affaiblir l'idée européenne.

À nos yeux cela implique deux actions essentielles.

L'Union européenne doit accorder aux États les délais supplémentaires pour le retour à l'équilibre que justifie la crise économique que nous traversons. Elle le fait sans oser le dire, et cette démarche n'est probablement pas satisfaisante, car les opinions publiques peuvent difficilement comprendre que l'Union ait des exigences inégales selon les pays. C'est pourquoi nous proposions d'exclure les budgets européens de l'assiette des déficits faisant l'objet du contrôle budgétaire de l'Union européenne. En effet les disciplines issues du traité de Maastricht visent à un objectif qui est d'établir la confiance entre les États de la zone euro. Mais cet argument perd de sa pertinence s'agissant de l'Union européenne, dans la mesure où les budgets étant décidés à 27, la notion de contrôle au regard des engagements pris pour le fonctionnement de la zone euro n'a pas lieu d'être. Si une telle disposition était intervenue, nul doute que le débat sur le cadre budgétaire 2014-2020 aurait été facilité. car il n'est pas possible d'exiger des Etats qu'ils compriment leurs dépenses et en même temps qu'ils accroissent leurs contributions au budget européen.

La politique de change doit être décidée par les politiques : le Conseil d'analyse économique a rendu en 2008 un rapport sur la politique de change de l'euro qui va dans le même sens que ce que vient de dire Louis Gallois dans son « Pacte pour la compétitivité de l'industrie française » , à savoir : « le redressement de la compétitivité dans les pays les plus exposés à la concurrence par les prix, et donc en France, est ainsi, pour partie, lié à un niveau plus acceptable de l'euro par rapport aux principales monnaies mondiales. Les économistes fixent ce niveau entre 1,15 et 1,2 dollar pour un euro en parité du pouvoir d'achat. Il importe que l'Eurogroupe, qui en a la responsabilité, appuyé par la BCE qui en a les clés, s'exprime clairement (il ne l'a pratiquement jamais fait dans ce sens). Les marchés fixent la valeur des monnaies mais l'expérience montre qu'ils écoutent ce que disent les responsables politiques et mesurent ce que font les Banques Centrales… » .

Nous partageons totalement cette analyse car la surévaluation et surtout l'instabilité de l'euro - entre 0,8 et 1,6 pour un dollar - constituent un véritable obstacle sur la route du retour à une croissance économique au sein de l'Union européenne. Elle génère également des phénomènes de concurrence déloyale entre les dix pays non membres de l'euro qui ont dévalué leur monnaie, parfois fortement comme le Royaume–Uni et la Pologne venant concurrencer par ce moyen les dix-sept pays membres de la zone euro. Cette concurrence déloyale peut également être insidieuse. Nous le voyons avec la construction automobile allemande qui a beaucoup délocalisé en Europe de l'Est et dont la compétitivité a été dopée par la chute des monnaies locales par rapport à l'euro - le zloty polonais a perdu 40 % depuis 2008.

Les traités sur l'Union européenne prévoient explicitement la possibilité pour le Conseil européen, après consultation de la BCE, de formuler des orientations générales de politique de change de l'euro vis-à-vis des autres monnaies - articles 119 et suivants du TFUE. Mais il existe deux difficultés qui jusqu'à présent n'ont pas pu être surmontées :

– une interprétation de l'indépendance de la Banque centrale européenne qui va au-delà des dispositions des traités et fait considérer comme illégitime une intervention de l'Ecofin alors qu'elle est prévue par les textes ;

– une absence de consensus des pays de l'euro autour d'une orientation de la politique de change, illustrée par la dernière réunion de l'Eurogroupe où la question du taux de change de l'euro a été abordée, comme le souhaitait la France. « La principale conclusion a été que s'il y avait un endroit où cela devait être discuté, ce serait au G20» de Moscou, le Président ayant ajouté qu'il « mettait un point d'honneur à ne pas faire de commentaire sur les taux de change» , méconnaissant ainsi les dispositions de l'article 138 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui dispose qu'» afin d'assurer la place de l'euro dans le système monétaire international, le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte une décision établissant les positions communes concernant les questions qui revêtent un intérêt particulier pour l'union économique et monétaire au sein des institutions et des conférences financières internationales compétentes. Le Conseil statue après consultation de la Banque centrale européenne » .

Or, l'euro a gagné plus de 10 % en six mois, atteignant plus de 1,37 dollar début février, ce qui n'est pas justifié par les fondamentaux de l'économie européenne et handicape nos exportateurs. Les dernières évolutions de la monnaie japonaise venant renforcer ces phénomènes.

La position de la Banque centrale européenne, telle qu'exprimée sur son site internet est la suivante : « La BCE a adopté une attitude de neutralité en ce qui concerne l'usage international de l'euro. Elle n'encourage ni ne décourage l'utilisation de sa monnaie hors de la zone euro, considérant qu'elle doit être essentiellement l'expression du libre jeu des forces du marché. »

Néanmoins, le président Mario Draghi, lors de son intervention récente du 18 février devant la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, tout en réaffirmant que le taux de change de l'euro ne faisait pas partie des objectifs de la politique de la BCE, a reconnu qu'il était « important pour la croissance et la stabilité des prix » , précisant qu'il pourrait faire baisser exagérément l'inflation. Il a précisé : « Nous devons analyser dans nos prochaines projections si le taux de change a eu un impact sur notre profil inflationniste, car c'est toujours à travers la stabilité des prix que nous traitons de questions comme celle-là » .

La nécessité d'une représentation unifiée de la zone euro dans les organisations économiques et financières internationales (FMI, et Banque Mondiale) est évidente ; l'article 219 TFUE permet au Conseil de conclure des accords internationaux portant sur un système de taux de change vis à vis des monnaies d'États tiers (dans ce cas, le conseil statue à l'unanimité après consultation du PE). Nous pouvons nous étonner que cette disposition n'ait jamais été mise en oeuvre.

A l'évidence l'euro ne peut pas être la seule grande monnaie dont le taux de change n'est pas géré, faute de compromettre la croissance économique de la zone, avec toute les conséquences sociales que cela implique, d'où la résolution qui vous est soumise.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion