Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 4 décembre 2012 à 16h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteure :

La Commission européenne a présenté une proposition de directive visant à améliorer la protection pénale des intérêt financiers, en faisant converger les dispositifs juridiques nationaux. Ce texte esquisse la mise en place d'un parquet européen.

Par « intérêts financiers de l'Union », on entend l'ensemble des recettes perçues et des dépenses exposées relevant du budget de l'Union européenne et de ses institutions. Par extension, sont également concernés les actifs des États membres lorsqu'ils sont destinés à soutenir ou stabiliser leur économie ou leurs finances publiques dans une perspective pertinente pour les politiques de l'Union.

D'après son rapport annuel sur la lutte contre la fraude, la Commission européenne dénombre pas moins de 1 230 « irrégularités budgétaires frauduleuses » commises en 2011, pour un volume financier cumulé de 404 millions d'euros de fonds publics, correspondant soit à des crédits communautaires indûment encaissés, soit à des ressources propres potentielles soustraites à la perception.

Le phénomène est en recul sensible par rapport à 2010, ce qui témoigne, d'une part, des bons résultats des procédures mises en place par la Commission européenne pour traiter les irrégularités et, d'autre part, de l'amélioration générale des systèmes de gestion et de contrôle des États membres.

Il n'en demeure pas moins que des différences significatives persistent entre les approches adoptées par ces derniers dans leurs procédures d'analyse des irrégularités, certains d'entre eux continuant de notifier des taux très bas de fraude. À cet égard, la Commission européenne préconise que les États membres rendent compte de la façon dont ils entendent adapter leur organisation pour mieux contrôler les secteurs ciblés comme présentant un risque fort d'irrégularités frauduleuses.

L'article 325 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) organise le partage des responsabilités entre l'Union européenne et ses États membres pour lutter contre la fraude, sans évoquer, notons-le, le recours au droit pénal.

L'Union européenne dispose déjà d'un corpus juridique faisant obligation aux États membres de fixer des règles minimales de droit pénal pour protéger ses intérêts financiers, fondé sur la Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes du 26 juillet 1995.

L'action s'appuie sur l'Office de lutte antifraude (OLAF), créé en 1999. Intégré à la Commission tout en bénéficiant d'un statut d'autonomie dans l'exercice de ses activités, sous le contrôle d'un comité de surveillance, l'OLAF mène des enquêtes administratives puis, en cas de besoin, transmet ses conclusions aux autorités judiciaires nationales.

Mais ces instruments se sont révélés insuffisants pour atteindre le haut niveau de protection attendu, ce qui nuit à la crédibilité de l'Union dans ses efforts de rigueur budgétaire et d'optimisation de l'argent du contribuable, sur le volet des recettes comme sur celui des dépenses.

Le dispositif juridique de protection des intérêts financiers de l'Union en vigueur souffre des déficiences suivantes : les capacités de détection des activités criminelles sont faibles et les mesures de suivi insuffisantes ; les sanctions ne sont pas assez dissuasives ; le taux de recouvrement des sommes perdues est bas.

Les membres du Parlement européen et les experts consultés par la Commission européenne ont convenu de l'existence de ces graves déficiences et ont recommandé une accentuation de la répression pénale des fraudes. En conséquence, elle propose de nouvelles mesures, à travers la proposition de directive qui vous est soumise aujourd'hui.

Le champ des infractions pénales couvrira désormais : la communication d'informations fausses, la non-communication d'informations requises ou le détournement de fonds en vue de percevoir indûment des crédits européens ou de se soustraire au versement de contributions participant aux ressources budgétaires européennes ; la communication ou la non-communication intentionnelle d'informations dans le but de fausser la passation d'un marché public ou l'instruction d'un octroi de subvention ; le blanchiment de capitaux ; la corruption passive ou active ainsi que le détournement de fonds par agent public ; le fait d'inciter à commettre un tel acte, de s'en rendre complice ou de tenter de le commettre.

Les États membres devront veiller à ce que les personnes physiques convaincues des infractions que je viens d'énumérer « soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives ».

Pour les faits de blanchiment de capitaux et de corruption ayant occasionné un préjudice de 30 000 euros ou plus, et pour tous les autres faits ayant occasionné un préjudice de 100 000 euros ou plus, une fourchette de peines d'emprisonnement allant de six mois minimum à cinq ans maximum est prévue.

Lorsque les actes dénoncés présenteront la circonstance aggravante d'avoir été commis dans le cadre d'une organisation criminelle, la peine maximale devra être d'au moins dix ans.

En outre, les produits et instruments des infractions devront être gelés ou confisqués.

La prescription aux termes de laquelle l'enquête, les poursuites, le jugement et la décision judiciaire deviendront impossibles ne pourra être fixée à moins de cinq ans à compter de la date de la commission de l'infraction. Pour contrecarrer les stratégies de soustraction à la justice, les États membres veilleront en outre : à ce qu'un nouveau délai, courant jusqu'à dix ans au moins à compter de la date de commission de l'infraction, soit enclenché à la suite de tout acte d'une autorité nationale compétente ; à ce que les peines infligées au titre de condamnation définitive puissent être exécutées pendant une période courant jusqu'à dix ans au moins à compter de la date de ladite condamnation.

Les autorités françaises soutiennent l'idée d'une action coordonnée conduite à l'échelon européen pour améliorer la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Toutefois, la transposition en droit français de la proposition de directive nécessiterait, en l'état, des mesures d'adaptation juridique extrêmement délicates.

Deux dispositions, en particulier, sont clairement incompatibles avec des principes du droit pénal français.

Premièrement, pour respecter les droits des justiciables, il conviendrait de réduire les délais de prescription prévus dans la proposition de directive : à trois ans, au lieu de cinq ou de dix ans selon les cas, pour ce qui concerne l'enclenchement de l'action publique ; de dix à cinq ans pour ce qui concerne l'exécution des peines.

Deuxièmement, la proposition de directive prévoit un système de fourchettes de durées d'emprisonnement. Or, en vertu des principes d'individualisation et de nécessité des peines, les peines minimales ont été abandonnées, dans notre pays, avec l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, en 1994. Cette règle supporte actuellement une unique exception : les personnes condamnées en situation de récidive légale sont passibles de peines dites « planchers ». Les négociateurs français devront obtenir l'assurance que le juge restera libre de s'affranchir du seuil minimal de peine théorique, en accordant le bénéfice de circonstances atténuantes, faute de quoi il importera qu'ils obtiennent la suppression pure et simple de la référence à un seuil de peines.

Comme nous l'avions mis en évidence, avec notre collègue Guy Geoffroy, dans notre rapport d'information de juin 2011 relatif au parquet européen, la lutte contre la grande criminalité transnationale appelle une réponse forte et commune de l'Union européenne palliant les insuffisances de la coopération judiciaire pénale et le morcellement de l'espace judiciaire européen. Nous y soutenions la création d'un parquet européen, conformément à l'article 86, paragraphe 1, du TFUE.

Une délégation de l'OLAF et de la direction générale justice de la Commission européenne, qui s'est déplacée à l'Assemblée nationale vendredi dernier, nous a apporté des informations précises et détaillées quant à une future proposition de règlement à ce sujet : en cours d'élaboration, elle devrait être adoptée par le collège des commissaires européens en milieu d'année 2013.

Ce texte tendrait à la création d'un parquet européen intégré, autour d'un office central, coordonnant l'action d'un réseau de procureurs nationaux des États membres participants.

L'idée est de bâtir une structure légère, appuyée sur les moyens des juridictions des États membres, ainsi que sur les ressources de l'OLAF et d'Eurojust. Chaque État membre désignerait parmi ses procureurs des « procureurs européens », possédant la double casquette : ils continueraient à travailler au profit de leur parquet national ; quand ils auraient à traiter d'une affaire impactant les intérêts financiers de l'Union, ils agiraient au titre du parquet européen.

Dans un premier temps, ce parquet européen serait uniquement chargé des questions relatives à la protection des intérêts financiers de l'Union. Si cette option peut apparaître en retrait par rapport aux orientations préconisées dans notre rapport d'information de juin 2011, force est de reconnaître qu'elle obéit au réalisme. En effet, plusieurs pays sont opposés à l'idée même d'un parquet européen, et seule la protection des intérêts financiers de l'Union échappe à l'obligation d'unanimité. L'essentiel est de dépasser les notions de souveraineté nationale et de coopération internationale pour intégrer l'action pénale et ainsi éviter les conflits entre juridictions des États membres, quand ce n'est leur inaction.

Mais il ne faut pas perdre de vue le « programme de Stockholm », qui prévoyait l'élaboration d'un système global d'obtention de preuves dans les affaires revêtant une dimension transfrontalière. Une fois le parquet européen constitué et son efficacité reconnue, il conviendra d'avancer dans cette direction pour repousser les marges de ses compétences.

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