Intervention de Arnaud Leroy

Réunion du 21 janvier 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Leroy :

Je commencerai en évoquant l'organisation de notre travail. Les relations qui peuvent être nouées avec nos collègues du Parlement européen, indépendamment de nos appartenances politiques, constituent à mon sens un vrai sujet de réflexion. Dans le cas présent, j'ai pu travailler en bonne intelligence avec le rapporteur du programme au Parlement européen, notre compatriote Gaston Franco – qui siège dans les rangs du Parti populaire européen (PPE) et est membre de l'UMP – sur les positions que notre pays entendait défendre sur ces questions.

Je me réjouis de l'occasion qui m'est offerte de vous informer sur ces thématiques. En choisissant de siéger à la commission des affaires européennes, je me suis assigné un devoir d'information vis-à-vis de la commission du développement durable. La seconde partie de mon exposé – qui sera consacrée au programme LIFE – répond exactement à ce devoir d'information.

L'accord politique sur le 7ème PAE est tout récent : le Parlement européen a voté le 21 novembre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais demandé que cette audition soit repoussée.

Les programmes d'action pour l'environnement ont contribué, depuis trente ans, à l'élaboration du corpus juridique qui organise aujourd'hui les politiques environnementales communautaires. La politique environnementale est l'une des rares à être citée par nos concitoyens dans les sondages : elle est l'un des succès de l'Europe, en particulier en France, même si notre pays peut sembler « à la traîne » sur des dossiers comme les nitrates ou la politique de l'eau.

Les premières actions communautaires en faveur de l'environnement ont débuté en 1972, dans le cadre des quatre premiers programmes d'action. Durant cette période, près de deux cents actes législatifs, fixant essentiellement des normes minimales à respecter par les États membres, ont été adoptés. Il s'agissait essentiellement de traiter de la gestion des déchets, de l'émission de polluants dans l'air ou encore de la qualité des eaux. Ce n'est qu'en 1992 que le traité sur l'Union européenne conférera à l'environnement le rang de politique – ce qui explique la montée en puissance de ce thème dans les directives et règlements communautaires. Une page est alors tournée : la première période normative et sectorielle s'achève alors.

C'est avec le 5ème PAE, intitulé « Vers un développement soutenable », que l'on observe un changement de cap significatif, avec le passage de la norme à la stratégie. C'est en effet ce programme qui posa les principes d'une stratégie européenne volontariste pour la période 1992-2000, et qui marqua le début d'une action communautaire horizontale, c'est-à-dire s'appliquant à l'ensemble des secteurs d'activité – transports, énergie, tourisme, agriculture... Le verdissement de la PAC – qui reste un enjeu – est une réminiscence de ce débat. Il est à noter que cette approche horizontale est parfois complexe à mettre en oeuvre.

Plus récemment, le 6ème PAE a marqué une nouvelle orientation de la politique européenne en matière d'environnement. Adopté en 2002, il avait vocation à constituer le volet environnemental de la stratégie européenne en faveur du développement durable – que nous avons déclinée à l'échelle nationale – et à contribuer à la réalisation de la stratégie de Lisbonne.

Celle-ci devait faire de l'Europe « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ». La crise est passée par là ; la stratégie de Lisbonne s'est abîmée dans les flots, et nous en sommes aujourd'hui à essayer de reconstruire une ambition. Néanmoins, la grande majorité des actions qui étaient programmées sur le volet environnemental ont été réalisées ou sont en passe de l'être.

Même si cela n'a pas suffi à mettre un terme à l'appauvrissement de la biodiversité, le réseau Natura 2000 s'est étoffé. Il a pour objectif de maintenir la diversité biologique des milieux, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales dans une logique de développement durable, en sachant que la préservation d'aires protégées et de la biodiversité présente aussi un intérêt économique à long terme – ce qu'il nous faut démontrer sans relâche, comme nous le ferons avec le projet de loi relatif à la biodiversité.

La protection de la santé humaine a été l'un des objectifs de nombre de politiques environnementales, notamment celles relatives à l'air, à l'eau et aux produits chimiques. Je pense aux difficultés de mise en oeuvre du règlement REACH, ou encore aux normes d'émission – dont nous sommes régulièrement conduits à discuter, notamment en région parisienne, du fait de la pollution de l'air.

Le lien entre les politiques relatives aux déchets et aux ressources a été renforcé. Les directives relatives à l'écoconception et aux recyclages se sont intensifiées, et de vrais progrès ont été accomplis.

Une contribution réelle a été apportée dans le domaine du changement climatique, grâce à la fixation de priorités et à la mobilisation institutionnelle. C'est grâce à cette mobilisation et à ces engagements que le paquet climat-énergie a vu le jour. Trois objectifs ont été fixés : diminuer de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, réduire de 20 % la consommation d'énergie, et atteindre 20 % d'énergies renouvelables dans le bouquet énergétique d'ici à 2020. La France a d'ailleurs joué un rôle moteur dans l'adoption de ce paquet climat-énergie.

Enfin, l'Union a confirmé ses engagements en faveur de la prise en considération de l'environnement dans ses relations extérieures. C'est la « diplomatie verte », initiée sous le gouvernement de Lionel Jospin.

Le 6ème PAE ayant expiré en juillet 2012, la Commission européenne, en réponse à une commande politique insistante du Conseil et du Parlement européen, mais aussi aux attentes de la société civile, a déposé une proposition de décision relative à la mise en oeuvre d'un 7ème PAE pour les années 2014-2020. J'insiste sur le fait que telle n'était pas son ambition à l'origine : elle souhaitait au contraire mettre fin à ces programmes cadres. En réponse à la question du président Chanteguet sur la valeur de ces documents, je précise qu'il s'agit de documents de stratégie et d'orientation – ce qui n'empêche pas d'y trouver un inventaire des normes à proposer sur la période considérée.

Avec le 7ème PAE, on cherche à sortir du catalogue. Il a pour objet d'intensifier la contribution de la politique de l'environnement à la transition vers une économie efficace dans l'utilisation des ressources, à faibles émissions de carbone, préservant le capital naturel de l'Europe et la santé de ses citoyens.

Le contexte économique et social de ce PAE est particulier : il s'agit d'être ambitieux pour l'environnement, sans obérer la compétitivité et le développement économique en Europe.

Le PAE adopté définit donc neuf objectifs prioritaires : inverser les tendances néfastes à la protection, à la conservation et à l'amélioration du capital naturel européen, avec l'émergence, à côté du concept de capital issu des ressources financières, de celui de « capital vert » ; faire de l'Union une économie efficace dans l'utilisation de ces ressources vertes, compétitives et à faibles émissions de carbone – la feuille de route pour l'énergie à l'horizon 2050, qui fait l'objet de trop peu de publicité, engage l'ensemble des partenaires européens en ce sens ; protéger contre les pressions et les risques pour la santé et le bien-être liés à l'environnement ; tirer le meilleur profit de la législation européenne, les législations communautaires environnementales étant celles qui sont le moins mises en oeuvre, sans doute parce qu'elles privilégient la sanction plutôt que l'explication et l'aide aux États confrontés à des difficultés ou un manque de compétences – j'ai moi-même demandé au cabinet du commissaire en charge de l'environnement d'essayer de prendre cet élément en considération ; perfectionner la base de connaissances qui étaye la politique de l'environnement ; garantir la réalisation d'investissements à l'appui des politiques environnementales et climatiques, et assurer des prix justes, c'est-à-dire qui englobent les externalités ; mettre davantage en cohérence les politiques environnementales – politique de protection de l'eau, PAC ; renforcer le caractère durable des villes européennes ; accroître l'efficacité de l'Europe dans la lutte contre les problèmes qui se posent à l'échelle régionale et mondiale. Je pense notamment aux changements climatiques, qui ont un impact sur la sécurité du continent et sur les mouvements migratoires, avec le développement d'une nouvelle catégorie de réfugiés, les réfugiés climatiques, qui sont aujourd'hui des apatrides faute de statut juridique approprié. L'Union devra se doter d'instruments juridiques pour accompagner ces changements, qui sont inéluctables.

Ces orientations reprennent les objectifs de développement durable établis à la Conférence des Nations unies de Rio+20 dans les domaines du climat, de la gestion de l'eau et de la biodiversité.

L'adoption de ce 7ème PAE ne nous dispense cependant pas d'une analyse critique de la conception, de la coordination et de la mise en oeuvre des politiques environnementales européennes.

Le problème ne tient pas tant au manque de normes et de législations environnementales qu'à l'absence d'application de ces normes. Les textes existent ; il ne manque parfois que la volonté politique de les faire appliquer – et les moyens.

Le texte met donc l'accent sur la nécessité de respecter scrupuleusement les textes en vigueur et à venir. Il en va de l'efficacité globale de l'arsenal réglementaire européen, mais aussi de la crédibilité des institutions de l'Union.

Cette exigence se heurte toutefois à la réalité. Les États membres rencontrent des difficultés techniques ou matérielles, qui se font plus aiguës en période de crise et de restructurations, pour transposer et appliquer l'ensemble des règles en vigueur, ce qui conduit à de trop nombreuses infractions. Il convient donc d'imaginer un système plus constructif de prévention des contentieux, à travers trois mesures : n'édicter que des normes applicables, en évitant la « micro-réglementation » ; mettre en place des jumelages entre États membres avancés et États membres plus « à la traîne » en matière de respect de l'environnement ; constituer des équipes d'inspection environnementale mixtes entre les services de l'Union et les administrations nationales des États membres, afin d'assurer l'application de ces normes par un système de peer review.

Ces mesures doivent permettre d'améliorer l'application des textes et le respect des directives adoptées. La société doit également mieux s'approprier les questions environnementales.

La défense de nos intérêts pâtit souvent du défaut d'influence de notre pays à Bruxelles et du manque de coordination, que ce soit entre parlementaires européens ou entre parlementaires nationaux et européens. Nous avons pu le constater encore récemment à l'occasion de la constitution des listes européennes françaises pour les prochaines élections : Nous en sommes encore à réfléchir sur le thème « compétences ou récompenses ». Or il faudra bien nous prononcer à terme.

Pour mettre plus facilement ces sujets au coeur du débat public, et pour que la résonnance du texte puisse aller au-delà du public cible, il faut aussi que les thématiques écologistes s'extraient d'un certain « entre soi », notamment lorsqu'il s'agit de la santé environnementale. Les problèmes environnementaux doivent être concrets et aller au-delà du lointain dérèglement climatique ou de l'extinction d'espèces protégées plus ou moins exotiques. Le texte doit se focaliser sur des problèmes réels qui touchent au quotidien de chacun des citoyens. La santé ou l'emploi en sont de bons exemples.

La portée générale de ce 7ème PAE offre également une chance pour réorienter notre modèle économique vers la compétitivité et la croissance verte. La valorisation économique de l'environnement constituerait une véritable révolution conceptuelle, avec, en son coeur, la rémunération des services environnementaux. Là encore, je pense au verdissement de la PAC. Cette marche vers l'économie verte est le seul moyen, pour les sociétés avancées, de sortir par le haut de la crise environnementale et de rassurer les opinions publiques, en combinant un objectif de protection de l'environnement et des espaces de vie et une approche en termes d'emploi.

Cette réorientation générale doit permettre d'amorcer un New Deal environnemental en faveur de la croissance verte, mais aussi de l'emploi vert. Prenons l'exemple des énergies renouvelables : en plus d'une valeur ajoutée environnementale, elles fournissent un plus grand nombre d'emplois par kilowattheure produit que ne pourraient le faire l'énergie nucléaire ou les énergies fossiles. C'est cette valorisation de l'action environnementale au quotidien qui doit être encouragée pour permettre une plus grande prise de conscience de la société.

La mutation verte du système économique européen passe par plusieurs politiques clés. La première est le semestre européen, qui est le cadre dans lequel les États membres alignent leurs politiques économiques et budgétaires sur les règles et objectifs arrêtés au niveau de l'UE. C'est dans cette négociation que des orientations environnementales doivent être décidées en commun – et partagées par les Parlements nationaux.

La deuxième politique clé, ce sont les politiques sectorielles comme la politique industrielle, la PAC, la politique commune de la pêche ou les fonds structurels. La réorientation de la PAC va dans ce sens : elle permet d'orienter les budgets européens vers des mesures plus environnementales et moins polluantes.

Les négociations climatiques internationales constituent la troisième de ces politiques clés. La voix de l'Union doit porter, mais surtout être une. Il faut que l'Europe sache renforcer son poids dans ces négociations et fédérer d'autres États autour d'elle afin d'orienter et d'influencer les négociations mondiales.

L'action pour le climat peut être considérée comme un dossier chapeau, couvrant pratiquement l'intégralité des neuf axes prioritaires que j'ai évoqués. C'est d'ailleurs en la matière que la Commission Barroso II peut se targuer de l'un de ses bilans les moins contestés, ne serait-ce qu'avec la mise sur pied de la direction générale (DG) « Action pour le climat ».

Pour relancer l'action de l'Union en faveur du climat, il me semble préférable de mettre en perspective des projets constructifs.

Première idée : sur la période de programmation budgétaire 2014-2020, 20 % des crédits communautaires seront alloués aux politiques climato-compatibles. Il importe que la Commission européenne explique quels gisements elle compte exploiter pour appliquer cette mesure, en identifiant clairement les filières éligibles.

Deuxième idée : il faut réfléchir à la mise en oeuvre d'une fiscalité verte, passant par le transfert d'une partie de l'effort fiscal sur le coût environnemental. Nous sommes en train d'en débattre en France, mais cette thématique de la fiscalité verte fait aussi l'objet de discussions à l'échelle européenne, le commissaire Potocnik essayant de verdir les questions financières dans le cadre du semestre européen.

Troisième idée : il convient de préparer avec soin le rendez-vous diplomatique de la Conférence des parties de 2015, qui se tiendra en France, au Bourget. Après les échecs des dernières années, la session de 2015 peut être considérée comme la dernière chance de la communauté internationale d'obtenir des résultats tangibles, et surtout de valider une méthode qui a présenté quelques lacunes jusqu'à présent.

J'en viens à l'évolution du programme LIFE pour la période 2014-2020. L'actualité y a récemment fait écho, la Cour des comptes européenne ayant mis en évidence certaines défaillances ou faiblesses du programme : défaillances de conception et de mise en oeuvre, évaluations insuffisamment justifiées, cadre de surveillance pas assez rigoureux, manque de contrôle sur le caractère raisonnable des coûts des projets.

Cette remise en cause survient au moment où les institutions européennes donnent un nouvel élan à ce programme. Pour la période 2014-2020, il se voit doter d'un budget en hausse de 43 %, pour atteindre 3,4 milliards d'euros. Ce budget inclut près de 860 millions d'euros pour le sous-programme LIFE « Action pour le climat », soit un triplement par rapport à la période 2007-2013, qui reflète la priorité accordée à la lutte contre le changement climatique, aussi bien dans le budget général que dans les budgets dédiés.

De nouveaux objectifs ont également été assignés au programme. L'instrument LIFE 2014-2020 est censé dégager des moyens nouveaux pour mettre en oeuvre plus uniformément et plus complètement la législation communautaire, permettre à la Commission européenne de mieux définir les priorités, lui donner la possibilité d'intervenir plus efficacement que les États membres en sélectionnant les meilleurs projets, qui peuvent concerner plusieurs États, comme c'est souvent le cas pour les régions de montagne, offrir une plateforme pour les échanges d'expériences et la mise au point des meilleures pratiques, et enfin augmenter la visibilité de l'action dans les domaines de l'environnement et du climat.

Le fonctionnement et le financement du programme LIFE sont aussi optimisés.

L'accord prévoit des taux de cofinancement en progression par rapport à LIFE+ et différenciés selon les types de projet : 75 % pour les projets habitats et espèces prioritaires, 60 % pour les projets intégrés et les projets nature et biodiversité, et 55 % pour les autres projets.

Cette nouvelle orientation du programme LIFE permet aussi des avancées significatives pour la France.

Premièrement, une importance singulière est accordée aux projets consacrés à la conservation de la nature et de la biodiversité, notamment en vue de développer le réseau Natura 2000. 55 % au moins des crédits de LIFE leur seront alloués entre 2014 et 2020, ce taux étant susceptible d'être porté à 65 % si nécessaire, au lieu de 50 % jusqu'à présent. Il deviendra possible de financer, dans ce cadre, de meilleures pratiques.

Deuxièmement, les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) seront dorénavant éligibles aux aides du programme LIFE. Or compte tenu de leurs richesses naturelles, la biodiversité représente pour eux un enjeu majeur. Les ONG attendaient d'ailleurs cette mesure car les projets qui sont menés dans les PTOM – notamment français – manquent cruellement de financements.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion