Intervention de Serge Michailof

Réunion du 15 janvier 2014 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Serge Michailof, professeur à Sciences-Po, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques, IRIS :

Le lien entre droit et développement, et plus largement entre sécurité et développement, est trop souvent occulté, alors qu'il est fondamental. En effet, dans les pays déstructurés par des conflits, à la sortie de crise, la première des choses que demande la population, avant même de pouvoir se nourrir, est que justice soit rendue et que sa sécurité soit assurée. Si en Afghanistan la situation a aussi mal tourné, c'est que personne n'y a sérieusement traité les problèmes de sécurité et de droit. Ceux-ci devraient figurer en tête des priorités pour la période post-2015.

Je pense que les Objectifs du millénaire et les grands programmes sociaux dans les pays très pauvres devraient être financés par la taxe sur les transactions financières. C'est le seul moyen de sécuriser sur le très long terme les financements nécessaires. Lorsqu'on a défini les Objectifs du millénaire, on a cru qu'il suffirait d'éduquer les populations et d'améliorer leur santé pour que le développement suive. Or, dans certains pays, cette dynamique ne s'est pas enclenchée. Il faudra continuer d'y financer à long terme non pas des investissements, mais des charges récurrentes, de surcroît appelées à s'accroître du fait de la croissance démographique. Pour que l'aide ne soit pas soumise aux aléas budgétaires, il n'y a pas d'autre moyen que d'y affecter l'essentiel du produit des financements innovants.

Je n'oppose pas bilatéralisme et multilatéralisme. Je dis simplement que si on souhaite utiliser intelligemment l'aide multilatérale, il faut pouvoir s'appuyer sur une aide bilatérale suffisante. À défaut, nous en serons réduits à « bricoler » dans notre coin des choses inutiles. De même, prêts et dons ne sont pas exclusifs. Les premiers sont adaptés pour aider par exemple au financement d'infrastructures comme le métro de Bangalore ou Hanoï. D'autres pays ont besoin de dons. Il faudrait donc, parallèlement au développement des prêts, augmenter très fortement l'enveloppe des dons.

Je ne crois pas du tout à une union monétaire ouest-africaine. L'intégration du Nigéria dans la zone franc, outre qu'elle serait ingérable, serait contre-productive. Le problème de la zone franc reste pendant. Sans qu'il y ait urgence à le régler, il devra à terme être posé. Que la politique monétaire soit définie à Francfort et non dans les pays concernés conduit notamment à une surévaluation. Dans le temps très limité qui m'est imparti, je ne peux traiter plus en détail de ce sujet complexe.

La croissance démographique est une donnée essentielle, qui pèse sur le développement, on ne le dit pas assez. Lors de son indépendance, le Niger comptait trois millions d'habitants. Lorsque j'y travaillais pour le compte de l'AFD, la population était passée à huit millions. On y compte aujourd'hui 16 millions d'habitants, et sur la base des projections actuelles, ils devraient être de 55 à 58 millions en 2050 – et même 200 millions en 2 100 ! Or, ce n'est tout simplement pas possible : le pays ne possède pas les ressources agricoles nécessaires et on ne voit pas sur quoi y fonder le développement d'industries ou de services. C'est bien pourquoi je disais tout à l'heure que le Mali n'était que la partie émergée de l'iceberg. Les pays du Sahel sont dans une impasse démographique, surtout dans un contexte de stagnation agricole. Et loin du Sahel, les mêmes problèmes se retrouvent en Afghanistan.

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