Intervention de Michel Sapin

Réunion du 22 janvier 2014 à 17h15
Commission des affaires sociales

Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Je veux commencer par vous dire que je pourrais, ô combien, partager les regrets qui ne manqueront pas de s'exprimer sur le caractère contraint du calendrier d'examen de ce texte important. Mais c'est le résultat d'un équilibre entre le temps nécessaire à l'élaboration de la loi et l'urgence qu'il peut y avoir à mettre en oeuvre certaines dispositions. S'agissant de la formation professionnelle, l'urgence est évidente même si le sujet est abordé depuis longtemps, donnant lieu à des rapports nombreux mais qui tous aboutissaient à une même conclusion : si la réforme de 1971 a permis des avancées considérables pour les salariés, pour les entreprises et, plus généralement, pour l'économie française, elle est inadaptée à la situation actuelle, celle d'un chômage de masse, touchant déjà deux millions de salariés en 2007 et trois millions aujourd'hui, sous l'effet de la crise et, peut-être aussi, des politiques menées dans son sillage.

Il était donc urgent de réformer et, comme vous l'avez dit, Madame la Présidente, nous avons souhaité le faire suivant une méthode désormais éprouvée : celle du dialogue social et de la négociation. La démocratie sociale ne date pas d'hier et les partenaires sociaux, patronat comme syndicats, ont fait la démonstration de son intérêt. L'accord sur la formation professionnelle est en effet le quatrième conclu en un peu plus d'un an, après ceux qui portaient sur le contrat de génération, sur la sécurisation de l'emploi et sur la qualité de la vie au travail. Nous aurons d'ailleurs bientôt l'occasion de faire un premier bilan de la loi sur la sécurisation de l'emploi : cela nous permettra de constater qu'elle a profondément modifié les relations dans les entreprises.

Le dialogue social est donc aujourd'hui bien vivant mais il était nécessaire, et c'est l'un des aspects très importants de ce texte, d'asseoir définitivement sa légitimité ; pour cela, il fallait assurer la transparence sur le financement des institutions sociales et régler la question de la représentativité des partenaires sociaux.

La question de la représentativité des organisations syndicales a été pour l'essentiel traitée par la loi de 2008 ; l'audience des syndicats est mesurée dans des conditions non discutées et non discutables, et nous savons désormais très précisément quel est le poids de chacun lorsque vient le moment de signer un accord interprofessionnel, de branche ou d'entreprise. Il fallait seulement procéder, ce que nous faisons ici, à quelques ajustements tout à fait consensuels. Il restera, mais ce n'est pas urgent, à discuter du scrutin dans les très petites entreprises, où le vote se fait sur un sigle, sans qu'une personne soit élue : cela pose problème à certaines organisations syndicales, ce que je comprends. Mais nous disposons d'ici aux prochaines élections d'un peu de temps, qu'il faudra mettre à profit, pour trouver une solution satisfaisante.

Sur la représentativité des organisations patronales, en revanche, tout restait à faire : rien ne permet aujourd'hui de mesurer leur poids au niveau national et surtout au niveau des branches professionnelles où, comme j'ai pu le constater à l'occasion de l'accord concernant le cinéma, nous ne retrouvons pas toujours les trois organisations les plus connues, mais d'autres dont la représentativité est bien difficile à apprécier. Nous avons demandé aux organisations patronales de nous faire des propositions, mais elles n'y sont pas parvenues ; j'ai donc demandé au directeur général du travail de me faire, à son tour, des préconisations, qui sont pour l'essentiel reprises dans ce projet de loi. À l'avenir, nous pourrons donc évaluer, de façon transparente, le poids des organisations patronales.

Le financement de la démocratie sociale a fait l'objet de critiques nombreuses, parfois fondées, mais il est aussi la source de nombreux fantasmes et l'occasion fréquente de dénigrer les organisations tant patronales que syndicales. Il était d'ailleurs plus difficile de mettre de l'ordre dans le financement des premières que des secondes. Ce projet de loi applique à toutes le même traitement : celui de la transparence, tant en ce qui concerne l'origine des fonds qu'en ce qui concerne les critères de financement.

Bien entendu, pour assurer l'indépendance de ces organisations, il est nécessaire que les cotisations de leurs adhérents constituent leur première source de revenus. Mais si celles-ci peuvent couvrir leurs dépenses de fonctionnement, nous sommes tous d'accord pour confier aux partenaires sociaux des tâches d'intérêt général, qui entraînent des frais – gestion paritaire d'organismes de formation professionnelle, de l'UNEDIC, de l'ARRCO… ou participation à la gestion des organismes de sécurité sociale. De même, lorsque nous leur demandons de négocier des accords, c'est encore d'une tâche d'intérêt général qu'il s'agit. Il est légitime que ces missions soient financées, de façon transparente.

L'origine des fonds doit être claire : c'est pourquoi nous séparons définitivement l'argent de la formation professionnelle de celui qui est destiné à financer les organisations syndicales et patronales, financement du paritarisme compris. L'attribution des fonds à chaque organisation doit se faire dans la même clarté : le fonds paritaire, dans lequel l'État sera extrêmement présent par l'intermédiaire d'un commissaire du Gouvernement, et qui rendra des comptes très précis, redistribuera ces sommes selon des critères objectifs, en fonction de la représentativité des organisations et de la nature des missions financées, étant entendu que la contribution au paritarisme doit donner lieu, par définition, à une répartition égalitaire.

Visant donc à assurer la pérennité et la transparence de la démocratie sociale, ce projet de loi traite aussi de la formation professionnelle, en transcrivant l'accord national interprofessionnel du 14 décembre dernier. Je ne reviendrai à cet égard que sur quelques principes – mais ceux-ci sont décisifs.

La loi de 1971, votée dans un contexte différent puisque le chômage était alors très bas, avait introduit de très grandes améliorations en créant une obligation de formation : d'où la contribution de 1 % de la masse salariale, ramenée par la suite à 0,9 %, qui a permis pendant des années de renforcer considérablement les qualifications dans l'entreprise. Mais, ensuite, on a atteint un plafond et on a même commencé à constater une diminution de l'effort de formation. On a aussi pu noter que ces formations bénéficiaient plus souvent aux hommes, à ceux qui occupaient une place élevée dans la hiérarchie de l'entreprise et à ceux qui étaient déjà qualifiés – alors qu'elles devraient d'abord aller à ceux qui en ont besoin pour trouver un emploi ou pour obtenir une promotion.

La qualification permet de mieux affronter les aléas économiques, les premières victimes des licenciements étant toujours les salariés les moins qualifiés, c'est-à-dire ceux dans lesquels l'entreprise avait le moins investi comme si, pour elles, la formation n'était pas la clé de la compétitivité. Le projet de loi vise donc à mieux aider ceux qui ont le plus besoin d'une formation professionnelle – les jeunes, les chômeurs, les moins qualifiés. L'outil de cette révolution, c'est le compte personnel de formation (CPF). Vous en aviez voté une première esquisse dans la loi de sécurisation de l'emploi ; il restait à donner un contenu à ce qui n'était encore qu'une coquille vide, comme plusieurs d'entre vous l'avaient souligné. Chaque salarié bénéficiera de ce compte tout au long de sa vie professionnelle, quel que soit son statut et non plus en fonction de celui-ci. Cela permettra aux jeunes d'acquérir les qualifications nécessaires et aux chômeurs de bénéficier des droits acquis comme salariés alors qu'avec le dispositif précédent, le départ de l'entreprise faisait perdre presque tous les droits à la formation. Ce compte sera alimenté par les partenaires sociaux, par les régions et par Pôle Emploi – cela suivant des mécanismes qui, certes, peuvent être compliqués, mais le produit lui-même est simple.

Chacun disposera ainsi de son compte personnel, tout au long de sa vie professionnelle. Même un député pourra disposer d'un compte, qu'il pourra utiliser s'il perd son mandat, circonstance où il peut être utile d'envisager une reconversion, bien sûr momentanée – le temps de reconquérir la confiance de l'électeur ! (Sourires.)

Nous procédons aussi à une grande simplification, pour les entreprises comme pour les salariés. La loi de 1971 avait – ce qui était nécessaire dans un premier temps – créé une obligation de dépenser, à laquelle nous substituons une obligation de former. En effet, cette obligation de dépenser était devenue pour les entreprises une source de tracasseries administratives : il leur fallait démontrer qu'elles avaient rempli leur obligation de dépenser 0,9 % de la masse salariale pour former leurs employés, alors même qu'elles y consacrent plus de 2 % en moyenne. Inversement, pour satisfaire à tout prix à cette obligation de dépense, certaines mettaient parfois un peu n'importe quoi dans leur plan de formation, puisque celui-ci n'était pas négocié ; et celles qui, en dépit de tout cela, n'atteignaient pas les 0,9 % devaient acquitter une cotisation. C'était donc un système extrêmement complexe, et ce projet de loi y remédie.

Mais cela ne veut pas dire qu'il y aura moins d'argent pour la formation, et surtout pour la formation de ceux qui en ont le plus besoin : les diverses cotisations sont fondues en une seule, variable en fonction de la taille de l'entreprise, et qui alimentera les divers mécanismes de mutualisation en faveur des petites et moyennes entreprises et surtout des chômeurs.

Quant aux salariés, ils sauront qu'ils ont désormais droit à 150 heures de formation. Cette durée, que certains jugent insuffisante, est supérieure aux 120 heures offertes dans le cadre du droit individuel à la formation (DIF) – qui a d'ailleurs été un échec – et ce d'autant plus qu'il s'agira d'un plancher, et non plus d'un plafond.

Nous simplifions également les mécanismes de gestion : sans attendre la discussion du deuxième projet de loi de décentralisation, nous inscrivons dans la présente loi que la formation professionnelle et l'apprentissage relèvent de la compétence des régions – l'intervention de l'État n'était pas efficace. J'insiste beaucoup sur le fait que nous introduisons un dispositif nouveau de concertation et de décision au niveau régional, qui associera les organisations patronales, les organisations syndicales, la région et Pôle Emploi, pour définir une liste des formations nécessaires ; cette liste devra être adaptée aux besoins et pourra donc varier suivant les territoires, mais aussi dans le temps.

Enfin, le nombre des organismes chargés de collecter la contribution à la formation professionnelle et la taxe d'apprentissage et d'en répartir le montant – ce sont parfois les mêmes – sera ramené de plus de 200 à un peu plus de 40. Nous pouvons attendre de cette simplification d'importantes économies de gestion, mais aussi une efficacité accrue.

J'en viens ainsi aux dispositions relatives à l'apprentissage et, plus largement, à l'emploi.

Prenant en compte une décision du Conseil constitutionnel, nous précisons d'abord les modalités de la réforme de la taxe d'apprentissage que nous avions inscrites dans la loi de finances rectificative pour 2013. Les partenaires sociaux auront ainsi tous les éléments pour prendre les décisions nécessaires au bon déroulement de la campagne 2015. Certains estimeront sans doute que ces dispositions devraient plutôt figurer dans une loi de finances que dans ce texte-ci : je dispose des arguments juridiques propres à démontrer qu'elle a au contraire toute sa place dans ce projet de loi.

Nous créons également un contrat à durée indéterminée d'apprentissage, qui permettra de sécuriser l'apprenti – ainsi assuré de pouvoir rester dans l'entreprise au-delà de sa période d'apprentissage – mais aussi l'employeur. Les PME font souvent de gros efforts pour former leurs apprentis et trouvent ensuite très désagréable de voir ces jeunes partir vers une autre entreprise… Il s'agit donc de créer une relation plus étroite, et sur une durée plus longue.

Nous améliorons aussi le contrat de génération. Ce dernier est parfois conclu entre un chef d'entreprise – généralement de TPE – et un jeune qui prendra ensuite sa succession. Or assumer la responsabilité d'une entreprise réclame une certaine maturité et nous avons donc décidé, en accord avec les partenaires sociaux, de porter l'âge limite auquel un jeune peut conclure un tel contrat de 25 à 30 ans.

Nous verrons au cours des débats s'il est nécessaire de compléter encore le contrat de génération ; en effet, les partenaires sociaux ont choisi de s'imposer l'obligation d'une négociation dans les entreprises de 50 à 300 salariés, et je souhaite qu'ils prennent conscience que ces négociations sont aujourd'hui en retard, alors que le contrat de génération est déjà mis en oeuvre sans négociation dans les entreprises de plus de 300 salariés et est très utilisé dans celles de moins de 50 salariés. J'ai demandé aux partenaires sociaux de démontrer la pertinence de l'obligation qu'ils se sont imposée ; si je n'étais pas convaincu, peut-être serais-je amené à faire de nouvelles propositions dans le cours de la discussion.

La loi de sécurisation de l'emploi a interdit les temps partiels inférieurs à 24 heures par semaine, à partir du 1er janvier 2014 – ce sont les partenaires sociaux qui avaient fixé cette limite. J'ai choisi de maintenir cette obligation tout en donnant six mois de plus pour réussir les négociations dans les branches. Cette pression a d'ailleurs permis d'aboutir, dans certains domaines, à des accords qui, par exemple dans la restauration rapide, aboutissent à des solutions originales pour valoriser ces temps partiels.

Enfin, ce projet de loi accorde des pouvoirs supplémentaires à l'administration et, en premier lieu, à l'inspection du travail, qu'il convenait de réformer sans remettre en cause, bien sûr, une indépendance garantie tant par la Constitution que par des conventions internationales. Mais il convenait de revoir les méthodes de travail de ce corps afin de combattre plus efficacement le travail illégal, parfois très organisé, par exemple dans le cadre du détachement de travailleurs européens. Nous proposons donc une nouvelle organisation, plus collective, et nous renforçons ses pouvoirs de sanction.

Le renforcement des pouvoirs de l'administration vise également à mieux contrôler que l'argent de la formation va vraiment à ceux qui en ont le plus besoin et à garantir la qualité de cette formation, en écartant les offres douteuses, voire en combattant les dérives, parfois sectaires, constatées ici ou là.

Au total, je pense vous avoir démontré que vous avez là un projet de loi court et simple, qui devrait donc donner lieu à des discussions limpides. (Sourires.)

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