Je me réjouis d'évoquer avec vous cette année de commémoration ; nous avions prévu de le faire dès le mois de septembre, mais des contraintes d'agenda nous ont obligés à déplacer cette réunion.
Je connais l'intérêt de votre commission pour la politique mémorielle, mais aussi ses exigences, ses attentes et le travail qu'elle a déjà engagé en ce domaine. En 2014, nous commémorerons le centenaire de la Grande Guerre et le soixante-dixième anniversaire de la libération du territoire : ce sera une occasion unique d'oeuvrer à la cohésion nationale, dont l'enquête publiée par Le Monde, cet après-midi, montre combien elle requiert notre attention, autour de ces deux notions essentielles que sont la nation et la République.
De telles commémorations sont aussi, pour notre pays, une occasion de rayonnement international en direction non seulement des pays venus défendre notre liberté, mais aussi des anciens adversaires, avec qui nous pourrons mesurer l'étendue de notre réconciliation.
C'est le cap que le Président de la République a fixé à l'occasion du coup d'envoi des deux cycles de commémorations. Le 4 octobre dernier, en Corse, il inaugurait le soixante-dixième anniversaire de la libération de l'île ; le 7 novembre, au palais de l'Élysée, il rappelait son souhait de voir nos concitoyens se rassembler autour d'une mémoire commune et apaisée. Enfin, le 11 novembre dernier, à Oyonnax, il rendait hommage aux maquisards de l'Ain.
Alors que ressurgissent des phénomènes de repli communautaire, identitaire et même – à l'échelle du Vieux Continent – nationaliste, alors que des barrières tombent pour libérer une parole d'intolérance, de xénophobie et d'antisémitisme, ces commémorations doivent concerner les Français dans toute leur diversité, pour les rassembler.
Je prépare ces cycles mémoriels avec le souci permanent de la cohésion nationale, et en tenant un discours d'apaisement. Depuis vingt mois, c'est ce message républicain que j'ai délivré dans les soixante départements où je me suis rendu, en accordant une attention particulière à ceux qui s'estiment délaissés. Une nation repose sur une histoire commune et une mémoire collective ; le sentiment d'appartenance commune sur lequel elle se fonde est la condition du vivre ensemble ; or, en France, la nation est indissociable de la République et de ses valeurs.
En affermissant ce sentiment d'appartenance à la nation, nous favorisons l'intégration des différentes mémoires et des différentes cultures, et contribuons à retisser un lien social en train de se distendre. Retisser le lien social, c'est d'abord renforcer le lien intergénérationnel à l'heure où acteurs et grands témoins des conflits récents disparaissent : les soixante-dix ans de la libération du territoire seront probablement le dernier anniversaire décennal auquel pourront assister ces hommes qui nous offrent le privilège d'une mémoire incarnée. L'enjeu de la transmission à la jeunesse sera au coeur des commémorations.
Il s'agit aussi de rapprocher nos concitoyens entre eux, quelles que soient leurs origines, car réintégrer tous Français dans la mémoire nationale, c'est aussi leur dire qu'ils y ont leur place, où qu'ils soient nés, eux ou leurs parents ; c'est enfin rappeler le lien entre les générations du feu, encourager les soldats d'aujourd'hui en redonnant une fierté aux anciens combattants. Reconnaître la spécificité du monde combattant, c'est en effet rendre hommage à cette histoire d'engagement qui a toujours été la sienne. Aussi, je souhaite que la dimension militaire ne soit pas oubliée. La Grande Guerre mobilisa plus de huit millions de soldats en France, et plusieurs régiments en sont nés, à l'instar des 174e, 175e et 176e régiments d'infanterie. Nous travaillons actuellement, avec le Service historique de la défense, à la localisation de tous les points de départ des régiments français pendant la guerre de 1914-1918. Les délégués militaires départementaux en ont identifié 450 à ce jour, qui seront autant de lieux pour des cérémonies commémoratives décentralisées.
Penser la politique mémorielle comme un instrument de cohésion nationale, c'est appréhender la mémoire de façon non passéiste, mais dynamique : dynamique dans son approche temporelle, car elle nous invite à regarder l'avenir ; dynamique d'un point de vue sociétal, car elle contribue au rassemblement national ; dynamique, enfin, dans sa capacité à mobiliser nos concitoyens et, ce faisant, à faire vivre nos territoires. Les deux cycles mémoriels offrent en effet à nos collectivités, à nos communes, à nos départements et à nos régions la chance de se réapproprier leur mémoire locale, de la valoriser et de la diffuser auprès de nos concitoyens.
Depuis plusieurs mois, nous nous préparons à ces échéances : « nous », c'est-à-dire l'État et même le chef de l'État, les services du ministère de la Défense et des huit ministères partenaires, les opérateurs – parmi lesquels l'ONAC et la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives –, la mission du Centenaire et la mission interministérielle des anniversaires des deux guerres mondiales, que j'ai l'honneur de présider, mais aussi les collectivités locales, avec qui nous travaillons main dans la main, et vous, parlementaires, qui représentez les Français dans leur diversité sociale et territoriale.
Dans un pays qui a été le champ de bataille du monde, riche de ses paysages, de ses lieux de mémoire et des souvenirs conservés par les familles, l'État avait à coeur de situer au niveau local la conception et la remontée des projets liés aux commémorations. C'est chose faite, puisque 103 comités départementaux du Centenaire et 30 comités académiques ont été créés, plus de 1 000 projets relatifs à la Première Guerre mondiale ont été labellisés et, pour la Seconde Guerre mondiale, 370 sont d'ores et déjà homologués à l'issue de la première session d'examen du mois de janvier ; une deuxième session aura lieu au mois de mars. Les responsables de ces projets peuvent solliciter un cofinancement auprès de mon ministère. L'État est donc pleinement impliqué dans ce cycle commémoratif.
Lorsque je suis entré dans mes fonctions, le budget alloué à la politique mémorielle était de 12 millions d'euros ; je l'ai porté à 17 millions pour 2013, puis à 23 millions pour 2014, afin de faire face aux échéances de cette année dans les meilleures conditions.
La mobilisation des acteurs nationaux et locaux fait écho à celle de nos concitoyens. Nous voulons associer l'ensemble des Français, et pas seulement une élite restreinte : les colloques et les expositions sont indispensables, mais nous devons viser un public plus large. C'est le sens, par exemple, de la convention que j'ai signée avec la Fédération française de rugby, et aux termes de laquelle l'équipe de France portera un bleuet sur son maillot pendant toute la durée du tournoi des Six nations, comme elle le fit lors du match contre la Nouvelle-Zélande. Je signerai, avec la Fédération française de tennis, une autre convention pour célébrer la mémoire de Roland Garros : au cours de la finale hommes du tournoi qui porte son nom, une réplique de son avion survolera le court central. Peu de Français savent qu'il fut pilote, héros de la Première Guerre mondiale, réunionnais, polytechnicien et rugbyman : que de qualités réunies en un seul homme ! Je pense également à l'engagement pris avec Christian Prudhomme et France Télévisions s'agissant du prochain Tour de France, avec trois étapes inscrites dans le paysage français de la Grande Guerre. C'est par de telles manifestations que la politique mémorielle acquerra cette dimension populaire que j'appelle de mes voeux.
L'engagement de nos concitoyens s'est aussi manifesté lors de la « grande collecte » qui, du 9 au 16 novembre, dans plus de cent points de collecte répartis sur tout le territoire national, a attiré plus de 1 000 contributeurs. Je pense aussi à ce sondage que j'avais évoqué devant vous, selon lequel plus de 80 % de nos concitoyens ont une grande appétence pour le cycle commémoratif.
Il nous faut cependant dégager quelques priorités, telles que le rappel du rôle des femmes dans l'effort de guerre et la reconstruction, ou celui des armes dites « coloniales » et d'outre-mer. Un effort doit être fait en direction de la jeunesse de banlieue, qui se pose parfois des questions. Il faut aussi souligner votre travail, mesdames et messieurs les parlementaires. Comment, à cet égard, ne pas évoquer le nom de Blaise Adolphe Diagne, ce député du Sénégal élu en 1914, qui fut le premier Africain à siéger au Palais Bourbon ? Grâce à la mission qu'il dirigeait, 80 000 hommes venus du continent africain rejoignirent nos troupes.
Cette recherche de cohésion nationale doit être à l'image de celle qui s'opère à l'échelle bilatérale, européenne et internationale. La guerre de 1914-1918, rappelons-le, ce sont 65 millions d'hommes mobilisés, plus de huit millions de morts et plus de 20 millions de blessés ; pour ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale, quatorze pays prirent part au débarquement en Normandie, et vingt-deux autres – dont vingt d'Afrique – au débarquement en Provence. Tous ces pays seront présents lors des commémorations.
J'ai réuni à Paris, il y a quelques mois, trente ministres ou représentations ministérielles de pays des cinq continents. Ces pays seront au rendez-vous des commémorations qui marqueront l'année 2014 : le 6 juin, sur les plages de Sword Beach, une cérémonie internationale nous fera revivre les premières heures du débarquement ; le 14 juillet, soixante-quatorze pays défileront aux couleurs du Centenaire, en associant chacun quatre jeunes, plus le porte-drapeau et sa garde ; le 15 août, un hommage sera rendu aux soldats des vingt nations africaines ayant rejoint l'armée B du général de Lattre de Tassigny ; le 12 septembre, la commémoration de la bataille de la Marne aura lieu dans un format international inédit : Britanniques, Allemands, Russes, Algériens et Marocains seront à nos côtés pour commémorer le sursaut français qui inaugura une guerre de quatre années.
D'autres manifestations rassembleront des partenaires étrangers dans un esprit de rassemblement, de fraternité et de réconciliation, afin de célébrer le combat pour la paix. Le 3 août, la France et l'Allemagne commémoreront conjointement leur entrée en guerre. Le Président de la République fédérale d'Allemagne sera présent en France à cette occasion ; le 11 novembre, un hommage sera rendu à tous les morts de la Grande Guerre – toutes nationalités, tous grades et toutes religions confondus –, à l'occasion de l'inauguration d'un monument exceptionnel consacré aux 600 000 hommes tombés dans le Nord-Pas-de-Calais.
Tous les publics, français et étrangers – lesquels représentent 45 % de nos visiteurs –, seront au rendez-vous des commémorations en 2014 et lors des années suivantes. Il s'agit d'une formidable richesse pour notre pays, avec des enjeux économiques indéniables. Un groupe de travail a été créé au sein de votre assemblée sur le tourisme de mémoire, dont je rappelle qu'il génère 45 millions d'euros de recettes de billetterie chaque année, sans compter les retombées pour les secteurs de la restauration ou de l'hôtellerie. Mon ministère a signé, avec Mme Pinel, ma collègue chargée du tourisme, trois régions et quatre départements, un premier contrat de destination « Centenaire de la Grande Guerre », afin d'augmenter les flux touristiques et les retombées économiques sur les territoires concernés. Une enveloppe de 1,5 million d'euros est spécifiquement consacrée au tourisme de mémoire. Elle m'a permis de signer plusieurs conventions, dont une, il y a quelques semaines, dans le Nord-Pas-de-Calais.
Mon cabinet a rencontré celui du Président Bartolone il y a quelques jours pour réfléchir à certaines pistes de travail entre le ministère des Anciens combattants, le Parlement et les commissions parlementaires concernées – de mon point de vue, elles devraient l'être toutes. Vous avez déjà engagé un travail important, qu'il s'agisse de la diplomatie parlementaire, notamment à travers les groupes d'amitié ou d'études, ou du volet européen. J'ajoute que, si les commémorations impliquent souvent les territoires directement touchés, ceux de l'« arrière » veulent aussi être reconnus. Beaucoup d'unités du Sud-Ouest, par exemple, sont montées se battre dans la Marne, et ce dès le début des hostilités.
Je ne veux pas oublier non plus l'engagement des députés soldats, qui montèrent au front en 1914, à l'instar de Pierre Goujon, premier parlementaire victime de la guerre le 25 août de cette même année, ou des vingt-sept députés embarqués sur le Massilia, parmi lesquels Jean Zay, Pierre Mendès-France ou Pierre Viénot. Vous êtes les légataires de ces hommes qui se sont levés pour défendre la République. Je n'oublie pas non plus René Nicod, député de l'Ain, qui, blessé au front après trois ans de combat, devint maire d'Oyonnax en 1940. Le 10 juillet de cette année-là, il vota contre l'octroi des pleins pouvoirs à Pétain, ce qui lui valut d'être interné pendant quatre années par le gouvernement de Vichy. Je pense aussi à Gaston Thiébaut, maire de Verdun et député de la Meuse, qui eut le courage de s'opposer à celui qui, fort du respect que lui avait acquis, en 1917, sa victoire arrachée sur les champs de bataille de la Meuse, s'apprêtait à entraîner la France dans la collaboration.
Votre institution est, elle aussi, héritière de cette histoire, car elle fut le lieu de grandes mobilisations. C'est dans l'hémicycle du Palais Bourbon que Clemenceau, le « Père la Victoire », fit la lecture, le 11 novembre 1918, du texte qui mettait fin à la guerre ; et c'est dans ce même hémicycle, quatre ans plus tôt, que René Viviani, alors président du Conseil, lisait le message du Président de la République sur l'Union sacrée au lendemain de la mobilisation : la France « sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l'ennemi l'union sacrée et qui sont aujourd'hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l'agresseur et dans une même foi patriotique ». Il n'y a donc pas de meilleur lieu que votre enceinte pour parler de la République et du patriotisme.