À l'origine, en effet, l'exploitation du gaz de schiste aux États-Unis a fait chuter les prix du charbon, si bien que les producteurs européens ont eu intérêt à privilégier une production de bord de mer au charbon. C'est le cas en Allemagne, mais aussi en France, où la production au charbon dépasse la production au gaz quand il fait moyennement froid.
Quant aux défis de l'intégration des énergies renouvelables, ce sont des défis d'ingénieurs et ils doivent être traités comme tels. J'ai évité à dessein l'expression un peu trop générale de « réseaux intelligents » – smart grids –, mais il existe bien, derrière cette notion, l'idée que l'on peut piloter le système électrique de manière plus fine et plus intelligente, en utilisant des ressources que l'on ne pouvait pas exploiter autrefois.
Nous sommes particulièrement attentifs à l'évolution du mix énergétique. Dans ce domaine technique complexe, les ingénieurs savent trouver des solutions à peu près à tout. Pour RTE, donc, le mix énergétique de demain relève de la décision politique. Quoi que l'on décide, nous saurons le faire techniquement. Il y a néanmoins des précautions à prendre. Le choix d'un mix énergétique donné emporte des conséquences précises. L'électricité, produit qui ne se stocke pas ou très mal, se caractérise par des contraintes très forte. La production et la consommation doivent s'équilibrer en permanence et respecter des règles physiques strictes, faute de quoi des événements catastrophiques de type black-out risquent de survenir. On ne peut donc ignorer les ressources et les conditions nécessaires au fonctionnement d'un mix énergétique. La seule cause d'échec, c'est le déni de réalité : il faut absolument envisager et traiter l'ensemble des conséquences de tel ou tel choix. Dans le bilan prévisionnel de l'équilibre offre-demande d'électricité en France que nous publions annuellement, nous envisageons à la fois l'évolution, relativement prévisible, du mix énergétique dans les prochaines années, mais nous élaborons aussi des scénarios à l'horizon 2030. Ces scénarios sont contrastés mais cohérents : si l'on prend telle décision concernant le mix énergétique, il convient de traiter les conséquences que cela entraîne, notamment en matière d'infrastructures.
C'est pourquoi je veux insister sur l'aspect temporel de la question. Certaines décisions sont à effet immédiat, d'autres – par exemple le changement des règles de marché pour développer l'effacement – sont l'affaire de trois ou quatre ans. Le développement d'énergies renouvelables peut se faire rapidement : en Italie, à la suite de la fixation de tarifs de rachat peut-être mal ajustés, on a construit dans la seule année 2012 une capacité de 9 000 MW d'électricité photovoltaïque. En revanche, la construction d'une ligne de grand transport prend huit à dix ans, si bien que nos collègues italiens ne savent pas très bien quoi faire de l'électricité photovoltaïque produite dans le Sud du pays tant qu'ils ne disposeront pas des infrastructures permettant de l'acheminer. Il est possible de gérer les problèmes, mais à condition d'anticiper et de bien articuler les différentes temporalités. Une décision prise aujourd'hui portera différents fruits à différentes échéances.