En raison des inerties propres au système électrique, on peut être confronté, pendant quelques heures dans la journée ou dans l'année, à une surproduction que l'on ne peut réduire. Le jour de Noël, par exemple, la consommation en Europe est très basse, mais elle reprend dès le 26 décembre. La plupart des grandes centrales – dont les centrales nucléaires – ne pouvant être arrêtées et redémarrées du jour au lendemain, elles doivent continuer à produire un minimum technique. En ajoutant à cette production les productions fatales hydrauliques, éoliennes et photovoltaïques, la quantité produite dépasse la consommation. Aussi les producteurs sont-ils prêts à payer pendant quelques heures pour ne pas arrêter leurs centrales, car leur indisponibilité au moment où les besoins augmenteront de nouveau aurait un coût économique supérieur. Dans cette configuration, les prix deviennent négatifs : le consommateur est payé pour consommer et le producteur doit payer pour produire.
Ce phénomène a parfois pris de l'ampleur. Il traduit le déséquilibre de l'offre qui, à un moment donné, excède la demande sans que l'on puisse la réduire.
Il y a là une explication des prix bas. De nombreux producteurs européens s'en émeuvent, affirmant que cela met leur avenir économique en danger. Au-delà de ce constat, je ne peux guère apporter d'appréciation sur l'évolution des prix. Tout au plus peut-on signaler que le marché européen est dit energy only, ce qui signifie que l'on ne commercialise que des KWh. La puissance à un instant donné et la flexibilité sont réputées sans valeur économique et ne font pas l'objet d'une commercialisation. Pourtant, nous l'avons vu, il arrive que l'on manque de puissance ou de flexibilité, ce qui conduit à penser que ces caractéristiques physiques ont une valeur économique et que, logiquement, elles devraient être valorisées et intégrer le prix de l'énergie. Dans le prix du kilowattheure acquitté par le consommateur final, le coût de la sécurité d'approvisionnement devrait être intégré : on a développé le parc de production et les mécanismes de souplesse de la consommation pour s'assurer que l'on pourra s'adapter à tous les aléas possibles.
Cette évolution possible du modèle de marché européen, sur laquelle la France peut avoir ses propres positions, s'inscrit dans une logique qui est celle du continent. La Commission européenne et les autres pays y travaillent. Nous devons parvenir à une certaine harmonisation car la qualité économique des échanges avec nos voisins est cruciale pour disposer d'une électricité sûre et bon marché. Les décisions nationales ont évidemment un poids important, mais la dimension européenne est fondamentale.
Quant à la surproduction, il peut arriver en effet que ce produit non stockable qu'est l'électricité soit en fort excédent. Pour autant, cela ne signifie pas que nous soyons en surcapacité structurelle : à d'autres moments, on manquera au contraire de capacité. Les prix bas peuvent donc caractériser des moments de surproduction, mais ce n'est pas contradictoire avec les périodes de forte tension.
S'agissant de la variabilité, vous avez raison de souligner que l'aléa le plus important en France est celui de la température. En hiver, lorsque la température baisse d'un degré, la consommation d'électricité augmente d'environ 2 300 MW. Si la France est loin de représenter la moitié de la pointe européenne, elle entre en revanche pour plus de la moitié dans la sensibilité européenne globale à la température : lorsque la température moyenne européenne baisse d'un degré, la consommation européenne augmente d'un peu plus de 4 000 MW, dont 2 300 en France. Mais la pointe européenne dépasse largement les 300 000 MW tandis que celle de la France est de 100 000 MW.
Les aléas climatiques auxquels le système électrique est soumis se prévoient assez bien, même s'il arrive que Météo France se trompe sur la vitesse de progression d'un front froid. D'autres aléas peuvent concerner la production : une centrale qui tombe en panne, une production éolienne ou photovoltaïque différente des attentes… Le brouillard, par exemple, peut faire baisser sensiblement la production photovoltaïque attendue.
Le facteur temps est de toute façon très important dans la gestion des aléas. Un aléa connu quelques heures à l'avance est très différent d'un événement qui se produit brutalement. Pour nous, les conséquences techniques et économiques de la déconnexion d'une centrale ne sont pas du tout les mêmes selon que nous sommes prévenus un peu auparavant ou que la déconnexion est instantanée.
Le chauffage électrique constitue-t-il une vulnérabilité ? De notre point de vue, c'est une question qu'il faut traiter et il existe des solutions techniques pour le faire. Quant à savoir si cela est souhaitable ou pas, c'est un autre sujet sur lequel l'opérateur n'a pas à se prononcer directement. Nous constatons seulement que la nouvelle réglementation thermique des bâtiments, mise en oeuvre en 2012, a fait considérablement diminuer l'équipement en chauffage électrique des logements nouveaux. Mais je doute que ces mesures aient une incidence sur le chauffage électrique d'appoint dans les logements collectifs équipés du chauffage central.
Quoi qu'il en soit, nous approuvons et suivons avec un grand intérêt tout ce que l'on peut faire en matière d'isolation et d'économies d'énergie en général. Je l'ai dit, la maîtrise de la demande d'énergie et la maîtrise de la puissance sont deux choses distinctes et complémentaires. Dans le premier cas, il s'agit de faire baisser la consommation globale, dans le second, il s'agit de faire varier la consommation à des moments donnés.
Comme toutes les autres installations de production, il arrive que les centrales nucléaires tombent en panne. J'y insiste, la situation est très différente selon que le réseau est prévenu ou que la déconnexion est brutale. RTE a beaucoup insisté pour que l'on établisse une transparence complète en la matière. Ainsi, depuis quelques années, nous publions sur notre site Internet, en accord avec les producteurs qui nous fournissent les données, toutes les prévisions d'arrêt des centrales pour cause de maintenance, de défaillance, etc., et tous les incidents : la survenue d'une panne sur une centrale y est indiquée en temps réel.
La panne inopinée reste le point le plus sensible. Le système électrique, qui est un ensemble extrêmement complexe, y est exposé quelle que soit la nature de la production. Les règles d'exploitation lui confèrent néanmoins une certaine robustesse : s'il y avait une grande défaillance ou un black-out chaque fois qu'une centrale tombe en panne, ce serait intolérable !
Les opérateurs européens se sont mis d'accord pour définir des règles de sécurité prévoyant notamment des réserves disponibles instantanément. Le système actuel est conçu et exploité pour faire face à tout moment, d'une seconde à l'autre, à une panne de production de 3 000 MW survenant en n'importe quel point du réseau. Si une telle panne se produit, toutes les centrales se mettront automatiquement et immédiatement à produire un peu plus. Au bout de quelques minutes, d'autres réglages prendront le relais pour que le pays qui en est à l'origine compense la défaillance lui-même et que les autres reviennent à leur point d'équilibre.
C'est, hélas, d'une grande banalité dans les systèmes électriques : il arrive que les centrales tombent en panne. Il n'y a rien nouveau de ce point de vue et la question est maîtrisée. L'augmentation de la taille unitaire des centrales peut cependant soulever des questions. C'est le cas de l'EPR, mais un seul modèle est pour l'heure en construction et les opérateurs européens dans leur ensemble estiment que la problématique n'en est pas affectée et qu'il n'est pas nécessaire de changer les règles.
Des questions se posent également pour l'éolien, où l'aléa le plus fort n'est pas l'absence de vent mais son excès. En cas de tempête dans le Nord de l'Allemagne, la production éolienne atteint son maximum puis, quand le vent dépasse 90 kmh, les éoliennes s'arrêtent pour se mettre en sécurité. Le phénomène n'est pas absolument instantané, mais les baisses de puissance peuvent atteindre 5 000 à 6 000 MW en l'espace de quinze ou vingt minutes. Après de savants calculs, on a établi toutefois que cela ne justifiait pas de changements dans le dimensionnement des réserves. Le délai d'extinction est suffisant pour la mise en oeuvre de la capacité de réaction actuelle du réseau.
Pour conclure s'agissant des aléas, le nucléaire ne représente pas une problématique nouvelle ou spécifique.