Je concentrerai mon propos sur les lisières agri-urbaines. Je me suis intéressé à cette question pour répondre à l'inquiétude du président du conseil général de Seine-et-Marne, Vincent Eblé, vis-à-vis des projets du Grand Paris, en particulier celui des transports dont il craignait que son département soit exclu.
En 2025, le monde comptera 4,6 milliards d'urbains. Le bien-être et la sécurité alimentaire seront essentiels pour les villes voulant conserver leur statut de métropole. L'avenir de toute métropole, particulièrement celle de la région Île-de-France, se joue dans sa périphérie. Or 2 % des fruits et légumes consommés à Paris et sa proche banlieue sont produits en périphérie. À San Francisco, cette part est de 50 %.
La périphérie de la région Île-de-France est confrontée à deux mouvements : l'étalement urbain et l'hégémonie des grandes cultures. Si celles-ci couvrent désormais 80 % de la surface agricole utile de la région, nous assistons a contrario au déclin des cultures spéciales : les légumes frais couvrent 1,5 %, la culture florale 0,1 %, l'horticulture et l'arboriculture 1 % de cette surface. Depuis les années 2000, la région a perdu 940 exploitations agricoles.
Ces deux mouvements ont pour origine le même phénomène, apparu dans les années 1970, à savoir l'étalement urbain – que les urbanistes appellent mitage. Celui-ci n'est pas un signe de développement urbain. Au contraire, il témoigne de l'entrée des économies du monde développé dans le cycle des rendements décroissants. Jusque dans les années 1960, la concentration urbaine allait de pair avec les gains de productivité. Lorsque ceux-ci ont cessé, nous avons assisté à un étalement urbain de faible densité, à une désurbanisation. Parallèlement, la recherche de rendements croissants entraînait la baisse des salaires et le développement du chômage. Les pays occidentaux ne souffrent pas de la mondialisation mais d'une crise de la productivité. Les exploitants agricoles européens obtiennent les meilleurs rendements du monde – jusqu'à 100 quintaux de céréales à l'hectare – mais ils sont en concurrence avec des pays où les surfaces et les salaires sont très différents.
Ces deux mouvements pourraient converger, ce qui inciterait les acteurs à quitter leur position structurellement conflictuelle et mettrait fin à la guerre entre la ville et la campagne.
En bref, l'avenir de nos agglomérations se trouve, plus encore que nous le pensons, entre les mains des agriculteurs.
J'en viens aux lisières. En Île-de-France, la lisière est constituée par une bande de 10 à 20 kilomètres d'épaisseur. Cette bande est parcourue par une ligne invisible, dressée par l'INSEE, reliant les points se trouvant à 200 m de la dernière maison, et sa longueur atteint 13 800 km, dont 8 000 km au contact des espaces agricoles et 5 000 au contact d'espaces boisés. Qui a conscience de la longueur et de la pérennité de cette limite ? Pas grand monde. (Sourires)
La zone interstitielle entre rural et urbain concerne 15 % de la surface de la région Île-de-France, qui est de 1,2 million d'hectares, soit 185 000 hectares. L'avenir de la région dépend de ce qui se passera sur cette zone.
La lisière représente un important potentiel social et politique. Celle de la région Île-de-France accueille une population rejetée à la périphérie par les coûts du logement et de l'énergie, à savoir des jeunes couples et des travailleurs pauvres. Mais elle bénéficie d'une activité agricole, qu'il faut de toute urgence diversifier, en raison de la proximité d'un marché de 11 millions d'habitants.
Les lisières sont en attente d'un projet, comme le fut le centre de Paris au milieu du XIXe siècle, lors de l'émergence de la classe moyenne. La structure spatiale des lisières actuelles n'est pas constituée, comme à l'époque d'Haussmann, de boulevards, de places et d'avenues, mais d'espaces agricoles, d'exploitations, de jardins, de relais de vente de production, d'habitats productifs. Elle attire des personnes dont les modes de vie sont liés à l'économie de transition et des actifs qui ne demandent qu'à s'investir.
Cette émergence sociale a besoin de trouver sa figure, qui ne sera pas issue de l'association de l'ingénieur Alphand avec un paysagiste, mais de celle d'un urbaniste et d'un agronome. Le mariage entre les agronomes et les urbanistes est difficile à envisager puisque les premiers, depuis les années 1970, ne n'intéressent qu'à la production, au détriment de l'espace, et les seconds n'entendent rien à l'agronomie.
Vincent Eblé me confiait récemment que s'il avait souhaité dans un premier temps raccrocher la Seine-et-Marne au projet métropolitain, il s'était ensuite rendu compte que son département avait une carte différente à jouer : il s'agit de ce que j'appelle le collier, qui est fait de pièces de tailles et de fonctions différentes mais sur lesquelles repose l'agglomération. Ce collier doit avoir une existence politique.