Intervention de Mathilde Kempf

Réunion du 22 janvier 2014 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Mathilde Kempf, architecte et urbaniste :

Les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI) constituent un outil intéressant. Tous les territoires qui se posent ces questions de paysage, d'aménagement du territoire et d'urbanisme sentent qu'ils doivent adopter cette solution, mais sa mise en oeuvre reste délicate. Les communes ont peur de se voir déposséder du pouvoir de décision, de se faire imposer des choses par l'échelle supra-communale. L'appropriation des projets est également rendue difficile par le manque de culture partagée. Un PLUI réalisé dans ces conditions est forcément vécu sur un mode défensif et a peu de chances d'aboutir à une vision cohérente d'ensemble ; il se limite alors à une somme de visions communales agrégées au sein d'un seul document. Or l'ambition du PLUI n'est sûrement pas de juxtaposer les petites réflexions locales, mais de proposer un regard global harmonieux. De plus, en période de crise, les petites communes ne disposent pas de services techniques adaptés pour réaliser des projets souvent très complexes ; l'échelle intercommunale permet aussi de bénéficier d'une ingénierie, de compétences et de savoirs pour aller vers des documents plus intéressants. Mais débloquer la situation et comprendre qu'on peut entrer dans la dimension intercommunale sans perdre la finesse de la connaissance locale du territoire ne sont possibles qu'à condition de construire une volonté et une culture communes.

Deux exemples permettent d'illustrer mon propos. Pour réaliser son PLUI, la communauté de communes des Vertes vallées, dans le Pas-de-Calais, a commencé par envisager de petites entités paysagères regroupant les communes par deux ou trois, et par rédiger une charte – outil de concertation et d'échange – permettant de bien connaître les communes voisines. Petit à petit, est arrivée la prise de conscience de la communauté des enjeux, problèmes et intérêts, et donc la volonté de planifier à plusieurs. C'est progressivement qu'on est arrivé finalement à un PLUI. Ce n'est donc pas l'outil qui est arrivé en premier, mais bien une culture partagée. Prendre le temps de la concertation avec les autres publics permet de parvenir à la conclusion de la nécessité de l'outil ; et une fois que la volonté est là, on n'est plus sur la défensive.

Autre exemple : l'Association des maires de la Vaunage, dans le Gard, a réalisé un travail très fin sur le foncier pour déterminer quelles parties pouvaient revenir à l'agriculture et quels étaient les projets des agriculteurs et des autres propriétaires, afin de permettre des échanges de parcelles. Celles-ci retrouvant une fonction et une utilité économique, les agriculteurs – qui peuvent à nouveau vivre de leur profession – n'ont plus forcément besoin de les vendre pour qu'elles soient urbanisées. À l'échelle communale, cela s'est traduit par la création d'une zone d'activité agricole qui permet de regrouper les sorties d'exploitation au lieu de les disséminer dans le paysage. Ainsi, en pérennisant l'outil de travail qu'est le sol et en définissant l'orientation du territoire, le public parvient à encadrer l'action du privé.

Le Val d'Ille, au nord de Rennes, a également mis en place une stratégie d'achat systématique de foncier visant à réinstaller l'agriculteur dans une approche biologique. Mais il ne suffit pas d'installer l'agriculteur, il faut également lui assurer des débouchées économiques. Là aussi, la collectivité assume sa responsabilité en décidant que toutes les cantines publiques s'alimenteront en produits biologiques fournis localement, en circuit court. On a donc organisé des marchés, des points de vente dans toutes les communes, qui garantissent des revenus aux agriculteurs. À nouveau, le foncier agricole est préservé parce qu'il devient utile et rentable.

Plus généralement, le paysage sert souvent de déclencheur à l'action en révélant les dysfonctionnements des politiques de développement, de construction, d'aménagement ou de voirie. En constatant des éléments dérangeants, on est poussé à travailler sur la qualité des paysages. Mais le sujet tend à disparaître dès lors qu'on entre dans le coeur du projet, comme s'il paraissait insuffisamment sérieux parce que trop subjectif, pas assez concret, trop flou ou trop vaste. Une fois le projet mené à bien, le paysage redevient un outil de communication vendeur : on reparle de sa qualité en mettant en avant sa beauté. Il faut donc travailler sur ce maillon faible et utiliser le paysage dans la construction même des projets. L'une des pistes consiste à agir sur la formation des futurs professionnels : pour éviter le cloisonnement par disciplines, il faut multiplier les rencontres afin de construire une culture partagée. Les artistes peuvent également permettre de se poser des questions nouvelles à propos des paysages.

En ce qui concerne les coûts de la transition énergétique, il est difficile de les évaluer car ils ne sont guère isolables. Il faut au contraire envisager les choses de façon transversale. Dans le Val d'Ille par exemple, cette transition passe d'abord par la réduction de la consommation d'énergie à travers les programmes de construction portés par la collectivité – logements sociaux ou bâtiments communautaires écologiques – et par l'utilisation des ressources locales telles que le bois de bocage ou les près de fauche, qui servent de matière première à la méthanisation tout en assurant un complément de revenu aux agriculteurs. Toute une économie s'organise donc autour de cet objectif. Ainsi, appréhender les situations de façon transversale permet d'en mesurer la complexité, mais également la richesse, tout en interdisant d'isoler un élément donné.

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