Je représente effectivement ici un gros consommateur d'électricité, et je suis là pour témoigner du fait que le prix de l'électricité en France constitue pour notre entreprise un enjeu de survie – d'ici à deux ans.
FerroPem est une PME dont le chiffre d'affaires s'élève à 400 millions d'euros par an environ. Nous exportons 85 % de notre production et nous sommes leader mondial dans notre secteur, la production de silicium – le silicium est notamment utilisé comme matière première par l'industrie du photovoltaïque, marché, vous ne l'ignorez pas, en plein développement. Nous sommes donc aujourd'hui apparemment une société prospère.
Mais notre compétitivité dépend de trois facteurs dont la maîtrise nous échappe : le taux de change entre euro et dollar ; les protections douanières contre les pratiques agressives de la Chine, qui cherche à s'assurer une suprématie mondiale dans le domaine des métaux – celles dont nous bénéficions aujourd'hui ont été arrêtées par l'Union européenne il y a vingt-cinq ans ! ; enfin, le prix de l'énergie, qui représente environ 30 % de nos coûts.
Notre survie est en jeu à échéance de deux ans parce que la compétitivité de notre électricité est doublement menacée. D'une part, alors que nous sommes l'un des derniers industriels à avoir conservé les tarifs publics régulés d'EDF, ceux-ci vont disparaître à la fin de l'année prochaine. D'autre part, les contrats hydrauliques dont nous bénéficions pour des raisons historiques disparaissent aujourd'hui progressivement. Nos coûts d'électricité sont déjà en train d'augmenter mais vont subir une hausse brutale au 31 décembre 2015.
Or les solutions de remplacement existantes, comme l'ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire historique), condamnent notre compétitivité.
Nous intervenons sur un marché mondial extrêmement concurrentiel. Aujourd'hui, nous ne sommes plus en mesure d'investir pour nous développer en France, par manque de visibilité sur le prix de l'énergie ; si nous passons des tarifs verts à l'ARENH au 31 décembre 2015, les simulations que nous avons faites avec EDF nous font passer, en termes de compétitivité, du premier tiers aux tout derniers rangs. Nous serons dès lors les premiers à disparaître en période de crise. C'est aussi simple que cela !
Depuis des dizaines d'années, nous avons travaillé avec EDF, puis par nos propres moyens, à améliorer le profil de notre consommation. Ressemblant en cela aux industriels de l'aluminium, nous avons un facteur de charge très important : quand nos usines tournent, c'est en moyenne à 85 % de la puissance maximale, mais dans des conditions de stabilité qui facilitent l'exploitation des réseaux et des centrales, notamment nucléaires. Nous avons également investi dans des technologies qui nous permettent, à l'inverse, d'être extrêmement flexibles et de disparaître du réseau en quelques secondes si on nous le demande ; cet effacement peut durer quelques secondes, quelques minutes, quelques heures, voire quelques mois. Enfin, notre industrie est née en même temps que l'hydroélectricité et nos usines, installées dans les vallées des Alpes principalement mais aussi des Pyrénées, se sont développées il y a une centaine d'années en même temps que la houille blanche, de manière à pouvoir consommer l'électricité à l'endroit même où elle produite… Notre proximité avec les sources d'énergie fait que nous n'avons pas de coûts de transport, techniquement parlant, et indépendamment de la politique tarifaire – quelques centrales d'EDF sont même intégrées à nos sites.
Mais, comme je l'ai dit, nous ne nous développons plus en France. Chargé au sein de notre actionnaire FerroAtlantica des développements stratégiques du groupe, je négocie l'accès pour notre industrie à des contrats d'énergie dans tous les pays du monde qui disposent de ressources énergétiques importantes. Pour être compétitifs, il nous faut en effet un prix du mégawattheure rendu aux bornes de nos usines qui se tienne en dessous de 30 dollars – au delà, tout développement est exclu. Pour simplement maintenir notre activité, ce prix ne doit pas dépasser quelque 40 dollars, soit 30 euros.
En France, l'enjeu pour nous est par conséquent de travailler avec les pouvoirs publics et avec les opérateurs de l'énergie à des solutions qui nous permettent d'atteindre, au 1er janvier 2016, sinon le niveau autorisant un développement de notre entreprise, à tout le moins le niveau qui lui permette de survivre. Nous nous présentons donc devant vous comme une PME dont les comptes sont aujourd'hui rassurants, mais qui se dirige tout droit vers un gouffre.
Il est possible, nous en sommes convaincus, de trouver ces solutions, mais elles ne dépendent pas de nous. Ce qui est en jeu, je le répète, c'est l'entreprise avec ses usines et ses emplois, mais c'est aussi l'exploitation de certaines ressources nationales : si nous sommes leader mondial, c'est parce que notre pays dispose de réels atouts – minerai, proximité des clients, réseau de transport structuré, bonne infrastructure de recherche et développement… Notre disparition reviendrait à gâcher ces ressources !
Autrefois filiale de Pechiney, nous en sommes parvenus à un stade auquel ne sont pas arrivés les industriels de l'aluminium. Grâce au repreneur que nous avons trouvé en 2005, FerroPem est devenue une PME, avec des coûts de structure réduits et une forte concentration sur son métier. Cette taille d'entreprise nous convient bien et notre actionnaire joue le jeu, mais nous n'avons d'autre ressource pour survivre que de régler ce problème du coût de l'énergie.