Le deuxième axe de réforme qui ressort de notre rapport relatif à la mobilité sociale concerne l’adaptation de l’offre de formation et s’articule autour de trois priorités : promouvoir une orientation mieux choisie, redonner de la visibilité aux filières professionnelles, renforcer la lutte contre le décrochage scolaire et les dispositifs de seconde chance.
S’agissant en premier lieu de l’orientation, le sentiment d’être enfermé dans des choix d’orientation souvent contraints et mal préparés figure parmi les principales causes d’absentéisme, lequel peut ensuite préfigurer des situations de décrochage.
Nous proposons tout d’abord de construire un accompagnement tout au long du cursus secondaire, afin que chaque élève puisse élaborer un parcours d’orientation mieux choisi et davantage valorisé. Il s’agit de proposer à chaque élève, à partir de la sixième, un parcours individualisé de découverte des métiers et des formations – Jean-Frédéric Poisson l’a évoqué en introduction –, de diversifier l’offre scolaire au sein du collège unique, notamment en faveur des élèves en difficulté ou dont le projet appelle une attention particulière – classe relais ou troisième alternative, au sein desquelles des expériences très intéressantes ont été menées –, de favoriser l’articulation entre enseignement secondaire et enseignement supérieur, notamment en validant les crédits d’enseignement d’études supérieures pour les périodes d’immersion des lycéens dans un établissement d’enseignement supérieur – je vous renvoie aux expérimentations enrichissantes menées dans un lycée à Rennes, mais aussi à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne où des passerelles ont été organisées entre les « bac moins trois » et les « bac plus trois ».
Par ailleurs, afin de favoriser la réussite dans les parcours universitaires, nous souhaitons conforter et généraliser les dispositifs de tutorat et de parrainage, comme les « Cordées de la réussite » qui facilitent la transition vers l’enseignement supérieur, développer une offre d’accompagnement en direction des étudiants titulaires d’un bac professionnel pour conforter leurs chances de réussite dans les filières courtes, et enfin renforcer le dispositif des bureaux d’aide à l’insertion professionnelle des universités qui satisfont les étudiants concernés tout en donnant d’excellents résultats au niveau des territoires.
Il convient ensuite de redonner de la visibilité aux filières professionnelles. Nous le savons, l’apprentissage en tant que facteur de mobilité sociale, connaît aujourd’hui des résultats réels. Il s’agit d’une voie efficace vers l’emploi durable, mais sans dynamique de progression, avec des effectifs en baisse pour les bas niveaux de qualification et le risque d’un apprentissage à deux vitesses.
En vue de garantir à l’apprentissage les moyens de son développement tout en respectant l’objectif de 500 000 apprentis en 2017, nous préconisons de concentrer les moyens mobilisés sur la levée des freins à l’apprentissage que nous avons identifiés : le double logement, l’accès au permis de conduire et la maîtrise insuffisante des compétences de base. L’agence nationale de lutte contre l’illettrisme, que nous avons auditionnée, nous a donné ce chiffre édifiant : 30 % des apprentis dans le secteur du bâtiment sont en situation d’illettrisme contre 4,5 % pour la moyenne des jeunes.
J’en viens à la lutte contre le décrochage scolaire, phénomène massif en France puisque 130 000 à 140 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans diplôme, soit 17 % d’une classe d’âge. Nous considérons, avec Jean-Frédéric Poisson, qu’il en résulte une perte de richesse économique et sociale majeure pour la nation. Le Gouvernement s’est fixé en la matière deux objectifs clairs : diviser par deux le nombre de jeunes sortant sans qualification du système éducatif d’ici 2017 – volet prévention du décrochage – et, pour les jeunes ayant déjà décroché, offrir une solution de retour en formation à 25 000 d’entre eux d’ici fin 2014.
À nos yeux, la lutte contre le décrochage devrait être la priorité absolue des pouvoirs publics, qu’elle passe par l’éducation nationale ou par les dispositifs de deuxième chance qu’il s’agit de simplifier au regard d’un objectif de raccrochage qui se devrait d’être beaucoup plus ambitieux. Nous vous proposons à cette fin de renforcer les moyens et la dimension partenariale des plateformes d’aide et de suivi aux décrocheurs, de mieux utiliser les ressources de l’éducation nationale – il y a aujourd’hui 40 000 places vacantes dans les lycées professionnels et 48 000 dans les internats – et de développer un certain nombre de structures alternatives comme les micro-lycées. Nous suggérons enfin d’améliorer la couverture du territoire par les écoles de la deuxième chance en concertation avec les régions et en augmentant le nombre de jeunes bénéficiaires.
J’en viens à la période de transition vers l’âge adulte et à la question fondamentale de l’accès des jeunes à l’emploi et à l’autonomie. Les chiffres sont éclairants. Trois ans après la fin des études, le taux de chômage des jeunes non diplômés atteint 40 %, contre 10 à 11 % pour les diplômés de l’enseignement supérieur. Le taux d’emploi des jeunes de 15 à 24 ans est inférieur de plus de quatre points à la moyenne de l’Union européenne. Cette spécificité française s’explique notamment par la durée des études ainsi que par la rareté et la forte précarité du travail étudiant.
Concernant l’accompagnement des jeunes peu ou pas qualifiés, nous avons constaté que les missions locales proposent un accompagnement global plutôt apprécié des bénéficiaires, comme le fait ressortir l’enquête réalisée par KPMG. Les missions locales ont des atouts, qu’il s’agisse de leur ancrage local ou de leur connaissance des jeunes, mais montrent aussi certaines limites. Ainsi, le taux d’encadrement est aujourd’hui d’un conseiller pour cent jeunes environ et les disparités territoriales, en termes de résultats comme de moyens, peuvent être significatives.
Nous préconisons par conséquent de renforcer les moyens du service public de l’emploi, notamment ceux alloués aux jeunes les moins diplômés, en augmentant les dotations aux missions locales et en encourageant les bonnes pratiques expérimentées sur le terrain – le parrainage, les réseaux tissés avec les entreprises, la détection des jeunes en difficulté. En contrepartie, il convient d’améliorer l’évaluation et le pilotage des missions locales dans le cadre du dialogue de gestion avec l’État.
Nous proposons également que le nombre des dispositifs existants, trop dispersés – contrats aidés, CIVIS – soit réduit, et que soit créée une aide unique à l’insertion professionnelle, le « contrat de réussite », composé d’un socle commun pour les jeunes et de prestations personnalisées, telle la « garantie jeunes » en cours d’expérimentation.
Nous souhaitons par ailleurs favoriser l’accès à la qualification et mieux valoriser les compétences acquises grâce à des parcours moins linéaires. Pour permettre aux jeunes, notamment les moins diplômés et les anciens décrocheurs, d’accéder plus facilement à la qualification, nous vous proposons d’instituer, dès l’âge de seize ans, une garantie d’accès à la formation et à la qualification, par la création d’un droit de tirage sur le compte personnel de formation dont les modalités sont en cours de discussion dans le cadre du projet de loi relatif à la formation professionnelle.
Parce que l’amélioration de la qualification passe aussi par la reconnaissance de l’expérience et des compétences acquises, il faut simplifier, en matière d’information et d’accompagnement, la validation des acquis de l’expérience, qui reste un véritable parcours du combattant, et mieux reconnaître les compétences non formelles et non académiques.
Pour ce qui est des compétences acquises, nous souhaitons conforter le rôle du service civique pour favoriser la mobilité sociale des jeunes, en poursuivant sa montée en charge afin d’accroître le nombre d’offres combinant service civique et formation en direction des décrocheurs scolaires ainsi que le nombre des volontaires non-bacheliers, qui représentent entre 25 % et 30 % des volontaires. Je le dis en tant que rapporteur spécial des crédits de la jeunesse et de la vie associative, il faudra sans doute diversifier le financement du service civique, qui doit reposer sur l’ensemble des ministères concernés, dont celui de l’éducation nationale, afin de respecter l’objectif de 35 000 jeunes volontaires dès cette année et de 100 000 à la fin du quinquennat.
Nous formulons ensuite plusieurs recommandations visant à soutenir l’emploi étudiant dans des conditions compatibles avec la réussite scolaire, en aménageant notamment les horaires et en confiant aux partenaires sociaux le soin d’ouvrir une négociation sur le sujet.
J’en viens à la dernière partie de notre rapport, relative à l’autonomie des jeunes. Les jeunes sont plus touchés que les autres par la pauvreté et la précarité. Leur taux de pauvreté avoisine 25 %, soit deux fois plus que dans la population moyenne. À vingt-trois ans, le taux d’emploi en CDI ne dépasse pas 33 %.
Au cours des trois années suivant la sortie de formation, la durée moyenne d’emploi des jeunes reste très faible et ils doivent attendre environ cinq ans, quel que soit leur diplôme, pour obtenir un emploi stable. Nous devons absolument résoudre ce problème spécifiquement français de la transition vers l’âge adulte.
Notre rapport met particulièrement en évidence la situation difficile des jeunes au regard de l’offre de logement et du marché locatif. Ce problème concerne en particulier les jeunes qui, n’étant pas en formation initiale, relèvent du droit commun pour l’attribution des aides au logement.
Les 25-29 ans consacrent 19 % de leurs ressources au financement de leur logement, soit près du double du taux d’effort consenti par l’ensemble de la population, toutes classes d’âge confondues. Entre 1984 et 2006, le taux d’effort net pour le logement a augmenté de 10 points pour les moins de 25 ans, de six points pour les 25-29 ans tandis que ces taux, durant la même période, n’augmentaient que de 1,5 point pour l’ensemble de la population. Nous le voyons bien, le logement des jeunes est un vrai problème.
Pourtant, d’importants moyens sont mobilisés. Au total, le système d’aide à l’autonomie représente plus de 5 milliards d’euros, si l’on additionne les allocations de logement aux étudiants – 1,3 milliard d’euros pour 700 000 bénéficiaires –, la demi-part fiscale liée au rattachement des jeunes de moins de 25 ans au foyer de leurs parents – 2,2 milliards d’euros pour 1,8 million de foyers bénéficiaires – et enfin les bourses sur critères sociaux – 1,8 milliard d’euros pour près de 500 000 boursiers.
Si l’on représente par un graphique les effets redistributifs cumulés de ces trois aides, l’on constate que la répartition de leur montant par décile de revenus présente une courbe en « U ». Les bourses sur critères sociaux sont attribuées aux catégories les plus défavorisées, les aides fiscales – demi-part et déduction de la pension alimentaire – aux catégories les plus favorisées. Quant aux catégories moyennes, elles bénéficient peu de l’ensemble des aides au regard de leur poids dans la population.
Afin de mieux financer l’autonomie, nous préconisons de compléter les aides au logement par un « supplément jeunes » ouvert aux allocataires de 18 à 25 ans ayant achevé leur formation initiale et de prévoir un pourcentage minimum d’attribution des logements sociaux aux jeunes en veillant notamment à la construction de logements adaptés – colocations institutionnalisées en particulier – car la proportion de jeunes pouvant accéder au parc de logements sociaux est très faible en regard de leur part dans la population totale.
Nous proposons également de réformer les aides fiscales allouées aux parents d’étudiants, afin que l’ensemble des aides au financement des études – aides fiscales, bourses, allocations de logement – augmente en fonction des charges supportées par la famille et diminue lorsque les revenus augmentent.
Nous fixons enfin un objectif volontariste de 50 % d’étudiants boursiers contre 35 % aujourd’hui et souhaitons que soit maintenu le dispositif de récompense des étudiants particulièrement méritants – les fameuses mentions au bac et en licence.
Quant au permis de conduire, nous proposons, pour lever un frein à l’accès à l’emploi ou à la formation, et plus largement à l’autonomie, de le simplifier afin d’en faciliter le passage et d’en réduire le coût. Il s’agit tout d’abord de relancer la conduite accompagnée, notamment en faveur des apprentis en entreprise, et en adaptant la durée de la formation pratique aux aptitudes de chaque candidat. La transparence doit ensuite être faite sur les taux de réussite propres à chaque école de conduite. Il convient également d’anticiper la formation théorique dans le cadre scolaire, en particulier auprès des conducteurs de deux-roues à compter de l’âge de 14 ans. Il faudra enfin mieux cibler les aides financières au permis de conduire.
Au terme de ces travaux passionnants que nous avons conduits avec Jean-Frédéric Poisson, nous mesurons l’ampleur de la tâche qui nous attend collectivement pour favoriser les parcours de progression sociale avec et pour les jeunes – tel est le titre de notre rapport.
C’est un défi majeur pour l’action publique. Il faudrait sans doute une dizaine de séances comme celle-ci pour détailler toutes nos propositions aussi me contenterai-je de reprendre, pour conclure, la formule du sociologue Camille Peugny : « Dans une démocratie moderne, un enfant doit pouvoir faire sa vie avec d’autres cartes que celles qu’il a trouvées dans son berceau. ».