Intervention de George Pau-Langevin

Séance en hémicycle du 28 janvier 2014 à 15h00
Débat sur le rapport relatif à l'évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes

George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative :

Je tiens avant toute chose à féliciter MM. Juanico et Poisson pour leur excellent travail, qui contient des constats et des préconisations que le Gouvernement a lui aussi été amené à faire au fil de l’action qu’il conduit au quotidien auprès des jeunes, particulièrement ceux d’entre eux qui éprouvent les plus grandes difficultés scolaires.

Comme vous l’avez constaté, la situation sociale des jeunes s’est considérablement dégradée : 23 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage des actifs âgés de quinze à vingt-quatre ans atteint 24,5 %, contre 10 % dans l’ensemble de la population – et encore ce taux est-il nettement supérieur dans les quartiers populaires et outre-mer. L’inversion de ces tendances préoccupantes représente donc un véritable défi pour notre pacte social.

Nous savons aussi que toute une génération peine à entrer dans la vie active. Ce n’est pas un hasard – et cela ne date pas d’hier – si un certain nombre de jeunes, notamment ceux qui vivent dans les quartiers populaires, se voient contraints de partir à l’étranger pour acquérir une première expérience professionnelle. L’incapacité à accéder à un emploi retarde indéfiniment l’accès à une vie autonome – en clair, à une vie adulte.

Nous avons donc eu raison de faire de la jeunesse la priorité de la France. « L’espérance serait la plus grande des forces humaines si le désespoir n’existait pas », écrivait Victor Hugo. Cette formule fait un bel écho à celle de Camille Peugny que vous avez citée, monsieur Juanico. Nous avons en effet, les uns et les autres, la volonté de ne pas décevoir la jeunesse de ce pays.

Il n’est plus temps de se contenter de mesures d’urgence telles que les emplois d’avenir, les contrats de génération et d’autres dispositifs que nous avons adoptés pour pallier les difficultés du moment ; nous devons désormais agir à plus long terme. C’est la raison pour laquelle nous avons réuni autour de Valérie Fourneyron un comité interministériel de la jeunesse ; il en est sorti plusieurs mesures qui tirent les conséquences des mêmes constats et s’attaquent aux problèmes identifiés dans votre rapport. Elles ont trait à l’orientation, à la lutte contre le décrochage scolaire, à la sécurisation des parcours d’insertion, à la mobilité européenne ou encore à la valorisation des acquis de l’expérience : tous ces points ont été examinés lors de ce comité interministériel auquel vingt-cinq ministères étaient représentés et qui a produit un rapport riche en propositions ; encore faut-il que nous nous attachions maintenant à les faire vivre.

Je m’attarderai évidemment sur ceux des points que vous avez abordés dans votre rapport et qui ont directement traits aux responsabilités qui m’ont été confiées au sein de l’équipe de Jean-Marc Ayrault.

Vous avez tout d’abord évoqué la nécessité de faire aux jeunes une plus grande place dans la conception et la conduite des politiques publiques. Oui, nous avons dit de la jeunesse qu’elle était notre priorité. Les mesures que nous prenons pour les jeunes, nous devons donc les prendre avec eux. Votre proposition d’associer les jeunes aux instances de réflexion et de décision me semble à cet égard tout à fait pertinente, même si c’est plus facile à dire qu’à faire : de nombreux jeunes, en particulier ceux qui sont en difficulté, ont bien du mal à se faire entendre, à participer à ce type d’instances et à y exprimer ce qu’ils veulent.

De notre côté, nous avons tâché d’améliorer la situation qui prévaut en la matière au lycée : depuis environ vingt ans, les les délégués de la vie lycéenne ont déjà la possibilité d’intervenir dans la vie scolaire en représentant leurs camarades. Malheureusement, soit que les parents et les adultes n’y voient pas une fonction essentielle, soit que les lycéens eux-mêmes n’osent les utiliser davantage, toujours est-il que ces instances pourtant censées animer la vie lycéenne ne sont pas très actives. Je présenterai donc le 11 février prochain un acte II de la vie lycéenne afin de redynamiser les choses et de préparer d’ores et déjà cette nouvelle étape. Nous avons voulu écouter les lycéens et les associer le plus possible aux consultations que nous menons et aux préconisations qui en découleront.

Vous avez également abordé la question du décrochage : elle nous préoccupe tous, de même qu’elle préoccupe d’ailleurs l’ensemble des gouvernements européens : ce phénomène n’est pas exclusivement français.

Le décrochage est une des manifestation des difficultés qui caractérisent aujourd’hui notre système scolaire. On pourra naturellement nous dire que les jeunes vont désormais à l’école plus longtemps qu’autrefois, et qu’ils en sortent souvent plus diplômés que ne l’étaient leurs parents ; à ceci près qu’autrefois, lorsqu’on quittait le système scolaire, on pouvait immédiatement entrer dans la vie active et, même sans diplôme, s’épanouir professionnellement et bâtir sa vie. Il n’en est malheureusement plus de même de nos jours : un jeunes ayant quitté le système scolaire sans diplôme ni qualification voit son accès à la vie professionnelle singulièrement compromis.

C’est pour y remédier que Vincent Peillon, en liaison avec les structures de formation professionnelle, a lancé un plan pour ramener les jeunes concernés à l’apprentissage, que ce soit à l’école ou dans le cadre d’une formation. Nous nous réjouissons de constater que nous avons ainsi pu « raccrocher » – le terme est désormais courant, même s’il me déplaît – 20 000 jeunes dont nous avons retrouvé la trace pour les réintégrer dans une structure de formation, scolaire ou professionnelle. Il faut naturellement faire davantage : c’est pourquoi nous nous sommes fixé pour l’année prochaine un objectif de 25 000 jeunes « décrocheurs » à réintégrer.

Réintégrer, c’est bien, mais le mieux est encore de prévenir le décrochage. Il faut donc agir dès l’école primaire, au moment de l’acquisition d’un socle de compétences, mais également plus tard, avec les dispositifs relais ciblant les jeunes qui rencontrent leurs premières difficultés, posent des problèmes de comportement et perturbent la classe, et prévoir des structures à même de les prendre en charge et de les encadrer ; c’est là un aspect auquel je suis très attentive. La semaine dernière, j’ai visité plusieurs établissements marseillais qui s’étaient dotés de mécanismes de la sorte, sous la forme missions d’insertion visant à traiter les problèmes d’apprentissage et de comportement en classe de troisième, ou de mesures d’exclusion temporaire qui, outre le fait qu’elles permettent à l’enseignant de souffler un peu et de reprendre les bases d’apprentissage en classe, incitent également le jeune à réfléchir sur son comportement.

Ce dernier aspect est très important : exclure un jeune revient très souvent à demander à d’autres acteurs que l’Éducation nationale de régler le problème. Nous avons donc tout intérêt à tout faire pour trouver les bonnes solutions « en interne » dans le milieu éducatif, avant de nous résoudre à la solution, ultime, de l’exclusion.

Je voudrais aussi rappeler les actions que nous menons dans le cadre de la réforme de l’éducation prioritaire. Depuis plusieurs années, nous savons que la difficulté scolaire se concentre dans les quartiers pauvres. On ne peut que le regretter dans un pays qui a inscrit le mot « Égalité » dans sa devise ; ce sont malheureusement les enfants pauvres qui se heurtent aux plus grandes difficultés à l’école, et le système scolaire a le plus grand mal à les traiter.

Voilà trente ans qu’Alain Savary a entrepris la réforme de l’éducation prioritaire. Force est de reconnaître que son ambition, qui consistait à donner plus à ceux qui ont moins, est encore loin d’être réalisée : non seulement nous ne sommes pas parvenus à réduire ces écarts, mais ils se sont accrus au cours des dernières années.

Il est donc important de reprendre le plan pour la réforme de l’éducation prioritaire. Nous le faisons en liaison étroite avec François Lamy pour qu’il soit en cohérence avec la politique de la ville. C’est là quelque chose de particulièrement important, car, si nous voulons élever le niveau de tous, il faut commencer par élever de manière substantielle le niveau de ceux qui ont le plus de difficultés. En bâtissant une école par trop élitiste, on a malheureusement tendance à oublier cette réalité : les pays qui ont beaucoup de champions de tennis ou de musiciens virtuoses sont ceux dans lequels on trouve énormément de gens qui jouent au tennis ou d’un instrument de musique. Pour améliorer le niveau des meilleurs, il faut aussi commencer par améliorer celui de tous, et notamment de ceux qui sont le plus en difficulté.

N’oublions pas non plus que si, dans certains quartiers, l’école n’a pas bonne presse, c’est parce que certains jeunes accumulent les problèmes liés à leur famille, à leur lieu de résidence, à leur identité. C’est pourquoi nous travaillons aussi beaucoup sur les politiques d’intégration afin d’améliorer la situation actuelle. De ce point de vue, à chaque visite sur le terrain, nous ne pouvons que saluer l’investissement des équipes et le travail des enseignants, mais aussi de tous ceux qui interviennent auprès des jeunes pour les faire progresser.

En parlant de l’autonomie des jeunes, vous avez touché du doigt une question importante. Comme vous le savez, une expérimentation de la réforme des aides est engagée, puisque la phase pilote a d’ores et déjà débuté dans une dizaine de territoires. C’est ainsi que nous tâchons de simplifier les dispositifs, sachant qu’une évaluation en sera faite.

Dans le même ordre d’idée, nous envisageons la création d’une aide à l’insertion professionnelle contractualisée pour les jeunes sans emploi. Le maquis des aides diverses et variées est devenu tel qu’il faut impérativement lui redonner de la lisibilité ; à cet égard, monsieur le rapporteur, vos schémas en disent long sur la complexité de nos systèmes dans lesquels s’empilent souvent les dispositifs.

Vous avez soulevé à juste titre la question de la valorisation des acquis de l’expérience, dont nous répétons depuis longtemps qu’elle est aussi utile qu’importante. Pourtant, nous ne parvenons pas vraiment à la développer. Nous visons dans un pays où, sur un CV, on commence par mettre la photo – pour qu’on voie si l’on a une bonne tête – puis l’adresse – pour montrer que l’on habite dans un quartier correct –, puis les diplômes… C’est seulement après que l’on s’intéresse aux compétences et aux acquis de l’expérience. Lorsque j’étais parlementaire, nous avions essayé de modifier cette pratique, mais c’est là une habitude bien française, et qui a la vie dure. Je le regrette, car juger les gens à cinquante ans au vu des diplômes qu’ils ont obtenus à vingt n’est pas le meilleur moyen de juger de leur vivacité et de leur modernité.

S’agissant de la mobilité des jeunes, j’y crois beaucoup, à l’échelle européenne comme à l’échelle mondiale. Nous avons, vous le savez, mené une grande bataille de principe pour que le dispositif de mobilité des jeunes étudiants conserve le nom d’un grand intellectuel et philosophe européen, Erasmus, plutôt que de se voir affubler d’un acronyme anglais dépourvu de sens.

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