Je saisis l'occasion que nous offre cette réunion pour vous présenter le bilan que je tire du déplacement que j'ai effectué, avec nos collègues Christophe Guilloteau et Jacques Moignard, au Tchad, du 15 au 19 décembre derniers.
Ce déplacement à N'Djamena avait trois objectifs : d'abord, poursuivre le travail que nous avons entamé au Mali, dans le cadre de la mission d'information sur l'opération Serval, dont nos collègues Christophe Guilloteau et Philippe Nauche étaient rapporteurs, en allant porter aux autorités tchadiennes l'expression de notre reconnaissance pour l'engagement de leurs armées à nos côtés ; ensuite, aller au contact de nos soldats déployés dans cette région ; et enfin, commencer, au lendemain du sommet de l'Élysée, un travail d'étude sur le rôle de la France dans la sécurité de l'Afrique, travail que nous poursuivrons en 2014 dans le cadre d'une mission d'information dont nous désignerons les membres dans quelques instants.
Nous nous sommes donc entretenus du bilan des opérations maliennes ainsi que de l'actualité en République centrafricaine et dans l'ensemble de la région avec les plus hautes autorités politiques et militaires du pays, au premier rang desquelles le président Idriss Déby Itno lui-même, qui nous a reçus longuement pour un panorama complet de l'actualité politique de toute la sous-région, en mettant l'accent sur les inquiétudes suscitées chez lui par la situation au Soudan du Sud et en République centrafricaine. Nous avons aussi rencontré le Premier ministre, le ministre délégué à la Défense, le chef d'état-major général des armées, ainsi que bien entendu le président de l'Assemblée, les membres du Bureau et les présidents des commissions concernées par les questions de défense. Je relève d'ailleurs que nos homologues tchadiens sont très demandeurs d'échanges plus réguliers avec nous : en effet, au regard de l'importante présence française au Tchad et des débats qui ont pu avoir lieu ces dernières années sur son évolution, le nombre et la fréquence des déplacements de parlementaires français dans ce pays sont assez faibles.
Nous nous sommes également rendus auprès nos forces stationnées au Tchad, celles de l'opération Épervier, et nous nous sommes attachés aussi à étudier notre coopération bilatérale dans le domaine de la sécurité et de la défense. Par ailleurs, pour avoir une vue plus globale de la présence française dans le pays, nous avons noué des contacts avec les différents représentants des Français qui y sont établis, avec les acteurs économiques, ainsi qu'avec l'Institut français et le lycée français de N'Djamena.
Nous avons recueilli beaucoup d'enseignements sur la posture de défense française dans cette région, la bande sahélo-saharienne, qui est plus que jamais une zone critique pour notre sécurité nationale.
S'agissant du Mali, les Tchadiens partagent globalement nos vues sur le bilan des opérations militaires et sur le processus de sortie de crise. Toutefois, nos entretiens nous ont permis de déceler chez les responsables politiques et militaires une certaine amertume : ils estiment que la France ne leur a pas apporté de marques de reconnaissance à la hauteur de leur engagement – qui a été décisif, comme M. Jean-Yves Le Drian nous l'a souvent rappelé ici – et de leurs sacrifices financiers comme humains. Notamment, une plus grande place faite aux Tchadiens lors du dernier défilé du 14-juillet, entre autres, aurait évité cette amertume. On ressent un véritable besoin de reconnaissance, auquel nous devrons être vigilants dans les années qui viennent.
Pour autant, le Tchad n'a pas manqué de répondre à l'appel de la France en République centrafricaine, dont la situation a été au coeur de toutes nos discussions, puisque nous sommes arrivés au Tchad une dizaine de jours après l'intervention française. À ce stade, les Français, les Tchadiens et les autres Africains organisaient encore leurs opérations chacun de leur côté, et recherchaient les moyens d'intervenir ensemble. Ces entretiens nous ont permis de prendre des distances avec l'idée, assez caricaturale mais largement véhiculée par les médias et instrumentalisée par certains, que la France interviendrait en RCA pour soutenir les chrétiens contre Michel Djotodia et les ex-Séléka, tandis que le Tchad y interviendrait pour soutenir les musulmans contre les chrétiens et les « anti-balakas ». Au contraire, le président Déby a insisté sur la nécessité de désarmer toutes les milices, sur le grand danger que représente l'instrumentalisation confessionnelle du conflit, et sur l'intérêt qu'il y a à ce que les Français et les Tchadiens, ainsi que les autres Africains, coopèrent de la façon la plus étroite.
Enfin, notre déplacement à N'Djamena nous a permis d'étudier de près l'intérêt de la présence française dans ce pays, îlot de stabilité dans une bande sahélo-saharienne en crise. Nous avons pu le constater par nous-mêmes : la circulation à N'Djamena était libre, et nous n'avions pas besoin de moyens de protection particuliers, y compris lorsque nous sommes allés à la rencontre des populations civiles, que ce soit à l'Institut français ou au lycée français. Le pays connaît en effet depuis 2008 une période de calme, après des décennies de troubles : il n'en mesure que mieux la valeur de la paix, de la stabilité, qui rendent possible le développement économique. Pour autant, les autorités que nous avons rencontrées se sont montrées pleinement conscientes des risques de contagion que présentent les différentes crises survenant dans le voisinage du Tchad – Libye, Soudan du Sud, Nord du Mali, République centrafricaine –, ce qui les conduit à se doter d'une armée professionnelle capable d'intervenir à l'extérieur.
Les difficultés peuvent aussi provenir de l'intérieur du pays : les logiques ethniques demeurent plus fortes que les logiques institutionnelles, et si le président Déby a su trouver un équilibre entre les différentes ethnies, le maintien d'un tel équilibre est indispensable à la stabilité du Tchad. Son évolution politique est donc un point d'intérêt central pour nous.
Plus largement, notre implantation à N'Djamena, si elle a encore le statut d'opération extérieure, fonctionne aujourd'hui comme un véritable prépositionnement et sa place est appelée à être renforcée : en lien avec nos forces au Niger et au Mali, les éléments français au Tchad constituent le pivot de notre dispositif dans la région du Sahel. Grâce à la remarquable disponibilité de notre attaché de défense sur place, nous avons pu prendre pleinement la mesure de tous ces enjeux.