Mesdames, messieurs, merci tout d’abord de votre invitation. Pour ma part, je me concentrerai sur la réforme du licenciement pour motif économique, qui rend assez bien compte de la philosophie générale de la loi de sécurisation de l’emploi. Les partisans de cette réforme lui accordent généralement un double mérite. Premièrement, la loi accorde une place centrale, plus centrale que jamais, au dialogue social et à la négociation collective : ce sont les accords de maintien de l’emploi, les accords de mobilité interne et les accords sur le plan de sauvegarde de l’emploi. Deuxièmement, cette loi consacre le retour de l’administration dans le contrôle des licenciements, par le biais notamment de l’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi.
Pour des raisons différentes, ces avancées appellent un certain nombre de réserves. Commençons par la promotion de la négociation collective, la promotion du droit négocié. Il a beaucoup été dit, et déjà écrit, que la loi de 2013 était un succès car il y avait beaucoup de négociations : il semble que 75 % des PSE aient donné lieu à négociation. Ce succès appelle une double réserve qui invite à s’interroger plus fondamentalement sur les rapports entre la loi et la négociation collective.
La première réserve tient dans l’équilibre de la négociation. Chacun sait qu’un accord, quel qu’il soit, est tributaire du rapport de forces et de l’équilibre entre les parties à la négociation. La tendance très marquée ces dernières années du législateur à déléguer à la négociation collective présente un certain nombre de dangers. En effet, le rapport de forces n’a pas, me semble-t-il, à gouverner l’élaboration du droit du travail, d’autant que, poursuivant un mouvement qui avait trouvé son point d’orgue dans une loi du 4 mai 2004, c’est avant tout à la négociation d’entreprise et non à la négociation de branche que l’on renvoie. À ce niveau donc, le salarié, même s’il est protégé, est face à son propre employeur.
La deuxième réserve tient dans la fonction de la négociation collective. Dans sa fonction classique, la négociation collective sert à accorder des droits et des garanties aux salariés pour compenser le lien de subordination caractéristique du contrat de travail. Dans la loi de 2013, la négociation collective devient une négociation de gestion qui permet un certain nombre de reculs par rapport aux garanties prévues par la loi. Je citerai deux exemples. Ainsi, les accords de maintien de l’emploi et les accords de mobilité interne légitiment la mise à l’écart du droit du licenciement collectif pour motif économique, c’est-à-dire essentiellement les plans de sauvegarde de l’emploi. Autre exemple : lorsque le plan de sauvegarde de l’emploi fait l’objet d’un accord majoritaire, le contrôle de l’administration et du juge est purement formel.
Il faut, me semble-t-il, sortir de cette idée très à la mode selon laquelle ce qui est négocié, ce qui est accepté par les parties prenantes est forcément bon pour la société. On est en train de céder à cette idée selon laquelle l’État, le Parlement, seraient moins légitimes que par le passé pour dire ce que les individus, les entreprises doivent faire, d’où, souvent au nom de l’idée de contrat ou de pacte, un transfert de responsabilités de l’État vers les acteurs eux-mêmes, notamment les syndicats et les entreprises. Le concept même de pacte de responsabilité me semble parfaitement rendre compte de cette idée.
Évidemment, on pourrait me répondre que précisément, la loi de sécurisation de l’emploi remet l’État en selle, à travers le contrôle de l’administration. Le principe est bon : le fait de réintroduire un contrôle de l’État sur des plans sociaux, des restructurations qui affectent souvent un territoire entier, des familles, un collectif de salariés, est une bonne chose. Cela étant, des réserves peuvent être émises quant aux modalités du contrôle de l’administration et peut-être des changements pourraient-ils être introduits.
Premièrement, la loi du 14 juin 2013 touche en profondeur à la procédure de licenciement mais sans rien dire sur le motif du licenciement, alors même qu’une des promesses de la campagne présidentielle portait sur la lutte contre les licenciements boursiers. Cela a conduit à un certain paradoxe : l’administration peut bloquer les licenciements lorsqu’ils ne s’accompagnent pas de mesures suffisantes de reclassement, mais elle ne peut rien faire, d’après le texte, lorsque le plan de sauvegarde de l’emploi n’est fondé sur aucun motif économique. Et, deuxième réserve, l’administration a-t-elle les moyens, dans les délais impartis, d’exercer un véritable contrôle sur les plans de sauvegarde de l’emploi ?
Tout cela me semble d’autant plus gênant que ces avancées, qui pour certaines d’entre elles n’en sont pas, ont eu pour contrepartie des reculs importants quant aux droits des salariés. Je ne citerai qu’un exemple : la règle selon laquelle passé un certain délai, le comité d’entreprise est réputé avoir donné son avis, une disposition qui, comme certaines autres de cette loi, pose des problèmes de conformité avec le droit européen et international.