Intervention de Hervé Tourniquet

Séance en hémicycle du 29 janvier 2014 à 15h00
Débat sur l'évaluation de la loi du 14 juin 2013 et ses effets sur la sécurisation de l'emploi — Table ronde

Hervé Tourniquet, avocat au barreau des hauts-de-seine :

Je vais essayer d’être aussi synthétique que mon prédécesseur pour évoquer deux autres aspects qui font partie des dispositions emblématiques de l’accord du 11 janvier et de la loi du 14 juin 2013 : le temps partiel et les accords de maintien de l’emploi.

La réforme du temps partiel, et singulièrement l’introduction dans le code du travail d’une durée minimale, a été saluée à juste titre comme une avancée pour le monde du travail et pour les salariés qui vivent le plus souvent ce temps partiel de manière contrainte – je reste quant à moi perplexe, dans la majorité des cas, sur la notion de temps partiel choisi. Mais lors des débats, un certain nombre de parlementaires ont émis des réserves sur les vices inhérents à la loi et qui aboutissaient à plomber cette avancée incontestable. Les dispositions en cause sont la faculté de déroger au seuil minimum par accord de branche, la faculté d’y déroger à la demande du salarié – je laisse à chacun le soin de réfléchir à ce qu’il en est de la liberté contractuelle d’un salarié à temps partiel face à de grosses sociétés de propreté ou de sécurité – ou encore le fait que ce minimum ne soit pas forcément calculé de manière hebdomadaire, mais qu’il puisse l’être de manière mensuelle et annuelle. Or l’un des objectifs de cette réforme était précisément de permettre à ceux qui ont choisi le temps partiel de cumuler un emploi avec un autre. Je vous laisse là aussi réfléchir à la liberté qu’a le salarié dont le temps partiel est lissé sur l’année, avec des variations d’une semaine sur l’autre, de trouver un autre employeur suffisamment arrangeant et un emploi du temps qui s’articule parfaitement avec le premier.

Il importe également de se poser la question de la date de la mise en oeuvre de la loi. Selon le texte, les partenaires sociaux avaient jusqu’au 31 décembre 2013 pour négocier ces fameux accords de branche, la disposition relative à la durée minimale étant applicable à partir du 1er janvier 2014. La loi prévoit également que dans les branches où un accord n’est pas intervenu, la durée minimale puisse s’appliquer à la demande du salarié, mais à la condition que l’employeur ne s’y oppose pas au motif de « l’impossibilité d’y faire droit compte tenu de l’activité économique de l’entreprise », ce qui, en tant que juriste, me paraît ouvrir le champ à une grande part de décisions discrétionnaires, pour ne pas dire arbitraires.

Après la contestation théorique, voyons ce qu’il en est, d’un point de vue pratique, de l’application de cette loi.

Premièrement, la négociation dans les principales branches concernées n’avance pas, notamment les plus grosses consommatrices de temps en partiel, à savoir les entreprises de propreté et les entreprises de sécurité. C’est sans doute la raison pour laquelle un délai supplémentaire leur a été accordé. Autrement dit, dans ces entreprises-là, la durée minimale que votre assemblée a votée ne s’applique toujours pas à ce jour, sauf à ce qu’un salarié en ait fait la demande et que l’employeur n’ait pas eu l’idée de lui opposer l’impossibilité d’y faire droit compte tenu de l’activité économique de son entreprise.

Quant aux accords de branche qui ont déjà été signés, d’autres parlementaires, ne siégeant pas forcément sur les mêmes bancs que ceux que j’ai déjà évoqués, avaient fait valoir, non sans raison, que la durée minimale n’était pas forcément adaptée à certains types d’activité économique qui impliquent une intervention beaucoup plus ponctuelle de la part des salariés. On pouvait imaginer que la faculté de dérogation leur était spécialement destinée. Or les premiers accords de branche prévoyant cette dérogation, qui annihile donc la durée minimale que vous avez votée, ont été signés par des établissements d’enseignement privé – accord du 18 octobre 2013, des centres sociaux et socio-culturels – accord du 14 novembre 2013 ou encore Pôle emploi – accord du 19 décembre 2013, toutes activités où la nature de l’intervention des salariés ne nous paraît pas justifier une telle dérogation.

J’en viens aux accords de maintien de l’emploi. Même si nous n’avons encore que peu de recul sur la loi, je remercie M. Chassaigne et les membres de son groupe d’avoir suscité ce débat car il n’est pas mauvais que les parlementaires puissent constater que certaines des critiques qu’ils avaient émises, et qui avaient été évacuées parfois de manière un peu rapide, se trouvent confirmées dans les faits.

Rappelons l’argument qui soutenait ces accords de maintien dans l’emploi : tout sauf un plan de sauvegarde de l’emploi ! Mieux vaut négocier pour passer le creux de la vague que d’y avoir recours ! Certains parlementaires, à juste titre à mon sens, avaient opposé que la nouvelle loi n’interdisait pas le recours à des accords compétitivité emploi, c’est-à-dire des accords reposant sur des concessions des salariés avec pour contrepartie – je pense à PSA – un simple engagement de maintenir un site et non des emplois, que l’engagement de maintien de l’emploi ne portait que sur les salariés concernés par l’accord, et enfin, comme Pascal Lokiec vient de le souligner, que les salariés n’acceptant pas cette modification feraient l’objet d’un licenciement économique selon une procédure individuelle.

Je citerai un exemple qui a été beaucoup commenté, dans la presse généraliste comme dans la presse spécialisée. Je vous renvoie au passionnant article que Patrice Adam, professeur à l’Université de Lorraine, a consacré dans la Semaine sociale Lamy au cas de l’accord de maintien de l’emploi passé au sein de la société Mahle Behr à Rouffach.

L’employeur avait proposé comme alternative à son plan de sauvegarde de l’emploi, qui prévoyait la suppression de 102 emplois, la négociation d’un accord de maintien de l’emploi. Approuvé par référendum, cet accord a été signé par tous les syndicats en juillet 2013 – la loi avait un mois à peine. Il prévoyait des concessions de la part des salariés : perte de cinq jours de RTT et gel des salaires jusqu’en 2015. Mais 162 salariés ont refusé, et ont donc été licenciés pour motif économique. Autrement dit, on est passé de 102 licenciements envisagés à 162 licenciements prononcés, mais puisqu’il s’agit de licenciements individuels, le PSE a bel et bien été évité ! Vous m’accorderez qu’inaugurer le dispositif des accords de maintien de l’emploi par 162 licenciements n’était pas précisément ce que vous aviez envisagé. Le problème est que tout cela est parfaitement légal ! Cette procédure est autorisée par la loi du 14 juin 2013 !

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