Intervention de Christian Granday

Séance en hémicycle du 29 janvier 2014 à 15h00
Débat sur l'évaluation de la loi du 14 juin 2013 et ses effets sur la sécurisation de l'emploi — Table ronde

Christian Granday, délégué syndical central cgt air liquide :

Le groupe Air Liquide a été l’un des premiers à mettre en oeuvre la loi de sécurisation de l’emploi, qui, à notre sens, est davantage une loi de l’offre. Connu pour ses bouteilles de gaz, il comporte néanmoins de multiples filiales. Il se porte bien et se sert du contexte économique national difficile comme d’une aubaine pour durcir encore sa politique sociale et délocaliser ses activités, y compris les plus stratégiques, en vue d’accroître son taux de profitabilité, au lieu de mettre en oeuvre une politique au service des salariés.

Il dégage des bénéfices records, 1,6 milliard en 2012, et les dividendes versés aux actionnaires, en augmentation de plus de 10 %, ont atteint 804 millions. Pour 2013, les résultats s’annoncent encore bons et le niveau des marges laisse présager de nouveaux records de bénéfices. Dans le même temps, le groupe engage des restructurations à tout va et supprime des centaines d’emplois en Europe dans ses métiers traditionnels, dans les fonctions supports comme les services centraux et l’informatique ainsi que dans les activités de soudage et des gaz de l’air.

En France, les plans de restructuration en cours se traduisent par la suppression de 110 postes dans le soudage, le transfert de l’activité en Slovaquie et la vente d’un établissement à Commercy ; par la fermeture du Centre de technique d’application du soudage à Saint-Ouen-l’Aumône, avec la suppression de 24 postes dans la recherche sur le soudage, et le transfert sur le site des Loges-en-Josas du reste de l’activité, ce qui signifie l’arrêt de la recherche de haute technologie sur le soudage, coeur du métier – lasers et robots – de l’entreprise depuis sa création en 1902 à partir de capitaux français ; par la suppression de 191 postes chez Alfi, la plus grande filiale du groupe en France, sans compter les 100 postes menacés par des mobilités contraintes dans toutes les régions et les propositions de départs volontaires, malgré un taux de profitabilité de plus de 19 %. Nous considérons en outre que le plan n’a pas été présenté dans son ensemble puisque la direction accepte maintenant de ne pas muter les non-volontaires sans préciser quelles tâches ils auront à accomplir après la mise en place des nouvelles entités.

Le groupe Air Liquide bénéficie grâce à ses activités de gaz médicaux – Air Liquide Santé France – et à ses filiales de santé à domicile – Orkyn, VitalAire, LVL Médical – de facilités de remboursements des soins par la Sécurité sociale et les mutuelles. Les niveaux de remboursement baissant, le groupe souhaite conserver des niveaux de marge élevés en optimisant sa masse salariale, avec la suppression de 40 postes chez Air Liquide Santé France, qui dégage un résultat opérationnel courant de plus de 20 %, et en limitant la hausse des salaires à moins de 2 % pour 2014. Ce sont ces filiales qui profitent pleinement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

Il faut savoir que le groupe a recours dans ses filiales à la sous-traitance, à des CDD, à des intérimaires, à des contrats en alternance pour des postes qui devraient être pourvus normalement par des salariés en CDI à statut Air Liquide. Il déshabille aussi la France en transférant des activités vitales d’ingénierie. Après avoir mené sa première politique de délocalisation d’envergure en Chine dans les années quatre-vingt, il a accentué cette évolution. En Allemagne, à Francfort, ont été transférées les activités liées à l’hydrogène et ses dérivés, les directions, dont des grands patrons de l’ingénierie, et l’essentiel des organes décisionnels autour des gros appareils de production des gaz de l’air et des gaz de synthèse H2CO. En Pologne, le groupe a mis en place un site d’ingénierie au moins équivalent à ce jour au centre originel situé à Champigny-sur-Marne, dont le rôle ne cesse d’être réduit. Il agit de même en Inde, zone sur laquelle nous n’avons que peu d’informations – pour des raisons opérationnelles, ou fiscales ? Et une filiale basée à Chalon-sur-Saône vient de passer sous contrôle d’une filiale allemande.

Cette stratégie est au service exclusif du profit et des fonds de pension. Le groupe a annoncé l’accélération de ses programmes de productivité ALMA pour préserver le résultat net promis par Benoît Potier, son PDG, aux actionnaires malgré la crise financière et des marchés plus concurrentiels, lesquelles difficultés sont mises en avant par la direction pour appeler les salariés à faire toujours plus d’efforts, efforts sans aucune contrepartie, accompagnés au contraire par des baisses de pouvoir d’achat pour la majorité d’entre eux, sans compter le blocage des salaires en 2009.

En 2010, par un plan dénommé ALFOR décidé en prévision de la loi dite de modernisation sociale, la direction générale a démantelé la société mère, qui comptait 5 000 salariés, située en France, en une douzaine de filiales, dans un premier temps toujours basées en France. À l’époque, la direction avait promis que cela ne changerait rien. Depuis, on a assisté à d’autres filialisations, par exemple celle des services informatiques ou de l’activité CO2 avec non seulement des pertes de statut Air Liquide mais aussi des transferts à l’étranger de tout ou partie des activités et des emplois correspondants, sans oublier les pertes de recettes pour notre pays et en particulier notre système social.

Cette situation est de moins en moins supportable quand on sait que le groupe Air Liquide a reçu, en 2012, 27 millions d’euros au titre du crédit impôt recherche, soit 750 emplois à 3 000 euros par mois, et qu’il devrait bénéficier d’environ 6 millions d’euros au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi et d’un taux d’imposition de l’ordre 3 % de son résultat courant Air Liquide SA.

Avec cette loi, nous craignons que les réorganisations se succèdent et se banalisent et que les effectifs soient appelés à se réduire en France dans un avenir proche. Un droit d’alerte a d’ailleurs été lancé par le comité central d’entreprise de la filiale d’ingénierie. Dans les projets sortis récemment des cartons par la direction du groupe figurent les multiples créations de sociétés aux organisations plurinationales, européennes voire mondiales, au détriment de l’emploi en France sans que l’emploi global en profite pour autant. La délocalisation en cours des activités de support jusqu’alors situées à La Défense en est un exemple d’actualité.

Comment espérer sauvegarder l’emploi en France si un groupe comme Air Liquide, sous couvert de compétitivité, réduit les effectifs ? Cette loi encadre les plans sociaux, contraint les élus dans un calendrier défini au préalable, l’instance CHSCT étant reléguée au rang de simple chambre d’enregistrement désignée au cinquième degré.

Nous ne pouvons que regretter que les services de l’administration soient amenés à valider des PSE sans mener d’analyse économique et financière des groupes et sociétés concernés. Cette loi banalise les plans sociaux et l’ajustement de la masse salariale et de la productivité pour permettre une évolution régulière et constante des dividendes. Nous pensons que les dividendes du groupe Air Liquide atteindront 900 millions en 2014 et probablement un milliard en 2015 !

Cette loi dite de sécurisation de l’emploi, taillée sur mesure pour le MEDEF et les groupes du CAC 40, arrive après le découpage du groupe industriel en filiales et la vente d’entreprises jugées peu rentables à court terme. Nous constatons, après des échanges bien encadrés, menés sur trois mois, que la direction applique unilatéralement son plan social dans la filiale France Industrie alors que les organisations syndicales, pourtant signataires au plan national, ont donné un avis défavorable. Le coût de l’expertise faite par le cabinet Secafi Alpha pour les deux volets, économique et CHSCT, est de 700 000 euros. Enfin, il faut souligner que la brutalité de ce type de consultation n’est pas sans poser problème pour la santé psychologique des salariés.

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