Intervention de Michel Sapin

Séance en hémicycle du 29 janvier 2014 à 15h00
Débat sur l'évaluation de la loi du 14 juin 2013 et ses effets sur la sécurisation de l'emploi — Débat

Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Merci pour cet échange : c’est une très bonne procédure qui nous permet de discuter de l’application des lois, quelques mois seulement après leur vote et leur date d’entrée en vigueur principale, qui était le 1er juillet pour beaucoup des dispositions de ce texte.

Ai-je besoin de vous rappeler les objectifs politiques de cette loi ? C’est d’abord l’emploi, y compris par la constitution de droits nouveaux. Nous sommes à l’inverse de la dégradation de la qualité de l’emploi : nous avons la volonté, et le Parlement a eu la volonté, d’établir une procédure qui permette de sauver le plus possible d’emplois, mais aussi de lutter contre la précarité. C’est typiquement une loi anti-« minijob », si vous voyez de quoi je veux parler.

C’est aussi un texte qui lutte contre la perte d’emploi, en mettant en place des procédures de licenciement économique lorsque la suppression d’emploi n’a pu être évitée. Nous aurons évidemment à en parler, même si nous n’avons que six mois de recul. Cela permet déjà d’avoir quelques idées, mais pas de tirer des enseignements définitifs, ni dans un sens, ni dans un autre.

La sauvegarde de l’emploi vient rompre avec ce que j’ai appelé, après d’autres, « la préférence française pour le licenciement ». On peut le dire autrement : « préférence française pour le chômage ». Ce texte prévoit ainsi des alternatives au licenciement, avec la mise en place de mécanismes qui sécurisent l’emploi.

La volonté qui a été la nôtre consistait à ne pas déréguler par la suppression de droits, sans adopter une posture figée, sur la défensive, qui aurait interdit aux acteurs de rechercher des solutions transitoires pour l’emploi : nous encourageons au contraire la construction de solution négociées – ce terme, « négociées », est très important et vous avez dû en parler avec vos précédents invités – à l’intérieur d’un cadre strict et exigeant.

Pour ce premier bilan, il faut d’abord être attentif à la question du calendrier. J’entends souvent dire : « Il y a ce qui est lâché tout de suite et ce qui est à voir demain. » Nous allons commencer à entrer dans le concret et le précis sur tous les aspects.

Sont entrées en vigueur au 1er juillet dernier les dispositions sur le plan de sauvegarde de l’emploi, sur les accords de maintien de l’emploi, sur le nouveau dispositif d’activité partielle, ainsi que la modulation des cotisations d’assurance chômage sur les contrats courts.

La création de la base de données unique, qui est un élément de simplification mais aussi d’efficacité dans l’information des représentants du personnel, a fait l’objet d’un décret paru en décembre 2013 : nous sommes donc dans les premiers jours d’application.

L’entrée des salariés dans les conseils d’administration est en cours. Il s’agit d’un élément très important de ce texte, qui a d’ailleurs réuni différents bancs de l’Assemblée.

Les modifications des statuts doivent avoir lieu avant la fin 2014. Les entreprises concernées devraient, dans leur quasi-totalité, attendre leur assemblée générale de juin pour provoquer une AG extraordinaire, modifier leurs statuts, prévoir les modalités de désignation. Certaines ont pris les devants : je pense en particulier à Pernod-Ricard qui a tenu son AG en novembre 2013, si bien que le dispositif entrera en vigueur plus tôt que prévu.

Des négociations sur le temps partiel sont en cours. Il ne faut pas se cacher que ce sont des négociations difficiles, même si la loi, et notamment la mesure sur les vingt-quatre heures, a été perçue comme une avancée, notamment pour celles qui, majoritairement, travaillent à temps partiel : les femmes.

Pourquoi ces négociations sont-elles difficiles ? Parce que la loi de sécurisation a réellement changé les choses et a mis la barre très haut. Certains, d’ailleurs, ont critiqué cette volonté. Ces négociations demandent plus de temps que nous l’avions prévu ; c’est pourquoi, comme vous le savez, j’ai décidé de vous proposer, en accord avec les signataires de l’Accord national interprofessionnel, un délai supplémentaire de six mois, jusqu’en juillet 2014, afin que puissent aboutir des négociations qui sont parfois extrêmement délicates. Objectivement, ce n’est pas forcément le grand capital qui pose problème : ce sont des réseaux associatifs solidaires qui peuvent avoir des difficultés à mettre en oeuvre un dispositif de cette nature.

Je veux m’arrêter sur l’intéressant cas de la restauration rapide. L’accord vient d’être signé. Il y a eu six mois de négociations, très difficiles. Cet accord a été signé par les cinq organisations de salariés. On l’a appelé « accord MacDo ». Tout a été revu : durée des contrats, prime de coupure, avenant sur le complément d’heures… C’est vraiment du concret, pour des centaines de milliers de salariés. La CGT a d’ailleurs parlé d’une « étape importante contre le temps partiel imposé et contre le morcellement du travail ».

C’est un accord important, qui prouve que, branche par branche, il peut y avoir un dialogue social de qualité, qui porte ses fruits au bénéfice de tous, même sur des sujets extrêmement délicats. Je souhaite qu’il en aille ainsi dans toutes les branches, d’où ce délai supplémentaire.

En cours également : la complémentaire santé, que tout le monde, me semble-t-il, a soutenue, en disant parfois qu’elle serait « pour plus tard »… Il faut quand même un peu de temps pour mettre en oeuvre une telle disposition, d’autant que, comme vous le savez, des décisions successives du Conseil constitutionnel ont rendu le paysage quelque peu incertain, en contradiction avec la volonté majoritaire du Parlement, ou en tout cas de l’Assemblée nationale.

Les partenaires sociaux doivent aboutir pour le 1er juillet 2014. Là, nous ne changerons pas la date : c’est un véritable défi, mais les négociations sont en cours dans les branches et je crois qu’elles déboucheront sur une avancée très importante pour l’ensemble des salariés concernés.

La création des droits rechargeables constitue aussi une avancée considérable, issue de l’ANI, que vous avez adoptée en votant la loi. Elle est au menu des négociations en cours à l’Unedic. D’ici au mois de mars, ces dispositions seront mises en oeuvre. La négociation a débuté le 17 janvier. Elle fixera pour les prochaines années les modalités d’indemnisation des demandeurs d’emploi.

Reste à venir le compte personnel de formation. Vous en savez quelque chose, puisque vous en avez voté la coquille : elle a été remplie, de manière détaillée, par l’accord du 14 décembre dernier, qui est donc intervenu vite. Certains me disaient qu’il faudrait des années et des années : non, c’est venu extrêmement vite, en quelques mois, s’agissant d’une vraie révolution dans le domaine de la formation professionnelle.

Nous allons avoir à en discuter. Je crois même que vous en discutez en ce moment en commission, pour ceux qui peuvent y être présents par un don d’ubiquité que je salue…

Ce dispositif sera réalité le 1er janvier 2015 : je redis ici clairement – et je le redirai pendant tout le débat – que c’est le 1er janvier 2015 que ce compte personnel de formation entrera en application.

Un éclairage enfin, monsieur le président, sur les nouvelles procédures de licenciement. Ce sont bien entendu celles dont on parle le plus : on peut le comprendre, ce sont celles qui touchent aux difficultés d’aujourd’hui.

Le nombre des PSE en 2013 se situe autour de 950, chiffre qui varie peu par rapport à 2012 ou 2011. Évitons donc les commentaires sur les PSE qui seraient de plus en plus nombreux, sur les « cascades de PSE »… Ces commentaires, toujours les mêmes, ne sont que des « marronniers ». C’est beaucoup trop, mais ce n’est pas plus que les années précédentes.

Comme vous le savez, ce ne sont pas les PSE qui font augmenter les statistiques du chômage : ils ne représentent que 3 à 7 % du total des entrées à Pôle Emploi.

Enfin, les PSE forment la partie la plus visible de mutations plus profondes et ils doivent être traités avec le sérieux qui convient.

Sept mois après le vote de la loi, où en sommes-nous ? Voyons d’abord en amont des difficultés, car on ne parle pas assez de ce qui se passe en amont. J’ai dit ce qu’il en était s’agissant de la présence des salariés au conseil d’administration. Nous avons là une anticipation, des droits individuels qui permettent de faire face avant qu’il soit trop tard et de ne pas subir.

Ce que j’ai dit sur le compte personnel de formation vaut aussi pour la mobilité professionnelle sécurisée, telle que vous l’avez votée.

L’anticipation passe par des droits collectifs. La stratégie économique de l’entreprise, la GPEC, doit changer de nature, ou plus exactement revenir à ce qu’elle aurait toujours dû être : une projection dans l’avenir pour éviter les difficultés. Je pense aussi aux obligations renforcées de l’entreprise pour partager en temps réel les informations avec les représentants des salariés.

L’anticipation donne enfin des moyens de traverser la crise en limitant la casse : mobilité interne, simplification et unification du dispositif d’activité partielle – qui est beaucoup plus utilisé aujourd’hui – et accords majoritaires de maintien de l’emploi.

Les faits confirment que nous avions des marges de progrès et que, par la loi de sécurisation, elles ont été libérées. Par exemple, 11 300 autorisations de recours à l’activité partielle ont été accordées au second semestre 2013, soit une augmentation de 27 % par rapport à la même période en 2012. Cela représente un volume de 53 millions d’heures, soit 75 % d’augmentation. C’est le plus souvent utilisé pour éviter des licenciements et mettre en place des formations permettant aux salariés de faire face à l’évolution de leur carrière.

Nous connaissons les difficultés liées à la gestion des restructurations depuis des années : des délais de procédure légaux peu respectés, qui créent de l’incertitude pour l’entreprise comme pour les salariés, et une judiciarisation de plus en plus forte. Ce n’est pas par hasard que des avocats s’expriment souvent sur ces sujets : l’affrontement entre avocats remplace le dialogue social, ce qui ne me paraît pas un gage de qualité du dialogue social – sans mettre en cause la qualité des avocats, monsieur Sebaoun. L’énergie est mise davantage dans l’achèvement d’une procédure formelle que dans la recherche de solutions alternatives. Nous assistons à la montée de la logique du chèque, qui peut se comprendre, évidemment, pour des salariés en difficulté, au détriment des mesures permettant aux salariés licenciés de retrouver un emploi.

La loi de sécurisation de l’emploi change profondément la donne, renforce le dialogue social, renforce la qualité des PSE et comporte une incitation renforcée à former les salariés.

Que nous disent les premières données chiffrées ? Du 1er juillet – date d’application de la loi – au 31 décembre 2013, 416 dossiers de validation et d’homologation de PSE ont été ouverts auprès des directions régionales du travail. Dans ces 416 procédures, 35 % concernent des entreprises en procédure collective : sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire. Mais 65 % des entreprises sont soumises au droit commun des licenciements.

Le second semestre a été marqué par une diminution du nombre des procédures, avec une baisse de plus de 10 % par rapport à 2012, ce qui veut dire que le tsunami annoncé est resté un fantasme.

Retenons aussi un chiffre : hors procédures collectives, plus des trois quarts des entreprises ont négocié, ce qui représente nettement une prime au compromis. Dans deux cas sur trois, la négociation a débouché sur un accord collectif majoritaire. Au 31 décembre, il y a plus d’accords collectifs majoritaires que d’homologations : 57 contre 49, hors procédures collectives bien sûr.

Même lors des procédures collectives qui, par nature, ne disposent guère de temps ni de moyens pour négocier, on dénombre 10 % d’accords collectifs. Tous les syndicats signent des accords – il n’y a pas d’un côté ceux qui signeraient et, de l’autre, ceux qui ne signeraient pas – même si, en fonction des situations, ils peuvent être différents. Tous les syndicats, je dis bien, tous les syndicats ont signé à tel ou tel endroit des accords, même ceux qui, évidemment, n’avaient pas signé l’ANI. Cela prouve que tous ont à coeur de faire vivre les négociations et de défendre les intérêts de ceux qu’ils représentent avec les outils légaux, et c’est très bien qu’il en soit ainsi.

Donner le pouvoir de négocier a donc du sens, nous sommes plusieurs ici à le savoir, et se révèle efficace. La confiance n’est pas forcément un vain mot.

De plus, la judiciarisation est nettement en baisse – je comprends que certains le regrettent. L’un des paris de la loi était de parvenir à faire baisser le nombre de recours judiciaires grâce à de bons accords évitant le recours à cette procédure, jusqu’alors normale pour défendre les salariés. Alors que près de 30 % des PSE donnaient lieu à contentieux, sur les 416 procédures initiées, je crois que l’on dénombre à peine 5 % de recours devant les autorités judiciaires, quelle que soit la nature de ces dernières, certains de ceux qui ont été devant les TGI ayant été renvoyés devant les tribunaux administratifs. La judiciarisation est donc passée de de 30 % à 5 %, rendez-vous compte, grâce à des accords majoritaires qui ont permis de trouver des solutions plus avantageuses !

Enfin, nombre d’entre vous, à juste titre, se sont demandé si les DIRECCTE disposeraient des moyens humains – en termes de formation, etc. –, pour faire face à cette nouvelle responsabilité puisque l’État, oui, est revenu au rendez-vous de l’intérêt général par le biais de la vérification et de l’homologation.

Je rappelle les deux critiques qui avaient été faites, et l’on pouvait parfaitement les comprendre : absence de moyens ; trop nombreuses avalisations – en quelque sorte automatiques – des décisions des entreprises. Je peux vous dire que 99% – je préférerais 100% mais je ne suis pas sûr que cela soit possible dans le monde d’aujourd’hui – des décisions d’homologations ou de validations ont été explicites et motivées, loin d’être dues au temps qui a filé. 99% ! J’ai dit à toutes mes DIRECCTE que je tenais à ce que chaque dossier soit regardé et que chaque décision soit motivée et explicite – cela fut le cas dans 99% des cas – dans des délais se situant entre 15 et 21 jours.

Le taux de refus d’homologation s’élève à 10 %, ce qui n’est pas négligeable et qui a permis de faire du refus une arme de dissuasion pour que les observations des DIRECCTE soient suivies lorsque ces dernières sont en contact avec les directions des entreprises. Les DIRECCTE ont donc été parfaitement au rendez-vous. Pour les rencontrer très souvent, je peux vous dire qu’elles se passionnent beaucoup pour ce versant-là de leur travail.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, monsieur le président, le premier bilan, encore partiel évidemment, que je pouvais dresser au stade de notre rendez-vous, dont je me félicite.

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