Les réformes successives de la formation professionnelle – en 2003, en 2009 et aujourd'hui – ont toutes eu pour objectif de corriger des inégalités unanimement relevées. Les plus criantes concernent les salariés travaillant dans des TPE, ceux dont le niveau de formation initial est faible et les travailleurs précaires – c'est-à-dire souvent des femmes, pour les deux dernières catégories.
La question de la proratisation des heures de formation s'est posée bien avant la création du compte personnel de formation, notamment pour le DIF. Nous sommes favorables à la suppression de la proratisation, pour la simple et bonne raison qu'une personne travaillant à mi-temps ne peut pas être une personne à moitié formée ! Certes, cela poserait des problèmes de financement, mais sur le principe, il est fondamental que tous les salariés puissent être formés, même s'ils travaillent à mi-temps – d'autant que l'inégalité d'accès à la formation lèse tout particulièrement les femmes, qui sont souvent en CDD ou en situation de précarité. Lors des négociations de branche engagées à la suite de la réforme de 2003 et de la création du DIF, nous avions dans certains cas obtenu qu'un temps partiel de 80 % ouvre autant de droits au titre du DIF qu'un temps complet. Il ne me semblerait pas choquant d'envisager le même système pour le CPF.
Pourquoi la CGT n'a-t-elle pas signé l'ANI ?
Première raison : l'objectif aurait été d'aboutir à une loi « négociée », le texte issu de la négociation nationale interprofessionnelle étant censé servir de base à la future loi, aux termes d'une transcription soit « fidèle », soit « loyale » – c'est selon, mais cela revient au même. Or cela revient à se dessaisir du pouvoir législatif au profit des partenaires sociaux, d'autant que le Gouvernement peut compter sur le soutien du parti majoritaire à l'Assemblée nationale ! En vérité, la négociation avait déjà eu lieu, pour l'essentiel, ailleurs ; le cadrage général et les équilibres généraux ont été discutés en dehors de la négociation interprofessionnelle.
Deuxième raison : la création du compte personnel de formation – qui est incontestablement un progrès – a été décidée par l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, lui-même transcrit dans la loi du 14 juin 2013. Ce qui a été négocié dans l'ANI du 14 décembre ne sont que les modalités de la mise en oeuvre du CPF, et non son principe.
Le CPF s'inscrit dans la continuité du DIF, qui fut la première concrétisation de l'aspiration à l'individualisation de l'accès à la formation formulée depuis des années par les salariés. Dans tous les débats syndicaux et dans toutes les assemblées générales, on retrouve cet espoir, parfois démesuré, d'être l'acteur de sa propre formation ; à mon avis, ces illusions se reporteront sur le CPF.
La présente réforme s'inscrit dans une certaine continuité de l'action gouvernementale, qui tend à réduire le coût du travail et à flexibiliser le marché du travail. Selon nous, cette politique n'est pas favorable aux salariés. Nous comprenons que d'autres organisations puissent considérer que c'est une voie nécessaire pour sauvegarder certains acquis, mais en ce qui nous concerne, nous nous y opposons.
Les organisations patronales ont obtenu potentiellement plus de deux milliards de diminution de ce qu'elles appellent des charges. Il est certain que le financement de la formation professionnelle va baisser.
Se pose également le problème de la formation en dehors du temps de travail. C'était déjà le cas pour le droit individuel à la formation, mais il y avait deux contreparties : premièrement, l'employeur s'engageait à reconnaître la qualification acquise et à proposer au salarié qui l'avait obtenue un poste en rapport ; deuxièmement, il devait verser une allocation de formation correspondant à 50 % de la rémunération nette. Résultat : le DIF, bien qu'il dût en principe se dérouler en dehors du temps de travail, était presque toujours utilisé pendant le temps de travail.
Le nouveau système prévoyant la suppression de l'allocation de formation, l'employeur aura le choix entre une formation pendant le temps de travail qui lui coûtera, selon nos évaluations, de 4000 à 4500 euros, et une formation en dehors du temps de travail qui lui reviendra à 1 500 euros : le calcul sera vite fait ! Sachant que 150 heures ne suffisent pas pour une formation qualifiante, qu'un éventuel abondement personnel du salarié est possible et que certains experts estiment qu'en France les ménages ne contribuent pas suffisamment aux dépenses de formation, on imagine ce qui va se passer.
Nous pensons par conséquent que la mise en oeuvre du compte personnel de formation – qui est pourtant un dispositif utile – sera l'occasion d'une inversion de la logique du système de formation professionnelle français, avec un transfert de la responsabilité de celle-ci des entreprises aux personnes. D'ailleurs, le Gouvernement n'a-t-il pas parlé d'une réforme « systémique » ?