Intervention de Dimitris Kourkoulas

Réunion du 22 janvier 2014 à 17h30
Commission des affaires européennes

Dimitris Kourkoulas, secrétaire d'état grec aux affaires européennes :

Je suis heureux et honoré d'aborder devant votre commission les nombreuses questions dont la présidence grecque de l'Union devra traiter.

Auparavant, je tiens à remercier les Gouvernements français successifs et le peuple français d'avoir manifesté une solidarité et un appui constants à la Grèce au long de la période de crise profonde qu'elle a connue. En ces moments critiques pour notre pays, tous nos partenaires n'ont pas été aussi encourageants. La crise a représenté pour la Grèce un véritable tsunami. Jamais, depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, un pays développé n'a dû affronter six années de récession consécutives, la perte de plus de 25 % de son PIB, un taux de chômage de 27 % – et de presque 60 % pour les jeunes.

S'il est encore trop tôt pour une analyse complète des facteurs de la crise, on peut néanmoins en dire quelques mots. Que des responsabilités très graves incombent à la gestion politique et économique de la Grèce au cours des 10 à 15 ans qui ont précédé la crise, personne ne le nie ; les partis politiques concernés ont reconnu leurs erreurs et ils en ont tiré les leçons. Pour autant, on ne peut oublier qu'à sa création l'euro comportait des lacunes structurelles, alors invisibles. L'introduction de la monnaie unique a été un grand succès et les initiateurs de ce projet utile et nécessaire ont pensé que, si des difficultés apparaissaient, on prendrait la décision d'aller vers une plus grande intégration. Malheureusement, la crise a été gravissime et les institutions européennes n'ont pu réagir rapidement. Depuis lors, l'Union européenne a pris et continue de prendre des mesures tendant à renforcer la structure de la zone euro qui auraient été inconcevables il y a encore quatre ou cinq ans. Cette construction, qui demeure inachevée, pose aussi l'importante question de la légitimité démocratique de décisions prises dans l'urgence, avec la création d'instances qui, telle la troïka, n'étaient pas prévues dans les traités. C'était inévitable, car l'Union n'était pas armée pour faire face à une crise d'une telle ampleur. Nous sommes heureux que le débat institutionnel se poursuive au Parlement européen et dans les Parlements nationaux et que l'on s'attache désormais à intégrer les mécanismes créés par l'Eurogroupe dans le système communautaire ; c'est la garantie d'un contrôle démocratique.

La Grèce n'a pas été le seul pays frappé par la crise et son cortège de récession et de chômage. Partout, ils ont conduit une grande partie de nos populations à remettre en cause l'idée européenne. La confiance s'est ébranlée dans plusieurs États membres, et l'on constate la perte du sentiment d'appartenance à un projet commun. La question de la légitimité démocratique, de la transparence des décisions et de la dimension sociale de l'Union se pose avec acuité. L'Union européenne ne peut se concevoir sans une dimension sociale, adaptée à la mondialisation : c'est ce qui la différencie de toutes les autres régions développées.

Le peuple hellène a réagi courageusement au tsunami qui le frappait – imaginez le bouleversement qu'induiraient, en France, six années de récession continue ! Les Grecs continuent d'en subir quotidiennement les effets, mais des indices significatifs montrent que l'économie grecque est en train de sortir de la crise. Le premier est la réduction spectaculaire du déficit public : jamais un pays membre de l'OCDE n'était parvenu à le faire baisser de 15 % à moins de 3 % en un temps si court. Un autre signe d'amélioration est l'excédent primaire dégagé en 2013 ; Eurostat le confirmera en avril. Il sera encore plus important en 2014 et, si on tient compte de l'ajustement structurel, ce sera le meilleur en Europe et parmi les meilleurs au monde.

Mais le prix payé pour cela par le peuple grec a été très élevé. On peut débattre de la dose d'austérité et de la période d'adaptation qui auraient été nécessaires, mais la vérité est que ni la Commission européenne ni la Banque centrale européenne n'avaient mandat pour intervenir, ni même l'expertise pour faire face à la crise ; c'est ce qui a conduit la Grèce à la décision, politiquement insolite, de faire appel au Fonds monétaire international.

Dans le même temps, on assistait malheureusement en Grèce à une montée de l'extrémisme d'autant plus honteuse qu'elle se produit dans un pays dont les habitants, attachés à la liberté, au respect des droits de l'homme et à la démocratie, ont profondément souffert du nazisme, puis du totalitarisme. Je crains que cette tendance ne se traduise dans les urnes lors des prochaines élections européennes, mais tous les partis démocratiques grecs, dans le respect de leurs différences, forment un front très large dont je pense qu'il sera assez fort pour ne pas laisser le cancer du racisme et du nazisme se répandre dans la société – et la meilleure manière de faire face à cela, c'est de sortir de la crise économique et de réduire le taux de chômage.

Nous entendons distinguer de la manière la plus nette la situation de la Grèce de notre rôle institutionnel de présidence du Conseil européen, un rôle que nous avons déjà rempli quatre fois avec succès. Qu'un pays en crise assume cette présidence rappelle la prévalence du principe, quelque peu malmené au cours de ces années de crise, de l'égalité institutionnelle de tous les États membres. La réussite de la présidence grecque contribuera à rétablir l'image, durement atteinte, de notre pays.

Vous avez, madame la présidente, donné un aperçu des priorités fixées par la présidence grecque dans quatre domaines d'action que je rappellerai pour mémoire. En matière de croissance, d'emploi et de cohésion, nous souhaitons compléter la législation pour mettre en oeuvre le cadre financier pluriannuel ; promouvoir la réalisation de l'Acte pour le marché unique en mettant l'accent sur le marché unique numérique afin qu'il soit achevé en 2015 ; appliquer les décisions tendant à améliorer l'accès des petites et moyennes entreprises aux financements, en liaison avec la Banque européenne d'investissement ; appliquer l'initiative visant à résorber le chômage des jeunes ; poursuivre la négociation avec les États-Unis et d'autre partenaires stratégiques pour conclure un accord commercial tenant compte des intérêts de l'Union et des États membres.

Nous comptons également approfondir l'intégration de l'union économique et monétaire, et surtout l'union bancaire. Nous ne relâcherons pas nos efforts pour parvenir à un accord au cours des semaines à venir, mais ce ne sera pas facile, puisque la grande majorité des parlementaires européens désapprouvent le consensus trouvé au sein du conseil des ministres européens des finances (ECOFIN), et singulièrement le fait qu'il s'agisse de propositions à caractère inter-gouvernemental. Toutefois, le Parlement européen souhaite qu'un pas soit fait avant les prochaines élections ; s'il en allait autrement, les électeurs seraient fondés à s'interroger sur des institutions européennes incapables de se mettre d'accord en temps de crise. La présidence grecque entretient des relations continues avec le président du Parlement européen et avec les groupes politiques et un lourd programme de réunions de travail a été fixé, mais la question est hautement politique.

C'est le principal dossier de la présidence grecque, car c'est le plus important pour l'Union européenne et pour la croissance. L'union bancaire contribuera à réduire l'écart des taux d'intérêt appliqués aux emprunts selon les États membres. Ils sont actuellement de trois à cinq fois plus élevés dans les pays du Sud que dans les pays du Nord de l'Union. Ce n'est pas viable dans un marché unique doté d'une seule monnaie et cela pénalise la croissance et donc la création d'emplois. La Grèce préférerait une union bancaire plus ambitieuse que celle sur laquelle le Conseil ECOFIN s'est accordé, mais sa position nationale ne compte pas et la présidence grecque jouera pleinement son rôle de conciliateur ; je m'entretiendrai d'ailleurs demain avec M. Thierry Repentin, mon homologue français. La mise sur pied de l'union bancaire est un test de crédibilité pour l'Europe.

Plus l'intégration économique et monétaire progresse, plus il est nécessaire de renforcer la dimension sociale de l'Union. La présidence grecque s'y attachera. Un premier pas aura lieu en mars avec la présentation pour la première fois au Conseil européen d'un tableau de bord incluant des indicateurs sociaux retraçant l'évolution de la situation sociale dans les États membres.

Migration et gestion des frontières constitueront le troisième domaine d'action prioritaire de la présidence grecque. Nous voulons faire cesser ou réduire la migration illégale tout en préservant les droits des migrants, ce qui implique de combattre les réseaux criminels de l'immigration clandestine. L'Union européenne doit utiliser plus efficacement les outils de politique extérieure dont elle dispose pour persuader les pays tiers, qu'ils soient d'origine ou de transit, de mieux coopérer avec elle dans la lutte contre des trafiquants dont le chiffre d'affaires se chiffre en milliards de dollars, excédant désormais celui des trafics d'armes ou de stupéfiants. Chaque jour ou presque, un bateau accoste en Grèce chargé de 100, 200, voire 300 Irakiens, Afghans ou Bangladeshis. Chacun a payé de 5 000 à 10 000 dollars – les économies d'une vie – pour embarquer ; multipliez ces sommes et vous aurez une idée de la dimension financière de ce trafic. L'Union européenne doit aussi coopérer plus activement avec les pays d'origine pour obtenir le rapatriement des migrants illégaux ; les accords à ce sujet ne sont pas toujours respectés par les pays tiers. Dans le même temps, il nous faut mieux organiser la migration légale et l'accueil des migrants. Pendant une période, l'immigration en Grèce a été hors contrôle. Depuis l'arrivée au pouvoir du Gouvernement actuel, en 2012, l'immigration illégale par voie terrestre en provenance de la Turquie – qui constituait, vous l'avez indiqué, 80 % de l'immigration illégale en Europe – a chuté, spectaculairement, de 100 000 à 5 000 personnes. Nous avons constaté en revanche l'augmentation de l'immigration illégale par la voie maritime, mais cela concerne un nombre de migrants beaucoup plus faible : on est passé de 1 000 à 5 000 personnes. C'est la première fois depuis des années que la Grèce parvient à contrôler les flux migratoires à ses frontières. C'est indispensable pour gérer les migrations, mais il est impossible à un pays qui compte 10 millions d'habitants, un million d'immigrés légaux et presque un million d'immigrés illégaux, et dont le taux de chômage est de 27 %, de gérer seul ce phénomène.

La commissaire européenne aux affaires intérieures, Cecilia Malmström, a salué les importants progrès accomplis par la Grèce dans le traitement des demandes d'asile, qui connaissait précédemment des retards inacceptables ; le taux d'acceptation des demandes d'asile est maintenant de quelque 12 %. Nous sommes conscients des lacunes de nos infrastructures d'accueil de ces pauvres gens, mais l'Union européenne doit, comme toutes les autres régions développées de la planète, définir une approche globale de la gestion de ses frontières. Les réfugiés de guerre, qu'ils proviennent de Syrie, de Libye ou d'autres pays, constituent une catégorie à part et ont droit à un autre traitement. Pour sa part, la Grèce a déjà accueilli quelque 20 000 Syriens et, la crise persistant, nous estimons que ce nombre augmentera dans les mois qui viennent. Mais c'est là une autre question juridique et politique.

La quatrième priorité de la présidence grecque est la politique maritime, qu'il convient de redéfinir et de relancer dans tous ses aspects. Nous espérons en particulier que le Conseil européen de juin adoptera une nouvelle stratégie pour la sécurité maritime, dont l'un des volets a trait à la sécurité énergétique.

L'action de la présidence grecque ne se limitera pas à ces dossiers prioritaires, car elle tient aussi à faire avancer les chantiers en cours : outre l'achèvement du marché unique, il y a l'élargissement – et le 21 janvier 2014 demeurera dans les mémoires comme la date historique du lancement des négociations relatives à l'adhésion de la Serbie à l'Union européenne ; la politique européenne de voisinage à l'Est et au Sud ; les relations avec la Turquie. Enfin, le Conseil européen de mars traitera du transport ferroviaire, sujet sur lequel la présidence grecque fera rapport au Conseil européen de juin. Il sera impossible d'adopter au cours de la présidence grecque l'ensemble du paquet ferroviaire, mais nous efforcerons de faire progresser ce dossier avant de passer le relais à l'Italie, avec laquelle nous entretenons déjà une collaboration très étroite, en matière de politique de migration et de politique maritime notamment.

Je m'en tiendrai là pour laisser du temps au débat.

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