Intervention de Dimitris Kourkoulas

Réunion du 22 janvier 2014 à 17h30
Commission des affaires européennes

Dimitris Kourkoulas, secrétaire d'état grec aux affaires européennes :

La présidence grecque, parce qu'elle est favorable à la diversité linguistique en Europe, a pris soin d'accorder au français, ainsi d'ailleurs qu'à l'allemand, le même traitement qu'à l'anglais : nos publications, électroniques et sur papier, sont donc également disponibles en français.

Je suis d'accord avec ce qui a été dit des diverses expressions du populisme. En Grèce aussi, on entend souvent accuser l'Union européenne, et surtout l'Allemagne, de tous les maux. L'anti-germanisme primaire est assez répandu, ce qui est inacceptable et dangereux car cela dresse les deux peuples l'un contre l'autre. Mais certains propos tenus ont été maladroits et la presse allemande a parfois fait preuve d'une agressivité notable à l'égard des Grecs.

J'étais favorable à la création de l'euro, dont je comprenais la dimension politique ; mais je commence à douter de la viabilité d'une monnaie unique sans union politique. Je suis convaincu qu'il n'est pas de monnaie unique possible sans union budgétaire mais, la question étant de nature politique, je ne suis pas sûr qu'une union budgétaire soit possible sans union politique. À l'époque de la présidence Delors, le premier objectif de la Commission européenne était d'assurer la cohésion sociale, par le biais des fonds structurels ; or cet objectif a été oublié au moment où l'on allait vers une monnaie unique, qui implique des transferts plus importants. Vous m'avez demandé jusqu'à quel point les divergences sont acceptables : je pense que l'on est parvenu à une ligne rouge. Avec l'élargissement, les divergences se sont aggravées, mais il y a aussi que, dans les années 1990, débattre du budget européen, c'était se demander si les contributions nationales représenteraient 4 ou 5 % du PNB – et cela, avant la création de l'euro ! Comme il n'est pas question d'ouvrir la boîte de Pandore de la discussion sur la révision du traité alors que les opinions publiques n'y sont pas favorables, il faut gérer la crise au mieux et, pour l'instant, faire ce qui est faisable avec des acrobaties légales. Mais, sur le plan intellectuel, on peut s'interroger sur la viabilité de la monnaie unique sans progrès substantiels de l'union politique.

Mon expérience passée de chef de la délégation de l'Union européenne en Bulgarie puis en Bosnie-Herzégovine m'amène à considérer que le système de visas Schengen ne protège pas de l'immigration clandestine. Nous en avons la preuve en Grèce : la multitude de migrants illégaux qui arrivent proviennent tous de pays qui sont soumis à une obligation de visas. En outre, ce système tient maintenant de la punition, en ce qu'il pénalise par exemple l'industrie grecque du tourisme au bénéfice de ses concurrents : Chinois et Russes sont plus enclins à visiter la Turquie, qui ne leur impose pas de visas, que la Grèce, qui leur impose d'en avoir un. Sur le fond, celui qui a décidé d'entrer illégalement en Europe ne changera pas d'avis parce qu'il n'a pas de visa. Je ne dis pas qu'il faut tendre à une libéralisation complète, mais qu'il ne faut pas se bercer d'illusions : obliger les ressortissants d'un pays donné à présenter un visa ne garantit en rien que des citoyens de cet État n'entreront pas illégalement sur le territoire de l'Union. À l'inverse, j'étais en Bosnie-Herzégovine lorsque l'accord facilitant la délivrance de visas est entré en vigueur. Comme, en contrepartie, la Bosnie-Herzégovine devait mieux contrôler ses frontières et renforcer sa coopération avec Europol, la pression des immigrants illégaux en provenance de ce pays est maintenant beaucoup moins forte que si l'assouplissement n'avait pas eu lieu.

De même, la Grèce se félicite que la Commission européenne ait signé avec la Turquie un accord de réadmission des migrants entrés irrégulièrement dans l'Union européenne depuis son territoire. Jusqu'à présent, la Turquie violait systématiquement l'accord bilatéral qu'elle avait signé à ce sujet avec la Grèce, n'acceptant chaque année de réadmettre que 10 ou 20 personnes sur 10 000… Comme il s'agira désormais d'un accord signé avec l'Union européenne, les choses seront plus sérieuses. La libéralisation progressive du régime des visas pour les Turcs aura des aspects positifs pour la Grèce, en ce que la Turquie devra alors faire sienne la liste européenne des pays dont les ressortissants sont soumis à visa, et mieux contrôler ses frontières.

La présidence grecque considère qu'il faut tout faire pour préserver la perspective européenne de la Turquie : c'est le seul moyen d'espérer que le développement économique, social et politique de ce pays suivra la voie que nous voulons. La présidence grecque est très préoccupée par l'instabilité politique en Turquie ; nous espérons que le calme reviendra au plus vite, car nul ne souhaite ajouter à la volatilité politique de la région. La Grèce doit encore régler de grands problèmes avec la Turquie, qu'il s'agisse de Chypre ou d'autre questions ; aussi bien, nous ne parlons pas de son adhésion immédiate à l'Union, mais de préserver une perspective européenne pour ce pays.

Je tiens à rappeler un fait souvent négligé. Le pays où la dette des ménages est la élevée est la Suède : dette publique et dette privée cumulées excèdent 250 % du PIB suédois. Heureusement pour la Grèce, la dette privée n'est pas considérable. Certes, pendant les années d'euphorie, des banques ont distribué des cartes de crédit larga manu mais, globalement, les Grecs, contrairement aux idées reçues, ne sont pas de grands dépensiers. L'ampleur de la dette privée a effectivement créé des difficultés dans plusieurs États membres ; mais, à la différence de ce qui s'est passé en Irlande par exemple, c'est la dette publique qui a détruit les banques grecques.

Je prendrai connaissance avec intérêt de la proposition de résolution adoptée par votre commission sur l'union bancaire mais, le Parlement européen tenant sa dernière session plénière en avril, nous aurons très peu de temps pour agir.

En outre, nous souhaitons qu'intervienne avant les élections européennes la révision du règlement relatif au financement des partis politiques européens qui vise à garantir que tout parti qui ne respecte pas les valeurs européennes sera privé de tout financement communautaire. Nous sommes très proches d'un utile accord ce sujet.

Il existe encore des zones maritimes non délimitées en raison de divergences entre pays. Toutefois, tous les États membres, ainsi que l'Union européenne en tant que telle, appliquent la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. C'est une base solide à un moment où l'on fait état de vastes réserves énergétiques potentielles en Méditerranée orientale, qui concerneraient Israël, Chypre, le Liban, l'Égypte et éventuellement la Grèce. La non-délimitation des zones économiques exclusives fait obstacle à l'investissement. Il s'agit certes d'une compétence nationale, mais l'Union européenne peut encourager à la délimitation de ces zones pour faciliter des investissements d'une importance majeure pour la diversification de l'approvisionnement énergétique européen. Déjà, un grand contrat a été signé visant à construire un gazoduc traversant la Turquie, la Grèce et l'Albanie pour acheminer le gaz de la mer Caspienne jusqu'à l'Italie. C'est l'un des aspects de la politique maritime de l'Union.

Permettez-moi de rappeler en conclusion que dans une région en proie à une instabilité persistante, la Grèce est le seul pays qui, en dépit de la crise économique, demeure stable, le seul pays démocratique, le seul pays membre de l'Union européenne et de l'OTAN.

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