Intervention de Françoise Imbert

Réunion du 29 janvier 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Imbert, rapporteure :

Nous sommes saisis d'un projet de loi autorisant la ratification de la convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite « convention d'Istanbul ». Elle a été adoptée le 7 avril 2011, et ouverte à la signature le 11 mai suivant.

Cette convention parachève un travail engagé de longue date par le Conseil de l'Europe, d'abord dans le cadre d'une conférence ministérielle européenne sur l'égalité entre les femmes et les hommes, en 1993, ensuite avec une Recommandation sur la protection des femmes contre la violence, en 2002, puis avec la réalisation d'une campagne paneuropéenne pour combattre la violence contre les femmes, y compris la violence domestique, de 2006 à 2008.

De quoi s'agit-il précisément ?

La violence à l'égard des femmes est définie, à l'article 3 de la convention, comme « toute violence faite à l'égard d'une femme parce qu'elle est une femme ou affectant les femmes de manière disproportionnée ». Les articles 32 à 40 font ainsi référence aux actes suivants : la violence physique et psychologique, y compris le harcèlement ; les violences sexuelles, incluant l'agression sexuelle, le viol et le harcèlement ; les mariages forcés ; les mutilations génitales féminines ; l'avortement ou la stérilisation forcés ; les crimes dits « d'honneur », généralement commis contre des membres - féminins - d'une famille ou d'une communauté qui seraient considérés comme ayant enfreint les règles communes, notamment en matière de comportement sexuel.

Quant à la violence domestique, elle fait référence à la violence survenant « au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires ». Son champ est donc à la fois plus restreint que celui de la violence à l'égard des femmes, mais aussi plus large, car elle peut également concerner les hommes. L'article 2 encourage ainsi les Parties à appliquer la convention à toutes les victimes potentielles, c'est-à-dire aussi aux hommes.

L'ampleur de ces violences n'est qu'imparfaitement connue, pour plusieurs raisons : d'une part, à cause du caractère incomplet et insuffisamment régulier des études réalisées ; d'autre part, en raison de la loi du silence et, bien souvent, du fait de la honte que peuvent éprouver les victimes. Selon les actes concernés, le taux de plainte varierait ainsi entre 2 et 20 %, ce qui reste très faible. La convention demande donc aux Parties de mener des campagnes de sensibilisation. Elle les oblige aussi à réaliser une collecte régulière des données, à effectuer des enquêtes auprès de la population et à soutenir la recherche. En France, la dernière grande étude date ainsi de 2000, bien que des travaux plus ponctuels aient ensuite été réalisés.

Même si l'état des connaissances reste imparfait, tout laisse à penser que la violence à l'égard des femmes et la violence domestique constituent des phénomènes répandus. En France, l'enquête de 2000 a ainsi causé un choc en révélant qu'environ 10 % des femmes étaient victimes de telles violences et qu'une femme mourait tous les deux jours et demi, dans notre pays, sous les coups de son conjoint, compagnon, ou ancien compagnon ou conjoint. Les morts violentes dans le couple représenteraient ainsi jusqu'à 17 % des homicides ou violences volontaires en France. Sur une période de deux ans, on estime par ailleurs qu'environ 400 000 femmes seraient victimes de violences physiques ou sexuelles commises par leur conjoint, et 150 000 par un ex-conjoint.

Quel est l'intérêt de cette convention pour prévenir et lutter contre ces violences ?

Il s'agit, tout d'abord, du premier instrument qui est, dans ce domaine, à la fois juridiquement contraignant et potentiellement universel.

Plusieurs textes ont certes déjà été adoptés dans le cadre des Nations Unies, notamment la Déclaration de 1993 sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, mais ces instruments n'ont pas de portée contraignante. Quant à la convention de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, dite convention CEDAW, elle est certes applicable à la violence à l'égard des femmes, mais c'est uniquement en vertu d'une recommandation générale du comité chargé de veiller à sa mise en oeuvre. En tant que telle, cette convention ne prévoit pas d'obligation spécifiquement centrée sur la violence à l'égard des femmes.

Au plan régional, il existe en revanche plusieurs textes à valeur contraignante, notamment dans le cadre de l'Organisation des Etats américains, depuis 1994. En 2003, L'Union africaine a par ailleurs adopté un Protocole à la Charte africaine des Droits de l'homme et des peuples, relatif aux droits des femmes en Afrique, instrument contraignant qui appelle à la protection des femmes contre la violence dans la vie publique comme dans la vie privée, sans être pour autant exclusivement consacré à cette question.

Bien que la présente convention ait, elle aussi, été adoptée dans un cadre régional, celui du Conseil de l'Europe, elle se distingue toutefois des textes précédents par sa portée potentiellement universelle. D'une part, elle est de droit ouverte aux Etats non membres du Conseil de l'Europe ayant participé à son élaboration – Etats-Unis, Canada, Japon, Mexique et Saint-Siège. D'autre part, tout autre Etat pourra y adhérer avec l'accord des Parties.

La seconde valeur ajoutée de la présente convention réside dans son caractère particulièrement complet.

Tout d'abord, la convention traite de la violence à l'égard des femmes et de la violence domestique dans toutes leurs dimensions, alors que les dispositions généralement adoptées au plan national, notamment en France, ont souvent été conçues par « strates successives ».

Ensuite, la convention détaille les réponses à apporter dans toutes leurs dimensions, là aussi, en insistant sur la nécessité de mener des « politiques intégrées » : la prévention, notamment par la lutte contre des mentalités rétrogrades, mais aussi par des campagnes de sensibilisation visant à éradiquer une culture de la tolérance et du déni qui constitue le terreau de ces violences ; ensuite, la protection des victimes et l'aide dont elles ont besoin ; et enfin les poursuites, les sanctions et le suivi pour les auteurs de violence.

La convention insiste aussi, comme je l'ai déjà indiqué, sur la nécessité de recueillir régulièrement des données et de soutenir la recherche, afin de mieux évaluer l'étendue, les formes et l'évolution des violences, ce qui devrait permettre de mieux évaluer et de mieux adapter les politiques publiques.

Sur ces différents points, je crois utile de préciser que la convention ne se contente pas de fixer des principes généraux, sans véritable contenu normatif. Bien au contraire, les 81 articles du texte vont souvent assez loin dans le détail.

Pour ce qui est de la protection et du soutien aux victimes, l'article 24 précise ainsi que des permanences téléphoniques doivent être mises en place à l'échelle nationale, qu'elles doivent être accessibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, qu'elles doivent permettre de fournir des conseils sur toutes les formes de violence couvertes par la convention, et qu'elles doivent être accessibles de manière confidentielle ou dans le respect de l'anonymat des personnes. Le dispositif français est d'ailleurs en train d'être mis en conformité sur ces différents points.

Quant aux articles 59 à 61, relatifs à la migration et à l'asile, ils s'opposent notamment au refoulement des victimes vers leur pays d'origine où leur vie pourrait être mise en danger, et demandent la délivrance et le renouvellement des titres de séjour pour les victimes de conjoints violents.

Un autre point fort de la convention réside dans le dispositif de suivi qu'elle met en place. Il ne s'agit certes pas d'un mécanisme juridictionnel, à la différence de la Cour européenne des droits de l'homme, chargée de veiller au respect de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950, mais la convention dont nous sommes saisis prévoit tout de même trois niveaux d'intervention distincts.

Tout d'abord, les Etats parties devront adresser à un groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, le GREVIO, des rapports sur la mise en oeuvre de la convention. Ce groupe d'experts indépendants sera composé de 10 membres au minimum, élus pour 4 ans (renouvelables une fois), en tenant compte d'une participation équilibrée entre les femmes et les hommes, et choisis parmi les ressortissants des Parties. Il pourra compléter son information par des éléments recueillis auprès des institutions nationales de protection des droits de l'homme, comme auprès d'ONG ; il pourra aussi effectuer des visites sur place s'il l'estime nécessaire. Le GREVIO élaborera ensuite des rapports publics sur la mise en oeuvre de la convention par chacune des Parties. Ces rapports pourront comporter des suggestions et des propositions sur la manière de remédier aux difficultés constatées.

Ensuite, un Comité des Parties, composé de représentants des Etats, pourra adopter des recommandations, à la portée plus politique, sur les mesures à prendre pour donner suite aux conclusions du GREVIO. Le Comité des Parties pourra également demander la transmission d'informations sur la mise en oeuvre de ses propres recommandations, si nécessaire en fixant une date butoir.

Enfin, la convention invite les Parlements nationaux, ainsi que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, à assurer un suivi des mesures prises pour la mise en oeuvre de la présente convention. Il est notamment demandé que les rapports du GREVIO soient transmis par les Parties concernées à leur propre Parlement.

Dans ces conditions, la présente convention devrait avoir pour effet d'améliorer très concrètement les politiques de prévention et de lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Les travaux préparatoires réalisés dans le cadre du Conseil de l'Europe ont en effet montré que si des progrès ont déjà été accomplis, globalement, il reste encore des disparités importantes. La législation n'est pas toujours mise en oeuvre, et les services d'aide aux victimes sont parfois absents ou disposent de moyens insuffisants.

Pour ce qui est de la France, la convention ne devrait pas bouleverser l'état du droit, mais elle ne sera tout de même pas sans effet positif. J'ai déjà cité l'exemple du numéro d'appel national, mais on pourrait aussi mettre en avant plusieurs points sur lesquels notre droit interne a déjà été mis en conformité avec la convention, par anticipation, en particulier en ce qui concerne l'éviction du conjoint violent du domicile et l'ordonnance de protection. La loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France a également modifié le code pénal pour incriminer le fait de tromper autrui dans le but de le forcer à conclure un mariage, et le code de procédure pénale prévoit désormais que la victime d'une infraction doit être informée en cas d'évasion de l'auteur des faits dès lors que l'évasion est susceptible de faire courir un risque. C'est la conséquence directe de ce texte.

Voici, mes chers collègues, les principales observations qu'appelle cette convention de 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Il s'agit d'un texte qui est novateur, qui est utile car il est à la fois complet et précis, et qui est aussi doté d'un mécanisme de suivi fort et indépendant.

Je précise enfin que l'entrée en vigueur de cette convention est conditionnée à sa ratification par 10 pays, dont au moins huit appartenant au Conseil de l'Europe. A ce jour, 32 pays l'ont signée, mais seulement 8 l'ont ratifiée. La France s'honorerait bien sûr à faire partie des 10 pays qui permettront à cette importante convention d'entrer en vigueur.

Cela me paraît d'autant plus opportun que nous venons d'adopter hier le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, qui comporte notamment un titre III relatif à « la protection des femmes contre les violences et les atteintes à leur dignité ». Il me semble que nous devons veiller à poursuivre aussi notre effort au plan international.

Pour toutes ces raisons, je ne peux que vous inviter, mes chers collègues, à adopter le projet de loi qui nous est soumis.

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