Intervention de Pascale Boistard

Réunion du 29 janvier 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Boistard, rapporteure :

Nous sommes saisis aujourd'hui de la convention n° 187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail, adoptée en mai 2006 par la Conférence générale de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Cette convention est l'aboutissement d'un long processus débuté en novembre 2000, et auquel la France a apporté un soutien actif, sous l'impulsion du Bureau international du travail. Lorsque le BIT a décidé d'expérimenter une approche intégrée des activités normatives de l'OIT, le premier sujet retenu a été celui de la sécurité et de la santé au travail.

Et pour cause. Une réglementation efficace s'impose dans ce domaine au plan international. Les dernières estimations du BIT indiquent que malgré les efforts mondiaux déployés pour assurer en pratique des conditions de travail décentes et salubres aux salariés, chaque année, plus de 2 millions d'accidents mortels et 330 millions d'accidents du travail continuent à se produire.

Toutes les 15 secondes, un travailleur meurt d'un accident ou d'une maladie lié au travail. Toutes les 15 secondes, 160 travailleurs sont victimes d'un accident lié au travail. Le coût humain, d'abord, et économique, ensuite, en est considérable. Non seulement l'impact des lésions et des décès est immense en termes de souffrances humaines, mais leurs conséquences économiques sont non négligeables, pour les individus, les entreprises et les pouvoirs publics. Les maladies professionnelles appauvrissent les travailleurs et leur famille, réduisent la productivité et la capacité de travail, et entraînent une augmentation vertigineuse des dépenses de santé. D'après les estimations du BIT, les accidents du travail et les maladies professionnelles font perdre chaque année 4 % du produit intérieur brut mondial, soit à peu près l'équivalent de 2 800 milliards de dollars, en coûts directs et indirects imputables aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Le coût des maladies liées au travail a été évalué à au moins 145 milliards d'euros par an dans l'Union européenne.

En examinant de plus près les statistiques, on s'aperçoit que, si les pays industrialisés connaissent un recul régulier du nombre d'accidents et de maladies liés au travail, ce n'est pas le cas dans les pays qui connaissent actuellement une industrialisation rapide ou dans ceux qui sont trop pauvres pour gérer des systèmes de sécurité et santé au travail nationaux efficaces. Dans les pays en développement, normes et pratiques sont souvent bien loin des niveaux acceptables et le taux d'accidents est plutôt orienté à la hausse qu'à la baisse. Cela nous rappelle au passage le débat récurent relatif au dumping social et la difficulté pour les pays développés à l'amélioration des conditions de travail, sans que pèse sur eux le soupçon du protectionnisme.

Des normes internationales existent déjà, d'ailleurs en grand nombre, que le présent texte reprend et actualise. On compte non moins de 19 conventions, 26 recommandations, 2 protocoles et 37 recueils de directives pratiques en la matière. Certaines conventions portent spécifiquement sur le secteur industriel. Cependant, leur portée peut aussi être assez large, c'est le cas par exemple de la convention (n° 155) de 1981 sur la sécurité et la santé au travail, qui pour la première fois a établi l'obligation de mettre au point des politiques nationales de santé et sécurité au travail axées sur la prévention des lésions et des maladies professionnelles. Elle prône aussi une révision régulière des programmes nationaux pour accompagner la rapidité des changements technologiques et sociaux. Doit également être mentionnées la convention (n° 81) de 1947 sur l'inspection du travail, l'une des conventions de l'OIT les plus largement ratifiées.

Ces normes ont le mérite d'exister, mais elles sont nombreuses et disparates. Certaines ne sont pas ratifiées de manière satisfaisante.

La méthode normative classique, privilégiée jusqu'ici, semble s'essouffler et pourrait utilement être complétée par d'autres instruments. L'objet de cette convention est de remédier à cette situation imparfaite au plan juridique et surtout au plan social, en consacrant un cadre promotionnel global fondé sur une approche plus souple.

Comment la convention de 2006 permettra-t-elle d'arriver à un tel résultat ?

Un mot d'abord sur son champ d'application et ses objectifs, qui sont des éléments clefs. Soulignons d'abord que ce texte relève d'une nouvelle approche de l'OIT dite approche intégrée. Il s'agit, sur des thématiques précises, de mobiliser toutes les ressources et les moyens nécessaires pour obtenir l'amélioration recherchée : les normes internationales du travail continuent d'être l'instrument privilégié par l'OIT, mais sa politique s'appuie également sur un ensemble de techniques beaucoup plus large et ouvert, comme l'échange de bonnes pratiques et l'assistance technique.

Dans cet esprit, la convention dont nous sommes saisis fixe d'abord un cadre assez large de promotion des politiques de prévention des risques professionnels, qu'elle décline ensuite en objectifs plus détaillés.

Le Préambule reprend les principales dispositions des textes majeurs régissant la sécurité et la santé au travail au plan international. Les articles 1 et 2 précisent ensuite les objectifs de la convention, qui sont au nombre de trois.

Le premier objectif demeure la ratification des conventions pertinentes en matière de sécurité au travail. Les derniers chiffres disponibles montrent que nous sommes sur la bonne voie. En deuxième lieu, il est prévu que tout membre de l'OIT qui ratifie la convention doit promouvoir l'amélioration continue de la sécurité et de la santé au travail. On ne peut que souligner le caractère particulièrement général de cette formulation, qui a cependant le mérite de rappeler que toute politique nationale de prévention des risques professionnels doit impérativement s'effectuer sous la forme d'un accord tripartite entre les employeurs, les salariés et les pouvoirs publics. Enfin et surtout, tout membre doit se doter d'une politique nationale de sécurité et de santé au travail.

Qu'entend-t-on par politique nationale ? L'article 3 précise que cette politique doit comprendre :

– un objectif : la promotion et la progression du droit des travailleurs à un milieu de travail sûr et salubre ;

– une méthode : la consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs les plus représentatives ;

– des domaines d'action : l'évaluation des risques et dangers, la lutte à la source contre ceux-ci, le développement d'une culture de prévention (information, consultation, formation).

Les articles 4 et 5 prévoient l'obligation pour les États membres de l'OIT, d'établir, maintenir, développer progressivement et réexaminer périodiquement un système national de sécurité et de santé au travail, en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs les plus représentatives.

Ce système doit inclure impérativement :

– la législation, les accords collectifs le cas échéant, et tout autre instrument pertinent en matière de sécurité et de santé au travail ;

– une autorité ou un organisme, ou des autorités ou des organismes clairement identifiés ;

– des mécanismes visant à assurer le respect de la législation nationale, y compris des systèmes d'inspection ;

– des mesures pour promouvoir, au niveau de l'établissement, la coopération entre la direction, les travailleurs et leurs représentants.

Enfin, la convention est assortie d'une recommandation n° 197 qui prévoit la mise à jour régulière d'un profil national qui dresse un bilan de la situation existante ainsi que les progrès accomplis et rassemble des données statistiques précises. Cette recommandation fixe également le principe d'une coopération technique internationale dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail dans le but d'aider les pays, en particulier les pays en développement, ainsi que d'un échange d'informations sur les politiques nationales.

Finalement, quel sera l'impact de la ratification de l'accord pour la France ?

La convention n° 187 s'inscrit pleinement dans le cadre du droit communautaire et de l'action gouvernementale, qui poursuivent les mêmes objectifs en matière de santé au travail. Son entrée en vigueur n'aura donc pas d'impact juridique majeur. Je ne m'étendrai donc pas sur le sujet.

Je me contenterai de rappeler que l'adoption de la convention vient à point nommé, alors que lors de la grande conférence sociale de juin 2013, le Gouvernement a décidé, en lien avec les partenaires sociaux, de dresser le bilan du plan « Santé au travail » 2010-2014, et de préparer le prochain, qui débutera en 2015. C'est l'occasion d'évaluer notre dispositif de prévention des risques professionnels et de nous réinterroger ensemble sur les réorientations nécessaires. Ce travail est en cours. Les nouvelles orientations du plan seront fixées au printemps prochain.

J'aimerais terminer en disant que la qualité du travail est une nécessité économique. Elle sera de plus en plus un facteur de performance des entreprises. Le travail se transforme sans cesse, devient plus complexe, plus éclaté, plus tourné vers des objectifs et des résultats. Il exige de l'autonomie et de la réactivité mais aussi de la créativité et de l'innovation. Les organisations qui sont les plus performantes socialement le sont aussi sur un plan économique. Le bien-être dans l'entreprise se traduit par une meilleure santé, davantage d'engagement de la part des salariés et une créativité supérieure. Comme le rappelait à juste titre Michel Sapin lors de la Conférence internationale du travail de juin 2013, « le surplus de compétitivité que vise notre pays se trouve ici aussi ». A tout le moins, la performance et la protection ne sont pas incompatibles.

L'efficacité de ce texte, dans son ensemble, repose sur une ratification que l'on peut espérer la plus large possible du fait de sa souplesse. Par comparaison avec les instruments juridiques précédents, qui contenaient souvent des normes trop rigides, décourageant beaucoup d'États de les ratifier, c'est un avantage non négligeable.

Bien sûr, ne soyons pas naïfs, la ratification de l'accord ne mettra pas fin comme par miracle aux disparités mondiales en matière de droit du travail. Mais on peut fonder l'espoir que cette méthode, plus souple et pragmatique, conduira à une amélioration graduée mais tangible des conditions de travail au niveau international.

Notre pays doit naturellement participer à l'application aussi large que possible de ce texte. Au bénéfice de ces observations, je vous invite donc à adopter le projet de loi qui nous est soumis.

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