Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie d’une proposition de loi adoptée par le Sénat, visant à renforcer la lutte contre la contrefaçon. Le Gouvernement a fait de l’aboutissement de ce texte l’une de ses priorités, d’une part en engageant la procédure accélérée, et d’autre part en inscrivant cette proposition de loi à notre ordre du jour durant une semaine du Gouvernement.
La contrefaçon est un fléau en pleine expansion, à l’heure de la mondialisation de l’économie. Au niveau international, le trafic de produits contrefaisants représenterait environ 250 milliards d’euros annuels, soit environ 30 % des revenus de la criminalité organisée. Un ancien secrétaire général d’Interpol déclarait en 2003 devant le Congrès des États-Unis que la contrefaçon était devenue la méthode de financement préférée des terroristes. Au niveau national, la contrefaçon provoquerait chaque année jusqu’à 38 000 destructions d’emplois et 6 milliards d’euros de manque à gagner pour l’économie française. En outre, les effets de la contrefaçon sont loin de se limiter à la seule sphère économique. En touchant de nombreux biens de consommation courante, tels que les médicaments, les textiles, les jouets ou les cigarettes, et des produits et matériels à usage professionnel – pièces automobiles, produits du bâtiment –, la contrefaçon porte aussi atteinte à la sécurité et à la santé des individus.
Notre législation anti-contrefaçon a été notablement renforcée par la loi du 29 octobre 2007, qui a transposé une directive européenne du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Cette loi avait alors été adoptée sur le rapport de notre collègue Philippe Gosselin, qui est d’ailleurs co-rapporteur sur la mise en application de la future loi – celle que nous abordons aujourd’hui. En février 2011, nos collègues sénateurs, MM. Laurent Béteille et Richard Yung, ont procédé à une évaluation des effets de la loi de 2007. Leurs principales recommandations ont trouvé leur traduction dans une première proposition de loi, dont la discussion n’est pas allée jusqu’à son terme pour des raisons de calendrier électoral. Le 30 septembre 2013, une nouvelle proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon a été déposée par Richard Yung et les membres du groupe socialiste du Sénat, qui reprend pour une large part la proposition précédente. Cette proposition de loi a été adoptée par le Sénat le 20 novembre 2013 et c’est ce texte, modifié par notre commission des lois, que nous examinons aujourd’hui.
Sans bouleverser la législation existante, cette proposition de loi tend à lui apporter plusieurs améliorations et clarifications. Les enjeux économiques sont importants, or les pratiques du commerce, par conséquent celles des contrefacteurs, sont en perpétuelle évolution. Il convenait donc d’ajuster mieux encore le cadre législatif, notamment en matière de contrôle douanier. Qu’en est-il ? Les améliorations contenues dans ce texte portent par exemple sur les moyens d’action des douanes, qui bénéficieraient d’un dispositif juridique très complet pour lutter contre les différentes formes de contrefaçon. À ce titre, les techniques d’infiltration et de « coup d’achat » sont étendues à toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle, et les modalités de visite des locaux professionnels, notamment des entreprises de fret express, sont facilitées et mieux encadrées.
Cette proposition de loi, qui définit les moyens d’intervention des douanes en cas de transbordement, n’a pas vocation à contourner la jurisprudence dite Nokia-Philips, de la Cour de justice de l’Union européenne. Le dispositif proposé s’inscrit au contraire dans le droit fil de la jurisprudence européenne. Il convient en effet de distinguer la qualification de contrefaçon et la capacité de procéder à un contrôle douanier, s’agissant des marchandises en transbordement. Ces marchandises peuvent toujours être soumises au contrôle douanier, mais ne peuvent donner lieu à une qualification de délit de contrefaçon en droit français, et dans certains cas seulement, que s’il est démontré qu’elles ont vocation à être commercialisées sur le territoire français, et ce dans le respect des critères posés par la jurisprudence européenne.
D’autres améliorations portent sur la protection juridictionnelle de la propriété intellectuelle, qui serait renforcée sur plusieurs points, comme en matière de preuve de la contrefaçon ou d’indemnisation des dommages causés par celle-ci. En tant que rapporteur, j’ai auditionné de nombreux intervenants : les services des douanes et de la justice, des universitaires et des avocats spécialistes des questions de propriété intellectuelle, des représentants d’entreprises privées, l’Institut national de la propriété industrielle, la CNIL, et bien d’autres encore. Au-delà de certaines divergences inhérentes à la place de chacun dans la chaîne de valeur, la plupart des personnes entendues s’accordent pour considérer que cette proposition de loi permettra d’assurer une meilleure protection des consommateurs et qu’elle confortera l’attractivité juridique de notre pays dans le domaine très concurrentiel de la propriété intellectuelle. J’ai entendu avec satisfaction, madame la ministre, que nous étions plutôt bien placés dans cette démarche.