Le phénomène de la contrefaçon s’accélère, s’organise parfois en de véritables filières de production industrielle d’origine mafieuse et concerne tous les secteurs d’activité, des produits de luxe aux biens de consommation les plus classiques. En touchant de nombreux biens de consommation courante tels que les médicaments, les textiles, les jouets, les cigarettes ou encore les parfums, mais aussi des produits et matériels à usage professionnel, la contrefaçon porte également atteinte à la sécurité et à la santé des individus. C’est ainsi que nous avons découvert d’ahurissantes contrefaçons de plaquettes de freins en herbes compactées ! Ajoutons que la contrefaçon est consubstantielle au travail dissimulé, celui qui permet à des réseaux peu scrupuleux d’exploiter la misère humaine, bien loin de nos législations protectrices dans ces domaines.
Nous nous posons toutefois des questions d’ordre général sur la légitimité de la pratique du brevetage dans certains domaines, tels que ceux de la santé ou de l’agriculture – pratique qui peut apparaître contreproductive car elle bloque la libre utilisation par le plus grand nombre d’avancées technologiques et sanitaires indéniables. Ce brevetage peut s’apparenter à des rentes de situations en faveur de grands groupes internationaux. Dès lors, il faudrait s’atteler à envisager une autre manière de rémunérer l’innovation, au moins dans ces domaines. Je conviens que la France ne peut entreprendre seule cette démarche, et que cette proposition de loi ne saurait l’enclencher.
Ce texte, qui nous vient du Sénat, vise pour l’essentiel à simplifier ou adapter notre droit de la contrefaçon à certaines évolutions de la criminalité, à mieux indemniser les victimes et à étendre le pouvoir des douaniers.
En premier lieu, il s’agit donc de dépoussiérer le droit de la contrefaçon. Il convient en effet de revoir à intervalles réguliers notre arsenal juridique afin qu’il puisse s’adapter à l’ensemble des évolutions, notamment technologiques, qui sont aujourd’hui à l’origine de la contrefaçon du XXIe siècle. Or, la précédente loi datait de 2007.
Nous souscrivons globalement aux objectifs de cette proposition de loi, qui vise à rendre plus efficace la lutte contre la contrefaçon et à en limiter les retombées négatives en France, notamment en termes de destructions d’emplois. Nous voyons toutefois deux écueils importants auxquels il conviendrait de remédier.
Le premier concerne le fichier automatisé sur les envois de marchandises par des prestataires de services postaux et par des entreprises de fret express, prévu à l’article 13 qui, selon nous, pose problème. Ce nouveau fichier automatisé permettrait aux agents des douanes d’avoir accès à l’ensemble des données sur les envois de marchandises par des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express. Pour nous, il ne se justifie pas, car les risques d’une utilisation à mauvais escient sont importants. Il peut sembler disproportionné : dans l’Union européenne, 77 % des saisies douanières concernent des marchandises transportées par voie maritime, contre 19 % par voie routière et moins de 2 % seulement par fret express. En outre, ce fichier peut aussi constituer une menace pour les libertés individuelles. Un certain nombre d’envois de marchandises sont sensibles car ils touchent à la vie privée des individus – c’est par exemple le cas de la vente en ligne de médicaments, autorisée en France depuis l’an dernier. C’est pourquoi nous avons proposé un amendement visant non seulement à supprimer la création de ce fichier et à interdire l’atteinte au secret médical, mais aussi à prévoir un décret portant sur le devenir des données une fois la durée de conservation dépassée.
Le second écueil de cette proposition de loi revêt pour nous une importance cruciale : il s’agit de la question du brevetage du vivant, qui concerne les semences, mais aussi les plants, les préparations naturelles et les animaux. Je ne peux pas ne pas évoquer les velléités qu’a Monsanto de déposer un brevet concernant le gène d’une race allemande de porcs rustiques dont la croissance et la prise de poids sont plus rapides, brevet qui permettrait à cette entreprise de toucher des royalties sur toute utilisation de ladite race dans des croisements.
Cette crainte est particulièrement vive pour ce qui concerne les semences. En octobre 2012, j’interpellais le Gouvernement par une question orale sur la condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne de l’association Kokopelli pour concurrence déloyale. Pourtant, cette association est spécialisée dans la préservation et la distribution de variétés anciennes de semences, dont la diversité est aujourd’hui en péril.
Le simple fait de donner des semences ou de les ressemer peut donc aujourd’hui être considéré comme illégal et faire l’objet d’une procédure judiciaire. La volonté de certaines entreprises de semences de rentabiliser leurs activités de recherche et de développement ne peut se réaliser au détriment de la liberté des agriculteurs et des jardiniers amateurs, qui ont été les premiers généticiens appliqués de l’histoire, bien avant le moine Mendel et les multinationales d’aujourd’hui.
Il faut lever toute ambiguïté sur le sujet dans cette proposition de loi. C’est pourquoi, avec ma collègue Brigitte Allain, nous avons déposé des amendements qui sont attendus par le monde agricole et par nos concitoyens. Nous appelons à protéger le patrimoine semencier comme bien commun et comme élément essentiel de l’autonomie alimentaire, et à renoncer à la privatisation du vivant.