Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, en complément de l’intervention de mon collègue Paul Molac, je souhaite intervenir quelques minutes pour exprimer mon inquiétude et relayer celle de milliers de citoyens sur un sujet qui dépasse la proposition de loi examinée aujourd’hui : la privatisation du vivant.
Aujourd’hui, cinq multinationales contrôlent près de 75 % de la semence potagère dans le monde ; 96 % des tomates inscrites au Catalogue officiel sont des hybrides non reproductibles et 80 % des variétés potagères cultivées il y a cinquante ans ont disparu.
Ces chiffres sont marquants et couvrent une réalité difficile à freiner. Les denrées agricoles sont trop souvent considérées comme de simples marchandises susceptibles d’accroître les profits des entreprises et le produit national brut de la nation. Les semences sont modifiées afin de répondre à des critères de rentabilité maximale. Rendues volontairement stériles ou dégénérescentes, elles sont brevetées, obligeant les paysans, qui se transmettaient ce patrimoine de génération en génération depuis des millénaires, à les racheter chaque année.
Cette proposition de loi pourrait, si l’on n’y prend garde, favoriser ces pratiques et, par petites touches, contrevenir à la liberté de certains et accroître les profits des autres.
Les écologistes aspirent à ce que soient respectés le droit à la souveraineté alimentaire des peuples et l’autonomie des agriculteurs dans le choix de leurs moyens de productions. C’est vrai pour l’accès à la terre, à l’eau, aux intrants, dont font partie les semences. Nous devons reconnaître les apports positifs des semences de ferme et paysannes au dynamisme de la biodiversité, à la préservation de l’environnement, au maintien des savoir-faire paysans et à la protection de la sécurité alimentaire nationale.
La sélection par les paysans des espèces et variétés résistantes aux maladies et adaptées aux conditions pédoclimatiques constitue, contrairement aux OGM, l’une des stratégies les plus efficaces pour diminuer l’usage des intrants chimiques et adapter les cultures aux changements climatiques. En effet, 60 % des semences issues de l’industrie sont enrobées de pesticides ou insecticides contre seulement 20 % des semences de ferme. Sitôt élue à l’Assemblée, j’ai demandé la révision de la loi sur les certificats d’obtention végétale, conformément à l’engagement du Président de la République. Adoptée dans l’urgence sous la précédente législature, la loi instituant les COV s’est heurtée à de vives oppositions, sur les bancs de l’opposition de l’époque à l’Assemblée et au Sénat comme dans l’opinion publique.
S’il est légitime de rémunérer le travail de recherche des industries semencières et les innovations protégées par un certificat d’obtention végétale, rien ne justifie qu’une telle protection s’étende à la récolte et aux semences produites par l’agriculteur lui-même, le transformant de fait en délinquant aux termes de la loi contrefaçon. C’est pourquoi le groupe écologiste, prolongeant ce qu’ont initié nos collègues écologistes du Sénat, a déposé quatre amendements visant à exclure les semences de ferme et plus largement tout le matériel de reproduction à la ferme du champ d’application de la proposition de loi. Le Parlement a commencé à faire bouger les lignes en adoptant des amendements socialistes et écologistes lors de la discussion de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Après des demandes formulées par les élus et les réseaux paysans et écologistes, le Gouvernement s’est engagé il y a quelques jours à exclure les semences de ferme de toute procédure de lutte contre la contrefaçon et à empêcher toute poursuite en contrefaçon contre des semences de ferme d’espèces non couvertes par un accord interprofessionnel ou un décret en Conseil d’État, ce dont je me félicite. J’appelle les pouvoirs publics et la vigilance citoyenne à reconnaître l’existence légale des semences de ferme, ce qui les mettrait à l’abri de toute menace de contrefaçon, et à fixer des garde-fous à l’appropriation privée du vivant par la légalisation de la biopiraterie et d’autres textes aux échelons européen et international au cours des prochaines années. Les produits agricoles ne sont pas des marchandises comme les autres !