Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, « Jean, ce matin-là, un semoir de toile bleue noué sur le ventre, en tenait la poche ouverte de la main gauche, et de la droite, tous les trois pas, il y prenait une poignée de blé que d’un geste, à la volée, il jetait. Ses gros souliers trouaient et emportaient la terre grasse dans le balancement cadencé de son corps. Et toujours, et du même pas, avec le même geste, il allait au nord, il revenait au midi, enveloppé dans la poussière vivante du grain. De toutes parts on semait, et tous avaient le geste, l’envolée de la semence que l’on devinait comme une onde vie autour d’eux. La plaine en prenait un frisson, jusque dans les lointains noyés où les semeurs épars ne se voyaient plus. »
Que viennent faire dans la loi relative à la contrefaçon, me demanderez-vous, Émile Zola et le geste auguste du semeur, inchangé depuis la révolution néolithique, lorsque l’homme a décidé voici dix mille ans de se sédentariser et de cultiver, élever, nourrir l’humanité et développer la biodiversité ? Quel rapport avec un texte indispensable visant à renforcer la lutte contre la contrefaçon ? Face à un fléau devenu planétaire, au vol de la propriété intellectuelle touchant aujourd’hui tous les produits, du plus simple au haut de gamme, et à un trafic juteux pour les organisations criminelles, le texte protégera notre créativité, notre attractivité et nos savoir-faire. Quel rapport, donc, avec les semences de ferme ?
Quel paradoxe et quelle surprise, en effet, de découvrir dans la proposition de loi, au détour d’un article, une référence aux semences de ferme, par le biais d’un amendement petit par sa taille, mais grand par sa portée, et qui n’aurait sans doute pas dû se trouver là mais plutôt dans la loi d’avenir de l’agriculture ! Grâce à Cécile Untermaier et Jean-Michel Clément, les mots justes ont été trouvés, ce qui permet d’engager une réflexion de fond dépassant le cadre de l’amendement.
Sans démêler le complexe enchevêtrement de lobbying, textes et procès qui ont fait de la plupart des semences de ferme des contrefaçons, ni reprendre les débats technico-historico-juridico-financiers au risque d’y perdre ce qu’il nous reste de bon sens paysan, pourquoi ne pas privilégier une logique de complémentarité sur une logique de défiance et d’accaparement ? Doit-on mettre au même niveau le vivant que sont une graine, un plant, un ferment ou même un animal, et un objet manufacturé dont le brevet doit être protégé ? Ne peut-on concilier les certificats d’obtentions végétales et les semences auto-produites ? La recherche retirerait certainement des bénéfices d’un tel travail conjugué et le groupement interprofessionnel de semences n’y perdrait guère de royalties ! Ne peut-on trouver un équilibre entre respect du droit à la propriété intellectuelle et l’existence inéluctable du biopiratage dont seule la nature a le secret ? Doit-on toujours opposer indépendance des agriculteurs et besoins des firmes industrielles ? Bien malin, d’ailleurs, qui pourrait dire qui du paysan ou de l’industriel est le contrefacteur de l’autre !
Il existe une place pour chacun. Il incombe à nos textes de la définir sans pour autant multiplier interdits et réglementations. Il faut faire évoluer notre état d’esprit comme nous avons fait évoluer la loi d’avenir pour l’agriculture, conscients de la nécessité de concilier au XXIe siècle performance et protection de l’environnement, pérennité et recherche. Il est temps d’inscrire l’exception agricole dans la loi contrefaçon. Il s’agit d’éviter la remise en cause du métier de paysan, qui a toujours consisté à reproduire semences et animaux et de préserver la base sociale de la vie agricole, fondée sur l’entraide et la confiance, l’échange et le service. Il s’agit aussi de ne pas faire du paysan un contrebandier malgré lui, ni un malfaiteur contraint par principe de prouver que sa production n’a pas été contaminée et ne contient aucun gène certifié sous peine de voir sa récolte saisie et détruite. Autant demander au vent d’arrêter de souffler, aux abeilles de ne plus butiner et aux oiseaux de cesser de transporter les gènes de plants en plants !
L’agriculteur doit être en mesure de partager ses produits sans être accusé de concurrence déloyale par les industries détentrices des gènes et traîné devant les tribunaux où il n’aura aucun moyen de se défendre ni aucune chance face aux multinationales en cas de litige. Il s’agit enfin de faire en sorte que les paysans continuent à sélectionner, préserver et transmettre la biodiversité conservée dans les champs et les jardins depuis des générations. Inscrire l’exception agricole dans la loi sur la contrefaçon, tel est l’esprit de l’engagement de François Hollande pendant sa campagne ! Nous préférons que la loi instaure une liberté de semer plutôt qu’une obligation de payer !