Je concentrerai mon intervention sur des questions qui intéressent plus particulièrement la commission des Lois.
Permettez-moi tout d'abord d'exprimer un regret profond et sincère : en application de l'article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient me parvenir au plus tard le 10 octobre 2012 ; or, à cette date, 64 % seulement des réponses m'étaient parvenues. Je regrette que les prescriptions de la loi organique n'aient pas été pleinement respectées, me privant ainsi d'éléments d'analyse indispensables à la rédaction de mon rapport.
J'en viens maintenant au thème auquel je me suis consacré dans le cadre de ce budget 2013 pour les départements d'outre-mer. Dans une société démocratique fondée sur le respect de la loi, l'accès à la justice, et plus largement au droit, est l'une des conditions de l'effectivité du pacte social et, de ce point de vue, que certains n'aient pas de droits ou ne soient pas en mesure de les faire respecter est, dans les deux cas, un échec pour la société tout entière.
Dans le cadre de mon avis sur les crédits pour 2013 relatifs aux départements d'outre-mer, j'ai souhaité étudier les conditions dans lesquelles les justiciables vivant dans les départements de Guyane, de Martinique, de Guadeloupe, de La Réunion et de Mayotte accèdent à la justice et au droit.
S'agissant des crédits consacrés à l'accès au droit et à la justice dans ces territoires, je constate avec plaisir qu'ils devraient progresser de 3,8 % en 2013, puis de 3 % en moyenne annuelle entre 2014 et 2017. Sur la longue période, l'évolution de ces crédits est encore plus significative. En effet, ils ont bondi de 10 % depuis 2007 et ce, en dépit d'un reflux en 2011 et 2012. Je veux voir, dans cette augmentation constante et significative, l'attention particulière portée par les autorités publiques à la question de l'accès au droit et à la justice dans les départements d'outre-mer.
Si je salue cette évolution positive, je souhaite toutefois, monsieur le ministre, attirer votre attention sur plusieurs problèmes spécifiques à ces territoires, qui tendent parfois à faire des justiciables d'outre-mer des justiciables de second rang, ce dont personne autour de cette table ne peut se satisfaire.
En premier lieu, le réseau de l'accès au droit – maison de la justice et du droit et points d'accès au droit – repose aujourd'hui principalement sur des associations locales. Or, il ressort de mes travaux que le tissu associatif local pour l'accès au droit et à la justice ainsi que pour l'aide aux victimes est aujourd'hui insuffisamment structuré dans les départements d'outre-mer pour répondre de manière satisfaisante à l'ensemble des besoins des justiciables. C'est notamment le cas en Guyane, en Martinique et à Mayotte. En outre, ces associations font face, actuellement, à de graves difficultés de financement qui compromettent d'autant la pérennité de l'accès au droit.
Pouvez-vous nous indiquer les initiatives qui pourraient être engagées en partenariat avec le ministère de la Justice pour susciter de nouvelles initiatives associatives au plan local, pour sécuriser le financement des associations aujourd'hui les plus en difficulté et, enfin, pour accroître la formation et la professionnalisation des associations déjà bien implantées sur ces territoires ? Malgré leur bonne volonté, ces personnes ne doivent pas s'instituer en juges ou en procureurs, comme cela arrive assez souvent – je suis bien placé pour le dire. Afin d'éviter cela, nous avons besoin d'une formation adéquate. Il s'agit de régler les problèmes, pas de sanctionner systématiquement et s'ériger en juge particulier.
S'agissant ensuite de l'accès à la justice, je voudrais évoquer avec vous la question de la réforme de la carte judiciaire, qui s'est traduite en Martinique par le rattachement, à compter du 1er janvier 2010, du tribunal d'instance du Lamentin ainsi que du greffe détaché de La Trinité au tribunal d'instance de Fort-de-France. Il ressort de mes travaux que l'absorption du tribunal d'instance du Lamentin par celui de Fort-de-France soulève de sérieux problèmes. En effet, cette juridiction présentait, avant la réforme de la carte judiciaire, un niveau d'activité important qui a eu pour effet sur les juridictions concernées d'affaiblir le taux de couverture des affaires entrantes et d'allonger considérablement des délais de traitement déjà élevés – près de douze mois, contre neuf au maximum en 2009. Le regroupement ne facilite pas forcément le traitement des dossiers. Dans le même temps, la Martinique a été marquée, ces cinq dernières années, par une diminution de ses effectifs de magistrats et de greffiers, lesquels ont respectivement baissé de près de 40 % et 30 %.
La situation reste à ce jour très préoccupante, comme en témoigne le courrier adressé le 20 septembre 2012 à Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, par plusieurs organisations syndicales dont les représentants « expriment leur ras-le-bol quant au sous-effectif » qui affecte le tribunal d'instance de Fort-de-France. Ils déplorent notamment les dysfonctionnements touchant cette juridiction, « le manque de moyens, humains principalement, dégradant considérablement les conditions de travail des personnels de justice et ne leur permettant pas de répondre à leurs missions de service public ».
Dans cette perspective, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures sont envisagées, en lien avec le ministère de la Justice, pour répondre à l'urgence de la situation du tribunal d'instance de Fort-de-France et ainsi remédier aux dysfonctionnements induits par la réforme de la carte judiciaire ?
Si les ressorts des autres cours d'appel des départements d'outre-mer ont bénéficié ces dernières années, à l'inverse de la Martinique, d'une augmentation de leurs effectifs de magistrats comme de greffiers, ils n'en sont pas moins confrontés, pour plusieurs d'entre eux, à un manque d'attractivité qui laisse encore aujourd'hui vacants nombre d'emplois dans ces territoires. C'est notamment le cas en Guyane, dans les Antilles et à Mayotte.
Pourriez-vous nous indiquer quelles sont les mesures incitatives envisagées – financières, mais pas seulement – en partenariat avec le ministère de la Justice en vue de favoriser les prises durables de postes de magistrats et de greffiers dans les départements d'outre-mer ?
Enfin, je souhaiterais évoquer la question de l'accès aux avocats, qui reste encore parfois difficile dans les départements d'outre-mer, en raison de leur trop faible nombre ou de leur inégale répartition sur l'ensemble de ces territoires. C'est notamment le cas à Mayotte, département dans lequel les avocats, moins nombreux que les magistrats, n'hésitent pas parfois à refuser les missions d'aide juridictionnelle. Je ne dénonce pas, je constate seulement.
La situation est également complexe en Guyane où l'accès au droit s'arrête dans les faits à Kourou, faute d'avocats présents en nombre suffisant dans le reste du département. Les avocats sont en effet très majoritairement présents à Cayenne, réputée plus attractive, alors que Saint-Laurent-du-Maroni n'en compte qu'un seul. Les déplacements d'avocats entre ces deux villes restent de surcroît coûteux et difficiles compte tenu de l'étendue du territoire guyanais. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer selon quelles modalités vous comptez, avec l'appui du ministère de la Justice et des barreaux, inciter de nouveaux avocats à s'installer dans les régions réputées les moins attractives ?
S'agissant plus particulièrement de Mayotte, quelles sont les mesures envisagées pour mettre fin au refus de certains avocats de prendre en charge des mesures d'aide juridictionnelle, qui, je le rappelle, s'adressent aux publics les plus démunis et donc les plus vulnérables ?
Monsieur le ministre, je vous remercie d'avance pour vos réponses.
Mon propos sur l'accès à la justice et au droit se veut le plus objectif possible. Même si ses conclusions peuvent choquer tel ou tel, je me devais de dire la vérité.