Nous touchons là à une question à la fois symbolique et concrète : comment déterminer qui est représentatif pour négocier ? Nous savons combien la représentativité des partenaires sociaux est essentielle au dialogue social. En 2008, à partir de la position commune de plusieurs syndicats, avait été établie une méthode pour définir la représentativité des organisations de salariés. Pour déterminer la représentativité des organisations d’employeurs, le souhait d’un parallélisme s’est exprimé, y compris au sein de mon groupe : la représentativité patronale devrait reposer, comme la représentativité salariale, sur l’élection.
Le problème est que le monde syndical et le monde des entreprises sont très différents. Dans les organisations salariales, un homme ou une femme égale une voix : c’est un monde d’égaux dans lequel la notion de démocratie – donc la mesure de la représentativité par l’élection – prend tout son sens. Dans les organisations patronales, il est difficile d’établir une distinction claire entre l’entreprise et l’employeur. Toutes les entreprises ne sont pas employeurs. Des dizaines voire des centaines de milliers d’entreprises ne le sont pas : pensons aux artisans à leur compte, qui n’emploient pas de salariés, à certaines professions libérales. Pourtant, individuellement, ces entreprises peuvent prétendre à ce titre : elles sont membres d’organisations d’employeurs. Prenons l’exemple d’une organisation appartenant au secteur hors champ : la FNSEA. Des exploitants agricoles y adhèrent alors qu’ils ne sont pas forcément employeurs et pourtant l’organisation à laquelle ils appartiennent en tant que syndicat d’employeurs a vocation à négocier des conventions collectives. Je pourrais prendre des exemples analogues dans d’autres domaines.
Ajoutons, pour complexifier les choses, qu’est cultivée dans le domaine patronal la multi-appartenance, absente du domaine salarial. Une même entreprise a le droit d’appartenir à plusieurs organisations d’employeurs et une même organisation d’employeurs a le droit d’appartenir simultanément à plusieurs organisations interprofessionnelles comme l’UPA, la CG-PME et le MEDEF, pour prendre des organisations actuellement reconnues au plan national.
Le paysage est donc très différent selon que l’on se trouve dans le monde syndical ou le monde patronal. En matière de représentativité, si des éléments communs peuvent être identifiés comme les valeurs républicaines ou la transparence financière, la mesure de l’audience est nécessairement différente puisqu’elle renvoie à des réalités fortement dissemblables. Dans le monde syndical salarié, un homme égale une voix alors que dans le monde patronal, il faut compter avec des unités de tailles disparates. Il y a un mouvement presque inné vers la symétrie mais la symétrie ne peut s’appliquer qu’à des éléments homogènes, or nous ne sommes pas face à des éléments homogènes.
Quels sont donc les paramètres à intégrer ? Premièrement, le nombre d’employeurs ou le nombre d’entreprises ; deuxièmement, la multi-appartenance ; troisièmement, le poids des différents adhérents – pour reprendre une image utilisée à plusieurs reprises, on ne peut en effet accepter qu’un garage Renault pèse autant que les usines Renault.
Compte tenu des données de cette équation, dont on conviendra qu’elles ne sont pas simples, le système imaginé est assez intéressant. D’abord, mesurer l’audience par l’adhésion permet à chaque entreprise d’être représentée, quel que soit son poids, quelle que soit sa structuration, quel que soit le nombre de ses salariés. Ensuite, le système repose sur le principe de réalité selon lequel le garage Renault ne doit pas peser autant que les usines Renault : la possibilité de donner un droit d’opposition à l’extension d’un accord collectif négocié par des organisations d’employeurs aux entreprises qui représentent plus de la moitié des effectifs salariés dans le total des entreprises adhérentes permet d’intégrer le poids économique et social et le volume d’emplois des entreprises. Enfin, ce modèle permet d’intégrer la multi-appartenance, nous aurons à en discuter.
Ainsi, un moyen de mesurer l’audience du monde patronal dans sa complexité a été trouvé. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste appuiera le titre III du projet de loi et les dispositions relatives à la représentativité patronale.