Intervention de Christian Noyer

Réunion du 24 octobre 2012 à 17h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France :

S'agissant du CIF, j'ai lu le compte rendu de l'audition du directeur du Trésor et notre analyse correspond à la sienne. Le modèle économique de l'établissement a pu fonctionner tant que, partout dans le monde, le financement de l'immobilier par le marché était facile : les investisseurs internationaux recherchaient les titres hypothécaires parce qu'ils étaient censés être de bonne qualité et que le marché français avait une excellente réputation. Aujourd'hui, après la crise des subprimes, l'effondrement des marchés immobiliers irlandais et espagnol, les investisseurs et les agences de notation, instruits par les suites de la faillite de Lehman Brothers, sont beaucoup plus circonspects à l'égard de la capacité des banques à résister à un choc de liquidité. En outre, les évolutions réglementaires ont changé la donne. La crise de 2007-2008 n'a fait qu'accélérer une évolution qui était déjà en germe. D'ailleurs, depuis 2006, la Banque de France, comme la direction du Trésor et le ministère des Finances, était très favorable à un adossement du groupe à un grand réseau.

Nous estimons que les dirigeants du CIF ont, à l'époque où un tel rapprochement aurait encore été possible, fait tout ce qu'il fallait pour qu'il échoue. Les banques de la place pourront vous le confirmer.

Première hypothèse : l'adossement. Est-il encore possible ? Le ministère des Finances le recherche depuis de longs mois, nous avons exercé des pressions dans le même sens sur les dirigeants du CIF, non sans mal d'ailleurs. Ces efforts conjugués n'ayant pas abouti, l'hypothèse semble devoir être écartée. Pour une raison structurelle, d'abord : les banques françaises manquent de dépôts, d'où des problèmes de liquidité récurrents. Pour 100 euros de dépôts, elles accordent 133 euros de crédit. C'est un ratio très défavorable. Elles sont pourtant très bien gérées mais, avec l'épargne réglementée, il y a des fonds qui échappent au système bancaire. Ensuite, pour des raisons fiscales, l'assurance-vie s'est développée beaucoup plus que dans les autres pays. Enfin, les OPCVM drainent également une épargne considérable. Certes, ces investisseurs placent auprès des banques, mais il s'agit alors, par convention, d'un financement de marché, même s'il s'agit d'une compagnie d'assurance captive ou d'un OPCVM distribué par ladite banque. Concrètement, le système français est assez résistant parce que les investisseurs ne vont pas se retirer d'un seul coup, mais les agences de notation et les investisseurs internationaux ne vont pas aussi loin et voient dans cette dépendance à l'égard des marchés un élément de fragilité. Nos banques auront d'ailleurs du mal à respecter les ratios de liquidité de Bâle III quand ils entreront en vigueur. Elles devront d'ici là faire un travail de « réintermédiation » des dépôts dans leur bilan. Ce constat explique qu'aucune d'entre elles ne considère pouvoir refinancer un portefeuille d'une quarantaine de milliards et devoir assumer le poids du passé pour se lancer dans une nouvelle activité.

La Banque Postale est la seule à être en excédent de liquidités. Il était donc naturel de penser à elle, d'autant que sa clientèle est assez proche de celle du CIF. Elle a étudié notre demande à fond mais elle a renoncé compte tenu des risques pour sa notation et sa liquidité. Sur le plan de la gestion, les structures du groupe CIF sont compliquées et il faudrait les changer de fond en combles pour en assurer un contrôle complet. Sur le plan social, l'intégration pourrait provoquer chez elle des tensions en interne. En outre, l'acquisition d'un réseau, dont l'affaire Apollonia a montré l'absence de contrôle sur les prescripteurs, lui procurerait un gain de clientèle limité dans la mesure où les clients du CIF sont déjà les siens – ou ceux des Caisses d'épargne ou du Crédit Mutuel. Enfin, l'encours comporte une proportion élevée de taux variables. Son analyse est pertinente même si, à condition que les taux de défaut se maintiennent, les crédits pourraient s'éteindre sans impact sur les fonds propres. Une hausse des taux est toujours possible et elle se ressentirait sans doute sur une population aux revenus limités. Les fonds propres seraient alors absorbés rapidement.

Seconde hypothèse : une poursuite de l'activité avec une garantie de l'État serait-elle rentable ? On se heurterait alors aux règles de la concurrence et à la politique en la matière de la Commission européenne.

L'alternative est donc la suivante : soit l'État accorde sa garantie et elle est synonyme d'extinction de l'activité, soit celle-ci se poursuit, et il faut alors, pour que la concurrence ne soit pas faussée, que la garantie de l'État soit rémunérée à sa valeur de marché. Je ne sais pas l'évaluer exactement mais, si elle était de 100 points de base par exemple, l'activité ne serait plus rentable.

Dans ces conditions, la mise en extinction est inévitable. Il faudra donc que le segment de marché du CIF soit occupé par les autres établissements et il est important que la Banque Postale se lance dans le financement de l'accession sociale à la propriété en utilisant tous les outils à sa disposition. D'autres réseaux sont potentiellement intéressés par cette clientèle qui représente chez eux des déposants. Certains portefeuilles pourraient être rachetés et faire l'objet d'un adossement, notamment le financement du personnel des industries électriques et gazières, et de la SNCF, qui avaient été vendus au CIF par les groupes industriels ou de services qui souhaitaient s'en séparer. D'après les contacts que j'ai eus, certaines agences du réseau pourraient également intéresser quelques banques. Le ministère des Finances est en discussion avec elles. Elles envisagent même de recruter des agents du CIF.

L'intérêt général veut que l'activité se poursuive dans des conditions économiquement viables. L'histoire du CIF plaide plus en sa faveur que la période récente où des risques excessifs ont été pris, avec des quotités de financement des opérations proches de 100 % et des durées de crédit de plus en plus longues qui exposaient l'établissement au risque de taux d'intérêt au moment du refinancement. En outre, la concentration sur les taux variables aggravait encore le risque clientèle. Devant une telle évolution, nous avions demandé un renforcement des fonds propres au-delà des minima réglementaires, montrant par là notre inquiétude. Cas unique à ma connaissance : le groupe a attaqué la décision que nous avions prise devant le Conseil d'État, lequel – ironie de l'histoire – a annulé la décision du collège de l'ACP pratiquement le jour où le groupe est venu m'annoncer que Moody's allait le dégrader et qu'il fallait le sauver…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion