Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Séance en hémicycle du 30 octobre 2012 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2013 — Débat sur l'égalité hommes-femmes

Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je me réjouis que l'Assemblée ait mis à l'ordre du jour, juste avant la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances, la tenue d'un débat sur la politique de l'égalité entre les femmes et les hommes. C'est en effet une première – certains d'entre vous l'ont saluée – que je mets au compte de notre commune intention, Gouvernement et Parlement, de franchir une nouvelle étape vers l'égalité entre les femmes et les hommes.

Cette nouvelle étape, c'est celle que je qualifie de l'égalité effective, celle de la mise en oeuvre des lois que le Parlement a votées – cela peut paraître évident, cela ne l'est visiblement pas –, celle de l'engagement sur tous les terrains pour faire avancer la situation des femmes, situation dont les chiffres nous rappellent régulièrement, s'il le fallait, qu'elle reste trop systématiquement bien moins avantageuse pour les femmes que pour les hommes.

Certains d'entre vous m'ont entendu le dire : je veux être la ministre de la troisième génération des droits des femmes. Après la seconde guerre mondiale, en effet, deux types de combat ont été menés : le premier a consisté à effacer de la loi, des textes, toutes les discriminations faites aux femmes – l'impossibilité de voter, d'ouvrir un compte sans l'autorisation du mari… Le second, dans les années 1970-1980, a consisté à offrir aux femmes des droits nouveaux liés à leur condition spécifique de femme – droit à la contraception, droit à l'IVG…

À la lumière de l'obtention de ces droits, on peut se dire qu'on a tout obtenu. La loi a permis d'obtenir beaucoup de choses en effet mais pas dans les faits ; c'est bien là le problème. Aussi, la troisième génération des droits des femmes est tout simplement celle de leur effectivité, celle de la mise en oeuvre de ces différents principes pour qu'ils ne restent pas des concepts mais deviennent réalité au quotidien dans la vie de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

Comme me le montre le travail entamé depuis le mois de mai dernier avec la délégation aux droits des femmes, que je tiens à saluer vivement, comme me le montre également chacune de vos interventions aujourd'hui, l'occasion nous est donnée d'engager un processus, que je souhaite régulier, pour que nous prenions le temps d'interroger la politique de l'égalité entre les femmes et les hommes, que nous débattions de ses orientations, de ses implications budgétaires et de ses résultats.

Ce premier débat vient à point nommé puisque, dans quelques jours, je présenterai mon budget en commission élargie au sein de votre assemblée, puisque vous-mêmes examinerez l'ensemble des 27 programmes qui contribuent à cette politique transversale, enfin puisque, à la fin du mois de novembre, le Président de la République s'exprimera sur les droits des femmes et le Premier ministre présidera le comité interministériel aux droits des femmes pour fixer au Gouvernement tout entier une feuille de route ambitieuse en matière d'égalité entre les sexes.

Je voudrais maintenant, à la lumière des préoccupations que chacun d'entre vous a exprimées, faire un point d'étape de mon action au ministère des droits des femmes et vous présenter les orientations de cette politique transversale. Je ne serai sans doute pas exhaustive et je reviendrai, dans mes réponses à vos questions, sur les points que je n'aurais pas abordés.

Depuis le mois de mai, les droits des femmes sont redevenus une politique publique à part entière. Nous avons réinstallé un ministère des droits des femmes au coeur de l'appareil gouvernemental. Nous avons fait voter, comme tout premier texte, la loi sur le harcèlement sexuel. Nous avons mis la question de l'égalité entre les sexes au coeur de la grande conférence sociale et défini une feuille de route avec les partenaires sociaux, que nous déclinons ensemble, avec les régions également, depuis septembre.

Pour préparer le comité interministériel de fin novembre, qui ne s'était pas réuni, en effet, depuis de très longues années, nous avons dû profondément repenser les méthodes de travail du Gouvernement.

Ces derniers mois, chacun de mes collègues a remobilisé son ministère sur ces questions d'égalité. Chacun m'a fait des propositions dans un cadre que nous avons structuré et que je souhaite désormais permanent : les conférences de l'égalité, qui se sont tenues tout au long du mois du septembre. Au cours de ces réunions contradictoires, chaque ministère a été invité à repenser sa contribution à la politique de l'égalité. Comme Maud Olivier l'a rappelé, il est indispensable d'intégrer la dimension du genre dans toutes les politiques publiques et dans tous les budgets.

Mes collègues ministres se sont impliqués personnellement dans ce travail, y compris, pour la quasi-totalité d'entre eux, en se prêtant à l'exercice des actions de sensibilisation sur les stéréotypes de genre, dont chacun d'entre vous a bien conscience qu'ils perdurent partout, dans tous les domaines. Si nous voulons les déconstruire, il faut s'y attaquer méthodiquement.

Les ministres ont désigné auprès d'eux un haut fonctionnaire à l'égalité des droits et chargé l'un de leurs conseillers d'une fonction de référent. Nous construirons ainsi un réseau pérenne et mobilisé.

Un autre exemple de cette nouvelle gouvernance est la systématisation des études d'impact. Depuis la circulaire du Premier ministre du 20 août dernier, le principe a été retenu d'accompagner chaque projet de loi, chaque projet de décret, d'un volet permettant d'apprécier l'apport du texte en regard de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Avec Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac, nous travaillons d'ores et déjà à définir une méthode permettant d'inscrire dans l'ensemble des programmes budgétaires des indicateurs de l'égalité entre les hommes et les femmes, et d'évaluer l'impact des textes financiers, le PLF et le PLFSS, en s'inspirant des techniques de gender budgeting développées dans d'autres pays.

Il faut bien avouer que le document de politique transversale qui rassemble les vingt-sept programmes budgétaires de l'État et qui sert aujourd'hui de base à notre discussion, peut encore largement progresser. On y retrouve, bien entendu, les programmes des ministères impliqués dans l'éducation, la santé, l'égalité professionnelle et la lutte contre les violences, mais je trouve que ce DPT ressemble encore trop à une compilation raisonnée d'indicateurs et de programmes sectoriels ciblant les femmes et l'égalité entre les femmes et les hommes. Il ne prend pas assez en compte, par exemple, l'apport de la politique de ressources humaines de l'État ; par ailleurs, je le trouve insuffisamment articulé avec les plans stratégiques pour l'égalité développés dans les territoires par les préfets de région, ainsi qu'avec les actions conduites par les ARS.

Nous réaliserons ce travail d'approfondissement en profitant du temps de préparation du budget pour 2014 et en prenant en compte les suggestions que vous pourrez nous faire au cours de ce débat, car c'est à cela qu'il sert. Je tiens, à ce propos, à remercier particulièrement M. Sirugue pour le travail approfondi qu'il a accompli. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Les crédits de cette politique transversale sont en légère progression par rapport à 2012, puisqu'ils sont évalués à plus de 192 millions d'euros dans le PLF pour 2013 : c'est donc bien davantage que les 23,3 millions d'euros du programme 137, et cela démontre, s'il était besoin, l'importance de l'effet démultiplicateur d'une politique transversale.

Au-delà des chiffres, ce qui compte le plus, c'est la logique de transversalité, et le comité interministériel qui doit bientôt se réunir va permettre d'installer cette transversalité dans la durée.

Je pense à la question de la parité politique où, de fait, des progrès sont encore attendus. Sachez que je travaille en lien étroit avec mes collègues et que je me suis entretenue avec Lionel Jospin sur les voies et les moyens d'un plus juste équilibre dans la représentation des femmes à l'Assemblée nationale, au Sénat, et peut-être, au-delà du cadre envisagé par la commission Jospin, dans les territoires.

Je pense aussi à cette autre question transversale qu'est la politique internationale. Avec Laurent Fabius, nous avons défini, pour nos ambassadeurs, les lignes directrices d'une véritable « diplomatie des droits des femmes ». Il s'agit d'abord de soutenir, au niveau européen, les initiatives porteuses de progrès : je pense, par exemple, à l'initiative de la commissaire Reding concernant l'institution de quotas de femmes dans les conseils d'administration. Il s'agit aussi de défendre, dans les instances internationales, les engagements de Pékin contre ceux – ils sont malheureusement nombreux – qui veulent faire reculer les droits des femmes, notamment en matière de droit à l'avortement.

La précarité des femmes est un autre problème qui relève de politiques transversales : nous l'aborderons lors de la conférence sur la pauvreté, que le Président de la République a récemment annoncée.

Pour mettre en oeuvre une nouvelle politique, le Premier ministre a souhaité que je dispose des moyens d'agir. Je les présenterai en détail le 6 novembre, mais je signale d'ores et déjà que ce budget est inscrit au rang des priorités du Gouvernement et qu'il voit ses crédits progresser de près de 15 % en 2013, pour atteindre 23,3 millions d'euros.

Au-delà du programme 137, je pourrai disposer des moyens du service d'information gouvernemental pour conduire des actions de communication et de sensibilisation. Vous êtes parfaitement conscients de l'impact que peuvent avoir des campagnes d'affichage et de communication sur de tels sujets. Je sais pouvoir compter également sur une enveloppe de 12 millions d'euros de crédits FSE pour mener des expérimentations en matière d'égalité professionnelle, avec les régions et les partenaires sociaux. Une mobilisation totale des collectivités locales permettra de réaliser des progrès importants, car un grand nombre d'entre elles ont mené de véritables expérimentations et trouvé des solutions innovantes au cours des dernières années. Il faut donc s'appuyer sur elles pour aller plus loin.

S'agissant maintenant des moyens humains, le plafond d'emploi des personnels dédiés à la politique des droits des femmes est porté de 184 à 189 emplois équivalents temps plein : cinq postes seront créés au sein du service des droits des femmes, pour soutenir l'animation du réseau, la création d'un fonds d'expérimentation sociale et la mise en place des études d'impact.

Au-delà de l'échelle nationale, les moyens des services déconcentrés – je sais que vous avez tous à coeur le sort des déléguées régionales aux droits des femmes et des chargées de mission départementales – seront maintenus, y compris, et c'est une nouveauté, lorsqu'ils sont constitués d'emplois mis à disposition par d'autres ministères. Vous savez que la tendance, ces dernières années, était plutôt à geler le renouvellement de ces postes qu'à les reconduire.

Avec ces moyens, qui restent limités, je veux mettre l'accent sur des expérimentations qui, parce qu'elles seront évaluées – et je tiens beaucoup à l'évaluation –, auront de véritables effets de levier. J'ai également le souci de tenir les engagements que j'ai pris, s'agissant par exemple de la création d'une instance nationale dédiée aux violences faites aux femmes. Je veillerai aussi à ce que soient maintenus les moyens des associations qui travaillent, au quotidien, aux côtés du ministère, au plus près des femmes.

Voilà pour ce qui concerne les méthodes de travail. Venons-en à présent au fond et aux politiques que nous menons.

Le programme du Gouvernement commence dès le plus jeune âge, c'est-à-dire à l'école, et il vise à changer les mentalités. Je l'ai dit : la priorité, pour rendre l'égalité effective, c'est de lutter contre le sexisme ordinaire, contre les représentations et les stéréotypes sexistes. Ceux-ci sont partout : à l'école, dans le sport et les activités associatives, dans les médias et la publicité. Les chantiers sont donc nombreux.

Parce que ce sujet est lourd de conséquences, il sera au coeur du comité interministériel. Il convient d'innover, et c'est ce que nous ferons, avec Vincent Peillon, mon collègue de l'éducation nationale : dès cette année, nous lancerons, dans cinq académies, un programme d'éducation à l'égalité dès l'école primaire, intitulé « ABCD de l'égalité ». Cela suppose que les principaux acteurs de l'éducation se saisissent totalement de ces questions : avec Vincent Peillon, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il faut offrir aux personnels de l'éducation nationale, dans le cadre de leur formation, des modules de déconstruction des stéréotypes.

Cela suppose également de prendre à bras-le-corps la question, évoquée par Barbara Pompili, de l'orientation absurdement différenciée des filles et des garçons, au moment des choix qui conditionnent leur destin professionnel. Là encore, sachez que le prochain service public d'orientation prendra totalement en compte la question de la mixité des orientations et des métiers.

Cela suppose, enfin, de toucher l'ensemble des personnes concernées par ce chantier de déconstruction des stéréotypes, c'est-à-dire les jeunes, la génération qui vient. C'est pourquoi nous avons décidé de nous appuyer notamment sur les jeunes du service civique : nous voulons les voir s'investir dans des actions de sensibilisation et de formation sur les stéréotypes et les préjugés, qui sont la chose la mieux partagée au monde. Ces jeunes du service civique se rendront dans les écoles, dans les associations, dans le monde sportif pour nous aider à mener ce combat.

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