Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Séance en hémicycle du 30 octobre 2012 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2013 — Débat sur l'égalité hommes-femmes

Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement :

J'en ai fini avec ce qui concerne la lutte contre les stéréotypes : j'y reviendrai, si vous le souhaitez, à l'occasion des questions.

Venons-en à la deuxième priorité, que certaines et certains d'entre vous ont déjà évoquée : l'égalité professionnelle. Tant que l'égalité ne sera pas faite dans le monde du travail, on supportera les inégalités en dehors de l'entreprise. Comme je l'ai dit en introduction, nous avons eu à coeur d'introduire ce sujet dans la grande conférence sociale qui a réuni tous les partenaires sociaux en juillet dernier. La feuille de route à laquelle nous sommes parvenus à cette occasion a recueilli un très large soutien et, depuis lors, nous avons commencé à la mettre en oeuvre avec les organisations syndicales et professionnelles, dans le cadre d'un engagement tripartite. Marylise Lebranchu a engagé le même travail, au mois de septembre, avec les organisations syndicales de fonctionnaires : un accord devrait être trouvé avant la fin de l'année. Comme certains d'entre vous l'ont justement noté, l'État ne pourra rien réclamer des entreprises tant qu'il n'aura pas, lui-même, fait un effort pour assurer, en son sein, une juste représentation des hommes et des femmes à tous les niveaux.

Je veux m'attaquer aux causes structurelles des inégalités. Je pense d'abord aux différences en matière de temps de travail, et notamment à la question du temps partiel, mais aussi aux enjeux de l'articulation des temps de vie, qui pèsent particulièrement sur les femmes.

Le coeur du sujet – vous en êtes tous conscients –, c'est que les lois ne sont pas appliquées, alors qu'elles ne manquent pas. J'ai donc décidé de réviser le dispositif d'application de la pénalité, c'est-à-dire les conditions de la mise en oeuvre de l'article 99 de la loi de novembre 2010. Vous avez été nombreux à m'interroger à ce sujet, et vous avez évidemment noté que nous avons franchi une première étape avec la loi sur les emplois d'avenir, publiée samedi dernier. Cette loi permet de remettre la négociation au coeur de la démarche d'égalité professionnelle dans l'entreprise, grâce à un amendement de la présidente de la délégation aux droits des femmes, Catherine Coutelle. Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, que je réunirai très prochainement, rendra son avis sur le nouveau décret, dont je vous confirme qu'il est prêt et qu'il rendra bien plus efficace le dispositif de contrôle et de sanction, en remplaçant un contrôle sur place par un contrôle sur pièces.

Une autre question centrale est celle des différences de temps de travail, et notamment celle du temps partiel. Sachez que sur ce sujet, comme sur celui des évolutions du congé parental d'éducation, nous sommes convenus de passer par la négociation collective interprofessionnelle. La négociation a commencé entre partenaires le 21 septembre dernier, et les conclusions devraient nous être rendues au début du mois de mars. Le Gouvernement, quoi qu'il en soit, est décidé à prendre ses responsabilités pour aboutir à une répartition plus juste de ces congés familiaux, mais aussi pour répondre à la carence, cruelle pour certaines familles, et bien notée par Mme Pompili, de places d'accueil collectives de la petite enfance.

Si la négociation collective a toute sa place, je crois beaucoup aussi à la démarche expérimentale et à l'accompagnement des acteurs. Nous ne devons pas ignorer les difficultés que rencontrent tout particulièrement les PME dans la mise en oeuvre de l'égalité professionnelle. Je crois qu'il faut être pragmatique et les accompagner avec un souci de pédagogie. C'est l'objectif des programmes territoriaux d'excellence, que je lance dans neuf régions, que d'accompagner plus spécifiquement un certain nombre de ces entreprises. Il s'agit aussi de faire le lien entre de très grandes entreprises, qui ont eu les moyens de mettre en oeuvre l'égalité professionnelle en leur sein, et des PME, qui sont souvent leurs fournisseurs ou leurs sous-traitants et qu'il s'agira d'entraîner dans cette même dynamique.

Madame Zimmermann, nous devons en effet nous intéresser à la place que les grandes entreprises laissent aux femmes dans leurs comités exécutifs ou dans leurs comités directeurs. La loi sur les conseils d'administration a été une première avancée, que je salue, mais nous savons que le pouvoir se situe souvent dans ces comités de direction. Un travail est en cours sur ce sujet essentiel, ainsi qu'un autre sur la question de la création d'entreprise, étant donné qu'en ce domaine aussi, notre pays souffre d'un déséquilibre en défaveur des femmes.

La fonction publique, enfin, a évidemment toute sa part à prendre. Je tiens seulement à préciser, madame Zimmermann, que les nominations qui ont eu lieu en conseil des ministres depuis le mois de mai ne comportent pas 11%, mais 16 % de femmes, ce qui reste bien sûr insuffisant. S'agissant des primonominations, la proportion de femmes atteint 23 %. Il faut faire mieux, c'est une évidence, mais cela pose un certain nombre de problèmes, auxquels nous pourrons revenir lors du débat.

La lutte contre les violences est une troisième priorité. Je veux remercier Mme Bello pour les mots forts et justes qu'elle a prononcés à ce sujet. L'actualité nous rappelle en effet chaque jour combien il est urgent de trouver une réponse aux violences faites aux femmes dans notre pays. La semaine dernière encore – vous les avez sans doute vus – les chiffres de l'INSEE nous rappelaient l'ampleur de ce fléau, contre lequel nous devons nous battre : une femme sur trois s'est déclarée victime de violences sur une période de deux ans. Dans la grande majorité des cas, ces violences sont commises par des personnes connues de la victime, ce qui a pour corollaire à la fois la répétition des violences et, malheureusement, une trop faible propension des femmes qui les endurent à porter plainte : elles ne le font qu'à peine une fois sur dix. Ces drames traversent toute notre société, toutes les catégories sociales, mais ils frappent plus durement – c'est l'enseignement de ces enquêtes – les femmes en situation de précarité.

Sachez que je tiendrai les engagements que j'ai pris ici même lors du débat sur la loi relative au harcèlement sexuel. Il s'agit de la première loi votée à l'initiative du Gouvernement : merci, monsieur Moignard, de l'avoir rappelé. Une campagne de communication sera lancée à la mi-novembre sur le harcèlement sexuel, pour faire connaître la loi, pour faire changer les mentalités et pour donner, à nouveau, le signal d'une tolérance zéro à l'égard des violences sexuelles.

Je mettrai en place une institution nationale des violences faites aux femmes avant la fin de l'année pour mieux coordonner les études – nous en manquons cruellement – et pour proposer des actions, notamment en matière de formation, à destination de tous les professionnels amenés à jouer un rôle dans la lutte contre ces violences.

Une grande enquête sur les violences sera enfin relancée : vous savez que nous n'en avons pas réalisé depuis treize ou quatorze ans.

Par ailleurs, il est admis que, si la loi du 9 juillet 2010 était une bonne loi, elle n'est malheureusement qu'insuffisamment appliquée. C'est notamment le cas de l'ordonnance de protection. Il s'agit d'un très bon dispositif mais sa montée en charge est très déficiente : moins de 700 ordonnances ont été délivrées depuis 2010, dont un tiers dans le seul département de la Seine-Saint-Denis. Dans beaucoup de départements, aucune ordonnance n'a été rendue. Est-ce à dire qu'ils sont miraculeusement épargnés par la violence faite aux femmes ? Je ne le crois pas.

C'est donc l'appropriation de ce dispositif qui est insuffisante. Nous travaillons afin d'apporter des réponses lors du comité interministériel qui se tiendra à la fin du mois de novembre, en tenant compte des retours du terrain et des travaux que votre assemblée a conduits.

La prise en charge des victimes de violences suppose aussi l'hébergement des femmes qui les subissent lorsque la règle de l'éviction du conjoint n'a pas pu être appliquée. C'est pour moi l'occasion de rappeler cette règle, à laquelle nous reviendrons.

Concernant l'hébergement, je travaille avec Cécile Duflot à mieux faire connaître aux collectivités l'article 19 de la loi de juillet 2010, qui prévoit des conventions avec les bailleurs pour réserver des appartements aux femmes victimes. Cette disposition a été imparfaitement mise en oeuvre.

S'agissant de l'hébergement d'urgence, des places adaptées doivent être réservées aux femmes victimes de violence. Le projet de loi sur les attributions de logements sociaux annoncé par Cécile Duflot sera l'occasion de reprendre la question des priorités d'attribution.

La quatrième priorité est celle du droit des femmes à disposer de leur corps. L'accès à l'IVG et à un mode de contraception adapté sont des sujets majeurs pour les droits des femmes, il n'est pas nécessaire de vous en convaincre. Mais nous faisons face à une situation qui n'est guère réjouissante, en particulier pour les mineures. Nous constatons sur le long terme une augmentation des grossesses précoces et des grossesses non désirées qui doit nous interpeller. Le nombre d'IVG chez les mineures n'a cessé d'augmenter entre 1990 et 2007. Même s'il s'est quelque peu stabilisé sur ces trois ou quatre dernières années, il reste très élevé.

Le PLFSS pour 2013 prévoit le remboursement à 100 % des IVG. Par ailleurs, le tarif de l'acte d'IVG sera revalorisé de manière significative pour être en cohérence avec les coûts supportés par les établissements afin qu'ils ne soient plus déficitaires quand ils pratiquent une IVG. C'était malheureusement devenu trop courant.

Ces avancées ne nous dispensent pas pour autant d'une réflexion globale sur l'accessibilité géographique des centres d'IVG et l'amélioration de leur fonctionnement, notamment au cours de l'été, période dite creuse durant laquelle les difficultés s'accumulent.

Vous avez également adopté dans le PLFSS le principe du remboursement des contraceptifs pour les mineures. Aujourd'hui il est possible pour une mineure de bénéficier dans un centre du planning familial d'une prescription gratuite et anonyme. Mais selon leur lieu d'habitation, toutes les mineures n'ont pas un accès aisé à un centre, et rien n'est fait dans ce cas. Hors des centres du planning familial, les remboursements de contraceptifs aux mineures se faisaient jusqu'alors au taux de 65 %, ce qui constituait un frein financier pour l'accès à la contraception. C'est ce frein que nous avons voulu supprimer.

Un décret précisera prochainement les contraceptifs concernés par la suppression de la participation des assurées mineures, mais il s'agira de contraceptifs qui font déjà l'objet d'un remboursement. L'économie pour ces jeunes femmes peut être assez importante, et nous travaillons avec le ministère de la santé sur les conditions pour assurer l'anonymat des démarches, puisque vous savez qu'il s'agit d'un point essentiel.

Mais ne perdons pas de vue notre politique dans son ensemble. Il fallait supprimer les freins financiers, nous l'avons fait, mais nous devons aussi aborder la question de l'adaptation des méthodes proposées aux modes de vie des jeunes. Ce qui est en jeu, c'est notre modèle de contraception, qui fait une place trop large à la pilule, dont l'appropriation est moins aisée pour les jeunes. J'ai souhaité dès mon arrivée que la Haute autorité de santé soit saisie pour formuler une nouvelle recommandation aux professionnels de santé sur les modes contraceptifs.

Il faut aussi replacer ce sujet dans l'ensemble plus large de l'éducation à la sexualité. La meilleure façon de prévenir est d'éduquer. L'éducation à la sexualité est aujourd'hui quasi inexistante tant pour la contraception des jeunes que pour la construction sociale des relations entre filles et garçons, comme M. Moignard l'a parfaitement dit.

C'est un point prioritaire pour Vincent Peillon et moi-même. Nous y travaillons de concert : il a réuni les professionnels et j'ai réuni les conseils régionaux qui ont mis en place un « Pass contraception », afin de généraliser les bonnes pratiques.

Voilà posés les grands principes et les orientations qui guident cette politique transversale, incarnée dans plusieurs des programmes du DPT.

Je me réjouis que le Président de la République et le Premier ministre se soient engagés comme ils l'ont fait à soutenir cette politique, qui demande du volontarisme, car c'est précisément dans l'action concrète que nous avons besoin de leur soutien.

La politique des droits des femmes a trop longtemps été reléguée au rang d'accessoire ou de faire-valoir. Je tiens à remercier le président du groupe socialiste, Bruno Le Roux, d'avoir pris la parole dans ce débat au nom de tout le groupe sur un tel sujet. C'est une marque d'intérêt qui tranche avec les pratiques passées. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Nous souhaitons désormais inscrire cette politique dans la durée, dans l'efficacité. Cela se fera nécessairement avec votre soutien à tous, sur tous les bancs de cette assemblée. Je veux dépasser les clivages, et je vous espère nombreux à mes côtés. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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