Intervention de Patrick Lebreton

Réunion du 5 février 2014 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Lebreton, député :

- Messieurs les sénateurs, Messieurs les députés, je voulais avant toute chose remercier vos présidents d'avoir accepté d'organiser cette audition. Je souhaitais vous remercier de votre présence.

Comme vous le savez, par la lettre de mission remise par le ministre M. Victorin Lurel, le 13 avril 2013 à Saint-Joseph, j'ai été chargé par le Gouvernement de réfléchir aux moyens nécessaires pour favoriser la régionalisation de l'emploi dans les départements d'outre-mer.

Cette mission a donc consisté à réfléchir mais surtout à apporter des solutions pour permettre un meilleur accès des ultramarins aux emplois existants dans les départements d'outre-mer, tant dans le secteur public que le secteur privé. J'insiste sur le mot « existant ». Le travail qui m'a été confié ne consistait pas à formuler des propositions pour créer des emplois même si les sujets peuvent se recouper.

Le meilleur moyen de lutter contre le chômage c'est bien entendu de créer des emplois.

Mais dans le cadre qui m'était fixé, il m'appartenait de déterminer des pistes permettant de faire accéder les ultramarins aux postes dans leurs territoires respectifs pour tenter de mettre fin au dilemme « rester au pays et prendre le risque fort d'être exclu de l'emploi ou bien s'exiler avec des perspectives très improbables de retour ».

Cette ambition du Gouvernement est particulièrement légitime dans nos territoires qui connaissent un chômage structurel très important. Comment peut-on concevoir que dans des départements qui connaissent un contexte si dégradé, des postes disponibles échappent aux personnes qui en sont originaires ?

Ce constat a donc placé ma mission sur un fil. Comment faire des propositions efficaces et répondant â la commande du Gouvernement mais surtout à l'exigence de nos populations sans tomber dans les travers du rejet, du repli sur soi, de la discrimination ?

J'ai donc résolument inscrit ce rapport et mes propositions dans le champ républicain. Nous savons souvent trouver la République lorsque nous avons besoin d'elle, nous ne pouvons la rejeter lorsque cela nous arrange.

Il ne s'est donc pas agi de rompre avec les principes républicains mais davantage de les adapter à nos réalités, de les rendre plus souples pour qu'ils ne soient pas nécessairement défavorables.

Ce travail, qui a duré près de huit mois, m'a conduit dans l'ensemble des départements d'outre-mer ; j'y ai rencontré la plupart des acteurs syndicaux, économiques, un grand nombre d'élus, les administrations, bien entendu. Ici, à Paris, j'ai également auditionné les ministres ou les cabinets des ministères concernés.

Lors de ces auditions, je n'ai pas observé d'opposition majeure à l'objectif que nous poursuivons.

Il y a bien entendu des positions radicales qu'il faut tempérer, il y a aussi des conservatismes qu'il faut décrisper mais tout le monde comprend l'attente des ultramarins et l'exigence des résultats à obtenir.

Contrairement aux travaux qui avaient été entrepris auparavant, je ne souhaite pas, et je me battrai pour cela, que ce rapport finisse dans les archives de la République, pour ne pas dire ses oubliettes. Je veillerai également à ce que le travail fourni n'ait pas été une instrumentalisation sans lendemain.

Nous avons tous ici en mémoire, le rapport du préfet Bédier, commandé par l'ancien Président de la République, en pleine campagne électorale, avec une remise prévue au lendemain du second tour des élections présidentielles. Ce rapport était donc déjà « mort-né ».

Par contre, je demeure conscient que tout ne pourra être fait dans l'immédiat que ce rapport est une étape, qu'il doit servir à ouvrir des brèches et que certains combats au long cours devront être menés.

C'est la raison pour laquelle la cohésion de l'ensemble des parlementaires convaincus du bien-fondé de notre démarche est nécessaire.

J'ai souhaité organiser mes propositions autour de quatre piliers principaux :

– piloter la réforme,

– moderniser et fluidifier les marchés locaux de l'emploi,

– régionaliser les formations pour régionaliser l'emploi,

– adapter les règles de la fonction publique aux réalités des outre-mer et des ultramarins.

Sur le pilotage de la réforme, comme je vous l'ai indiqué, mon souhait premier est de ne pas voir ce rapport ne déboucher sur aucune avancée. J'ai donc proposé différentes mesures permettant de suivre l'évolution des propositions formulées au niveau central avec la mise en place, auprès du ministère des Outre-mer, d'un dispositif d'évaluation et de suivi (proposition 1).

De même, j'ai formulé le souhait que la régionalisation de l'emploi fasse l'objet d'une attention particulière, au niveau local, avec la création, dans chaque département d'outre-mer, d'observatoires composés des différents acteurs intéressés (proposition 2).

La régionalisation de l'emploi est un concept, un objectif qu'il faut faire vivre et faire porter par les acteurs locaux.

Enfin, et pour avoir constaté de vraies difficultés à obtenir des informations chiffrées ou des études statistiques pertinentes, en phase avec les réalités locales, qui sont particulières dans les départements d'outre-mer, j'ai proposé qu'auprès de chaque collectivité régionale soient créés des instituts locaux de la statistique, à l'image de ce que la région Martinique a institué (proposition 3). Cela dépasse le simple cadre de l'emploi mais seule une connaissance approfondie de la situation réelle de nos territoires est susceptible d'aider les décideurs, publics comme privés d'ailleurs, à choisir les options efficaces, non seulement pour l'emploi mais aussi pour les autres domaines.

Sur la modernisation et la fluidification des marchés locaux de l'emploi : le second pilier concerne les marchés locaux de l'emploi.

Nous avons observé que les difficultés liées au chômage dans les départements ne pouvaient seulement s'expliquer par les réticences à employer des Domiens. Le développement économique insuffisant en est en grande partie la cause, de même que la concurrence déséquilibrée entre les entreprises ultramarines et les grands groupes nationaux, voire internationaux.

Toutefois, j'ai pu faire le constat de l'existence de réseaux dans les modes de recrutement, principalement des cadres, dont les pratiques n'étaient bien souvent pas favorables aux ultramarins.

J'estime que chaque territoire, compte tenu de ses spécificités, devrait être en mesure de déterminer ses perspectives propres de développement, de façon décentralisée. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé que soit définie une stratégie de développement économique dans chaque territoire (proposition 4).

De même, les entreprises locales doivent pouvoir accéder aux marchés régionaux. J'ai donc proposé de favoriser l'accès aux marchés publics locaux pour les entreprises actrices de la régionalisation de l'emploi (proposition 7).

La régionalisation du développement économique imposera naturellement la régionalisation des recrutements.

De même, les ultramarins doivent se voir garantir des chances égales d'accéder aux emplois disponibles dans leur région d'origine, dès lors qu'ils en ont les compétences. Le marché de l'emploi doit donc devenir transparent. Les services publics de l'emploi pourraient ainsi se voir confier comme objectifs de rendre plus transparent le marché de l'emploi local (proposition 5) et surtout de renforcer l'accompagnement des cadres ultramarins vers l'emploi local (proposition 6).

Ces cadres, même quand ils disposent des compétences requises, sont souvent sans réseaux et ne peuvent accéder aux emplois disponibles.

Régionaliser les formations pour régionaliser l'emploi : le troisième pilier est pour moi un pilier essentiel. En effet, dans tous les territoires, a été constaté un véritable déficit en matière de formation, tant initiale que continue.

Filières incomplètes ou inexistantes, la politique de formation professionnelle apparaît sans cohérence. Il en résulte un profil du candidat ultramarin faiblement adapté aux besoins réels des entreprises. Il en résulte également l'impossibilité de se former, outre-mer, à la préparation de nombreux concours administratifs pour accéder aux emplois publics.

La logique est simple : régionaliser la formation est le meilleur moyen de régionaliser l'emploi. Permettre aux ultramarins d'accéder aux formations qui leur ouvriront les portes de l'emploi local et qui les conduiront à l'ensemble des postes de la fonction publique ou dans le secteur privé est essentiel.

J'ai donc notamment proposé de créer, dans chaque département d'outre-mer, une école supérieure des cadres d'outre-mer ESCOM (proposition 9) ; d'ouvrir un institut de préparation à l'administration générale par département d'outre-mer (proposition 10) ; de créer un institut d'études judiciaires rattaché à l'unité de formation et de recherche (UFR) de droit de l'Université de La Réunion dès la rentrée 2014 (proposition 11) ; de mettre en place de véritables filières techniques dans les outre-mer (proposition 12) ou de renforcer significativement les filières de formation en santé (proposition 13).

Les ultramarins ne pourront accéder à l'emploi que s'ils peuvent accéder aux formations qui y destinent.

Au-delà de la question essentielle mais de court terme de l'accès des ultramarins à l'emploi local, un système de formation réformé et efficace permettra la constitution d'une véritable et nouvelle élite locale, à même de piloter le redéveloppement économiques des territoires.

Enfin, concernant le cas particulier de Mayotte, j'ai estimé qu'il convenait de mettre en place un véritable plan d'urgence pour redresser le système éducatif (proposition 14).

Car, vous devez le savoir, l'insuffisance du nombre de classe impose un système de rotation faisant en sorte qu'à l'issue du premier degré, un élève mahorais suit cinq années de scolarité quand un enfant français en suit huit.

C'est une injustice profonde faisant de l'enfant mahorais un futur adulte dont les chances d'obtenir un emploi qualifié sont affaiblies. Cette mesure est pour moi une mesure prioritaire.

Enfin, il convient d'adapter les règles de la fonction publique aux réalités des outre-mer et des ultramarins.

La problématique de l'outre-mer dans la fonction publique est probablement ce qui a amené à ce débat sur la régionalisation de l'emploi. C'est par les cas concrets et identifiés par tous que le Président de la République a réellement pris conscience qu'il y avait une situation insatisfaisante. L'adaptation des règles aux réalités est donc le dernier pilier de mon rapport.

Dans la majorité des corps de la fonction publique, les règles de gestion ne tiennent que très peu compte des réalités que vivent les agents publics originaires des outre-mer.

Les mobilités dans l'hexagone durent de longues périodes (voire de très longues périodes dans la police) sans visibilité quant à l'éventualité d'un retour. Il en résulte un vif sentiment d'injustice vis-à-vis de fonctionnaires non ultramarins occupant les postes localement.

Le point de crispation majeur concerne les gardiens de la paix dont les règles de mutations ont été bouleversées en 2002 afin de privilégier l'ancienneté administrative, plutôt que l'ancienneté de la demande.

La conséquence à moyen terme de ce bouleversement a été que le nombre d'originaires mutés dans les départements d'outre-mer est tombé à 27,9 % en 2013 quand il était de 47 % en 2009. Moins d'un tiers des fonctionnaires de police mutés dans les outre-mer sont donc des ultramarins.

Beaucoup renoncent à mener une carrière dynamique et à rechercher de l'avancement. C'est un élément qui peut expliquer la quasi-inexistence de cadres originaires des outre-mer dans les postes offerts localement.

De même, on constate également un phénomène d'affectation de fonctionnaires non originaires, souvent en fin de carrière et peu au fait des réalités locales. Dès lors, j'ai souhaité proposer que soient mises en oeuvre des règles claires, justes, solides juridiquement mais surtout adaptées aux réalités de la situation des fonctionnaires ultramarins.

La mesure essentielle concerne les Centres des intérêts matériels et moraux (CIMM) dont j'ai souhaité qu'ils deviennent un principe à valeur législative s'imposant à toute la réglementation relative aux agents de la fonction publique (proposition 15). En plein accord avec le ministère des Outre-mer, je déposerai dans les prochains jours une proposition de loi en ce sens.

De même, et plus particulièrement concernant les fonctionnaires de police, j'ai proposé de mettre fin aux dysfonctionnements dans la gestion des carrières des gardiens de la paix (proposition 17) en revenant à la règle de l'ancienneté de la demande et en attribuant une bonification de 1 000 points à tout gardien de la paix titulaire d'un CIMM dans un département d'outre-mer. Par ailleurs, j'ai proposé de limiter la durée des séjours outre-mer pour les non originaires (proposition 18) et de progressivement supprimer les primes de mobilité (proposition 19) pour mettre fin à un système où la motivation n'est pas de servir la sécurité d'un territoire mais de tirer un gain par une mobilité au soleil.

Favoriser l'emploi d'ultramarins dans des postes outre-mer tout en accentuant la qualité du service public sont des objectifs qui peuvent être atteints en instaurant la prise en compte de la connaissance de l'environnement local dont la maîtrise de la langue est un élément pour les mutations (proposition 16).

Enfin, et en complément des mesures relatives à la création de filières locales menant aux carrières administratives, j'ai estimé nécessaire de proposer de régionaliser la gestion des cadres de la fonction publique de l'État (proposition 21), d'organiser localement des concours interministériels de catégories B et C (proposition 20) et d'adapter les règles de mobilité géographique préalables aux promotions (proposition 23).

Ces propositions devraient permettre, je crois, d'éviter ce qui peut être vécu comme un exil et elles devraient faire en sorte qu'une organisation plus adaptée du fonctionnement des services de l'État élimine ce type de frustration.

Mes chers collègues, comme je vous l'ai dit, je considère ce rapport comme une première étape. Mon objectif est modeste, je n'ai pas souhaité réaliser un catalogue dans lequel les mesures essentielles se perdraient.

C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité souligner cinq mesures que je considère comme réellement prioritaires pour enclencher le changement dans les perspectives d'accès à l'emploi des ultramarins dans les outre-mer.

C'est mesures sont :

– consacrer les CIMM comme le pivot du droit de la fonction publique applicable aux outre-mer et aux ultramarins (proposition 15),

– mettre fin aux dysfonctionnements dans la gestion des carrières des gardiens de la paix originaires des outre-mer (proposition 17),

– rendre transparent le marché de l'emploi local (proposition 5),

– créer dans chaque département d'outre-mer une école supérieure des cadres d'outre-mer – ESCOM – (proposition 9),

– mettre en place un plan d'urgence pour redresser le système éducatif de Mayotte (proposition 14).

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