Intervention de Frédéric Cuvillier

Réunion du 11 février 2014 à 18h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche :

Comme vous l'avez indiqué, le texte sera examiné en mai en commission, puis au mois de juin en séance publique, et peut-être en juillet par le Sénat.

Le projet de loi se présente à vous dans un contexte européen. À travers ce texte, nous entendons affirmer avec force la position de la France dans le débat européen, notamment dans le cadre de la discussion qui a commencé au Parlement européen sur le quatrième paquet ferroviaire. Le volet politique, relatif à la gouvernance et aux contrats de service public, sera débattu en Conseil des ministres de l'Union européenne probablement en 2015. La France doit pouvoir peser sur l'orientation de la politique européenne des transports et nous avons déjà eu des échanges exigeants sur des points primordiaux. Nous voulons peser sur au moins deux points.

Chaque système ferroviaire a sa légitimité et son histoire : c'est pourquoi nous ne souhaitons pas que soit instauré un modèle unique de gouvernance au niveau européen, qui ne permettrait pas d'assurer une efficacité optimale et ne respecterait pas le principe de subsidiarité. Chaque pays doit pouvoir choisir un modèle intégré à condition de respecter certains principes, en donnant des garanties fortes d'impartialité, notamment en ce qui concerne le gestionnaire d'infrastructure.

Nous ne souhaitons pas non plus que la mise en concurrence soit le seul moyen d'attribution des contrats de service public. Les pays doivent rester libres d'organiser les modalités de la mise en concurrence. Nous devons en finir avec une forme de dogmatisme amenant à privatiser les profits et à socialiser les pertes.

Parallèlement à l'enjeu européen, il y a une situation qui préoccupe les citoyens : le système ferroviaire fonctionne mal, la qualité du service se dégrade, qu'il s'agisse de la régularité, du confort, des délais des travaux et de leur coordination. Il faut affronter avec volontarisme une situation financière indéniablement dégradée. La dette de Réseau ferré de France (RFF) est de 37 milliards d'euros, pour 44 milliards pour l'ensemble du système ferroviaire, avec une progression annuelle de 2,4 à 3 milliards d'euros. Nous devons relever le défi de l'amélioration du service public en même temps que celui de réformes structurelles et instaurer un cadre social tenant compte de la réalité du paysage ferroviaire – certains secteurs sont ouverts à la concurrence, comme le fret, d'autres non. Nous devons définir un système plus clair et plus efficace. Un sondage révèle que les personnes interrogées attendent de cette réforme ferroviaire, en priorité, des progrès en termes de ponctualité, de régularité et de sécurité. Nous proposons donc une nouvelle gouvernance.

Nous entendons renforcer le secteur public, et donc le rôle de la nation. C'est en effet à la nation et à donc ses représentants, et non à un acteur ferroviaire, de définir la stratégie ferroviaire qu'il faut réviser régulièrement. Nous souhaitons renforcer la place de l'État stratège qui doit disposer des moyens de piloter les différents acteurs publics. Il s'agit pour cela de clarifier les rôles, de mettre un terme à la confusion actuelle : l'enchevêtrement des responsabilités rend difficile l'identification de l'interlocuteur pertinent, sans compter que les relations entre la SNCF et RFF sont pour le moins complexes.

Le système ferroviaire fonctionne aujourd'hui à crédit, nous devons stabiliser la dette. Si nous n'agissons pas, la dette atteindra entre 78 et 80 milliards d'euros en 2025. La pérennité du système ferroviaire français est donc au coeur du débat.

En ce qui concerne l'encadrement social, afin d'éviter la concurrence déloyale, il conviendra de donner aux partenaires sociaux les moyens de négocier les conditions de travail dans le cadre de la hiérarchie des normes – « décret-socle », négociation d'une convention collective nationale applicable aux branches... Le débat parlementaire enrichira un texte qui, au-delà de ses très nombreux aspects techniques, entend dessiner les grandes perspectives du secteur ferroviaire.

L'État, la nation doivent reprendre toute leur place dans la définition d'une stratégie ferroviaire. Le texte réaffirme à cet effet que le système de transports concourt à la mission même de service public et d'aménagement du territoire. L'un de ses objectifs est de mettre en oeuvre le droit au transport et d'assurer l'équilibre des territoires. L'État lui-même doit par conséquent assurer un système de transports cohérent et sûr.

Le Haut comité du ferroviaire sera ainsi le lieu où les parties prenantes – État, régions, entreprises ferroviaires, usagers, organisations syndicales – discutent de la stratégie même du secteur. On a longtemps considéré, un peu rapidement, qu'un seul groupe public devait contrôler la stratégie nationale. Il n'en est rien.

Le projet de loi vise également à créer un groupe public ferroviaire fort, lui-même contrôlé par l'État. C'est une nécessité industrielle, permettant d'améliorer la qualité et de répondre aux stratégies des marchés mondiaux. Le groupe sera constitué d'un établissement public de tête sous l'égide duquel se trouveront le gestionnaire d'infrastructure, SNCF Réseau, et l'exploitant ferroviaire, SNCF Mobilités.

L'établissement public de tête assurera le contrôle, le pilotage stratégique, la cohérence économique, l'intégration industrielle, l'unité sociale du groupe public. Les représentants de l'État y seront majoritaires – ce qui n'est pas le cas actuellement puisqu'ils ne forment qu'un tiers du conseil de surveillance de la SNCF. Il appartiendra au futur conseil de surveillance de déterminer les grandes orientations à mettre en oeuvre par le directoire. Celui-ci sera composé du président de SNCF Réseau et du président de SNCF Mobilités, tous deux nommés par l'État, placés sur un pied d'égalité et gardant, chacun de son côté, la pleine responsabilité opérationnelle de chacun de leurs établissements. Le directoire est placé sous l'autorité du conseil de surveillance, de son président, lui-même choisi par l'État. En cas de désaccord, il appartiendra à celui-ci de trancher.

Enfin, le caractère intégré du groupe sera assuré par le fait que l'établissement public de tête sera investi de missions fortes et qu'il désignera le tiers des membres du conseil d'administration de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités.

Le texte clarifie les compétences : nous souhaitons un gestionnaire unique d'infrastructure capable de piloter l'ensemble du réseau. L'organisation actuelle, nébuleuse, met en jeu une pluralité d'intervenants, y compris au sein de la SNCF, au détriment de l'efficacité et de la qualité des interventions. Il s'agit donc de rassembler ces acteurs au sein d'une seule structure.

L'établissement public SNCF Mobilités sera chargé du transport des voyageurs et de la gestion des gares. Il ne s'agit pas d'anticiper une éventuelle ouverture à la concurrence, mais bien de renforcer l'efficacité économique du groupe.

Nous souhaitons mettre en place un pacte national destiné à stabiliser les dettes du secteur. Nous ne pouvons pas ne pas agir. Le texte donne des moyens à l'État et à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) de contrôler l'évolution de l'endettement de SNCF Réseau. Un décret fixera en effet les ratios de dette à respecter. SNCF Réseau ne pourra pas participer au financement d'un projet qui le conduirait à dépasser lesdits ratios. L'ARAF contrôlera l'impact des investissements, notamment des investissements nouveaux, et la soutenabilité financière du contrat qui lie SNCF Réseau à l'État.

Le retour à l'équilibre nécessitera un effort de tous, y compris de l'État. Il s'agit d'améliorer la gouvernance, mais aussi d'obtenir des gains de productivité par la mutualisation, par le partage de fonctions stratégiques, par la nécessité, au niveau de l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) de tête, d'établir des synergies – notamment grâce à la création de SNCF Réseau – permettant d'éviter doublons, délais pénalisants, décisions d'investissement inconséquentes, chaînes de commandement dont l'imperfection nuit aux relations commerciales. Il est important, notamment pour le fret, de conjuguer travaux de modernisation et efficacité économique des contrats qui lient les acteurs.

Le texte prévoit les modalités de participation de l'État à cet effort collectif. Ainsi, les dividendes du transporteur pourront être reversés à SNCF Réseau au lieu de l'être à l'État, et un prochain projet de loi de finances prévoira les modalités de consolidation des déficits fiscaux au niveau du groupe.

Par ailleurs, le texte crée les conditions de la construction d'un cadre social commun à l'ensemble du secteur, avec le maintien du statut du cheminot, tout en adaptant le cadre social commun. Il s'agit de donner aux salariés et aux entreprises ferroviaires la possibilité de construire l'organisation et les conditions de travail répondant aux exigences de sécurité, de qualité du service et garantissant l'absence de concurrence déloyale : les règles doivent être les mêmes pour tous. Le texte prévoit donc un cadre social modernisé : le « décret-socle » déjà évoqué posera les principales règles sociales de tout le secteur ferroviaire, règles que déclinera la négociation d'une convention collective nationale.

L'ensemble des entreprises de cette branche seront ainsi soumises à un régime homogène en matière de durée de travail. Le cadre social commun est concerté et évitera, comme c'est déjà le cas, les distorsions de concurrence, tout en donnant suffisamment de souplesse pour qu'il y ait des adaptations des organisations. Nous souhaitons ainsi moderniser les règles du dialogue social.

J'en viens au régulateur : le texte confie à l'ARAF certains pouvoirs supplémentaires. La politique d'investissement de SNCF Réseau devra désormais être validée par le régulateur qui devra éventuellement proposer des mesures visant à redresser sa trajectoire économique. L'ARAF garantira l'impartialité de SNCF Réseau – élément essentiel de l'eurocompatibilité du dispositif. Le régulateur émettra par ailleurs un avis sur la nomination du président de SNCF Réseau et pourra éventuellement s'opposer à sa révocation. Les moyens humains de l'ARAF seront renforcés puisqu'elle bénéficiera d'une équipe dédiée, ses membres exerçant leurs fonctions à temps plein.

À court terme, cette réforme vise donc à réorganiser un système ferroviaire éclaté, afin notamment de répondre aux attentes de nos concitoyens, des cheminots et des élus, en matière de qualité, d'efficacité et de sécurité, et en termes de modernisation de l'infrastructure ainsi que du matériel roulant. Le texte propose la création d'un grand groupe industriel capable de s'adapter aux évolutions futures de l'Europe du rail et, concomitamment, propose la réforme indispensable du cadre social du secteur, régi par des règles claires, applicables à tous dans le contexte d'une concurrence qui, quand elle existe, doit rester loyale. Les partenaires sociaux auront donc tous les moyens de s'emparer des conditions d'organisation du secteur ferroviaire.

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