Intervention de Jean-Marie Beffara

Séance en hémicycle du 31 octobre 2012 à 10h00
Projet de loi de finances pour 2013 — Médias livre et industries culturelles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marie Beffara, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, madame la ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, c'est pour moi un très grand honneur et un immense plaisir de rapporter devant vous, pour la première fois, le budget de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

Permettez-moi de concentrer mon propos sur quelques éléments importants de cette mission, notamment les crédits liés à l'audiovisuel public et ceux consacrés à la presse. L'ensemble des autres éléments est par ailleurs traité dans mon rapport. Vous le savez, la pédagogie est affaire de répétition. Il me semble donc important de rappeler une fois encore, au moment d'examiner cette mission budgétaire, que la nouvelle majorité doit assumer un lourd héritage, du fait des conséquences de la réforme voulue par l'ancien Président de la République et mise en oeuvre par la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

Cette loi a en effet illustré de manière probante la méthode de gouvernance brutale de l'ancienne majorité. Celle-ci peut se résumer en trois mots : improvisation, inconséquence et imprudence.

Improvisation tout d'abord, car l'annonce de la suppression de la publicité le 8 janvier 2008 par le Président de la République ressemblait plus à un coup politique qu'à l'expression d'une nouvelle et véritable vision de l'avenir de l'audiovisuel public français. D'ailleurs, rien de très concret ne fut alors proposé par le Président, concernant les moyens destinés au financement de cette suppression.

Inconséquence aussi, parce que la suppression de la publicité après vingt heures sur les chaînes de France Télévisions sonnait le glas du modèle économique de l'audiovisuel public, fondé sur l'articulation entre ressources propres et produit de la redevance audiovisuelle. Cette décision a conduit au bricolage budgétaire qu'était la compensation de la perte de 450 millions d'euros de recettes publicitaires par des crédits du budget de la nation, alors même que la crise s'installait en France et que le déficit se creusait.

Pire encore, ces nouvelles dotations budgétaires de l'État devaient être partiellement compensées par une recette incertaine, la taxe sur le chiffre d'affaires des opérateurs de télécoms, qui n'a d'ailleurs rapporté que 250 millions d'euros contre 450 millions d'euros perdus par la suppression de la publicité après vingt heures. De plus, cette taxe fait aujourd'hui l'objet d'un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne et risque de coûter 1,3 milliard d'euros à l'État.

Inconséquence encore au regard des conditions dans lesquelles le précédent gouvernement a autorisé l'arrivée de six nouvelles chaînes sur la Télévision numérique terrestre. Comment est-il possible de ne pas avoir anticipé la dilution des recettes publicitaires, déjà en recul, ou encore l'augmentation du prix des programmes du fait de cette nouvelle concurrence ? De telles décisions ne peuvent qu'entraîner le secteur de l'audiovisuel public dans de grandes difficultés économiques.

Improvisation et inconséquence donc, mais aussi imprudence.

Imprudence, parce que la loi sur l'audiovisuel public a profondément fragilisé le financement de France Télévisions. En pleine crise économique, décider de solliciter le budget général pour financer la suppression de la publicité n'était pas une conduite responsable. En outre, il est incompréhensible d'avoir signé dans ce contexte un nouveau contrat d'objectifs et de moyens comportant une hausse du budget et un augmentation régulière des dotations de l'État. Cela revient en fait à financer à crédit France Télévisions. Cette décision est déconcertante au regard de la situation dégradée du budget de l'État. Après tout, les 600 milliards d'euros de dettes supplémentaires accumulées par le précédent gouvernement sont bien dus à quelque chose ! La réforme du financement de l'audiovisuel ne fait pas exception à la règle. Le Gouvernement et la nouvelle majorité héritent donc bien d'une situation financière dégradée.

Dans ce contexte, je ne peux que saluer le projet de loi de finances pour 2013. Ce budget est courageux, sérieux et responsable. La mission « Médias, livre et industries culturelles » participe pleinement au redressement de nos comptes publics et prend toute sa part de l'effort nécessaire à la maîtrise des dépenses. D'un montant de 1,211 milliard d'euros en autorisations d'engagement et de 1,218 milliard d'euros en crédits de paiement, les enveloppes budgétaires sont respectivement en baisse de 2,9 % et de 3,8 % par rapport à 2012.

Au sein de cette mission, l'action « France Télévisions » du programme 313 « Contribution à l'audiovisuel et à la diversité radiophonique » supporte l'essentiel de cet effort, avec une baisse de 167,5 millions d'euros en crédits de paiement. Cette baisse des dotations budgétaires est partiellement compensée par une hausse du produit de la contribution à l'audiovisuel public, anciennement appelée redevance audiovisuelle.

Le budget de France Télévisions, qui est le plus important du secteur de l'audiovisuel public, dispose sans doute du meilleur potentiel pour mutualiser des moyens et effectuer des économies sans que les objectifs stratégiques de l'entreprise publique soient totalement remis en cause. Comme je viens de l'évoquer, en contrepartie de cette baisse de dotations budgétaires, France Télévisions perçoit une dotation en hausse de 5,2 %, soit 105,1 millions d'euros hors taxe, en provenance du programme 841 du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ». Cette progression de la dotation est bien évidemment possible grâce à l'inscription en première partie de cette loi de finances de l'augmentation de deux euros de la contribution à l'audiovisuel public en plus de l'augmentation de deux euros due à l'indexation de cette contribution sur l'inflation. Néanmoins, l'effort demandé à France Télévisions correspond à une baisse de ses ressources publiques de 85 millions d'euros, soit une diminution de 3,4 % par rapport à 2012.

Ces choix budgétaires, conjugués à la baisse prévisionnelle des recettes publicitaires, conduisent France Télévisions à engager l'exercice budgétaire 2013 avec une prévision de recettes en baisse d'un peu plus de 150 millions d'euros. Cette situation ne sera pas soutenable très longtemps. Il nous faut aujourd'hui rapidement réparer ce qui a été déstructuré et fragilisé par la majorité précédente. Des pistes ont été évoquées, comme l'extension de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public aux résidences secondaires. Je rappelle que cette contribution a été supprimée en 2005. Cette suppression avait alors privé l'audiovisuel public de près de 300 millions d'euros de recettes.

Une autre solution serait d'augmenter encore la contribution à l'audiovisuel public de deux euros. Cette augmentation supplémentaire permettrait de rattraper, même très partiellement, les conséquences de la décision des gouvernements précédents de ne pas revaloriser le montant de la redevance entre 2002 et 2009. J'y suis pour ma part plutôt favorable. Cette ressource supplémentaire permettrait à France Télévisions de prendre sa part à l'effort demandé, en engageant les économies nécessaires, sans pour autant se trouver confronté à des objectifs budgétaires inatteignables.

Le financement de l'audiovisuel public doit faire l'objet d'une réforme profonde. La dépendance aux crédits budgétaires de l'État, introduite par la réforme de 2009 doit s'estomper au profit d'un équilibre retrouvé entre produit de la redevance et ressources propres. C'est la raison pour laquelle je pense que la question de la publicité après vingt heures ne doit pas être hors du périmètre du débat. Les chaînes publiques, sans doute, ne doivent pas être traitées uniformément : j'appelle de mes voeux un débat sans tabou sur cette question. De même, je suis extrêmement étonné que l'entreprise France Télévisions, qui contribue à la production ou la coproduction de nombreux programmes, ne tire aucune ressource de ces productions en terme de droits. Il y a là, sans doute, une piste intéressante pour dégager de nouvelles ressources.

La loi sur l'audiovisuel qui sera présentée au printemps prochain sera l'occasion d'une réflexion et de propositions pour assurer un financement robuste et moderne de l'audiovisuel public. Ce financement devra garantir la pérennité du nouveau modèle économique de l'audiovisuel public, ainsi que la qualité de ses missions et son indépendance. Il nous faudra être sérieux et inventifs pour mener à bien cette tâche.

Enfin, compte tenu des choix budgétaires effectués, et comme madame la ministre l'a annoncé, un avenant au contrat d'objectifs et de moyens permettra d'adapter les projets prévus pour 2013 à ces nouvelles contraintes financières. Dans cette période de transition, le Gouvernement a fait le choix – que je partage – de limiter à 0,3 % en moyenne la baisse des dotations des autres organismes du secteur public de l'audiovisuel : l'Institut national de l'audiovisuel, Arte, Radio France et Audiovisuel extérieur de la France. Cette décision permet notamment de reconnaître les efforts importants engagés par Arte en matière de diversification des publics et des horaires. Arte fait également évoluer son modèle économique en se tournant vers la diffusion par Internet.

Le gouvernement précédent a attaqué l'audiovisuel extérieur de la France avec une grande brutalité. Sous couvert de réformes, l'AEF a été profondément déstabilisé. Je me félicite donc du maintien de sa dotation budgétaire et de la décision du Gouvernement d'abandonner la fusion des rédactions de France 24 et de RFI, permettant ainsi à chacune de ces rédactions de conserver ses spécificités.

J'en viens maintenant à un autre secteur important de cette mission budgétaire : les aides accordées à la presse. Le secteur de la presse se trouve en situation constante de fragilité économique. Dans ce contexte, le programme 180 vise à garantir son indépendance, son pluralisme et sa diffusion sur tout le territoire. Pour cela, une enveloppe de 516,1 millions d'euros en autorisation d'engagement et en crédits de paiement est consacrée à la presse pour 2013.

Néanmoins, la reconduction de cette aide à la presse d'année en année pose question. En dépit d'un niveau élevé d'aides publiques, le secteur de la presse reste chroniquement en difficulté. Il est clair que les aides accordées ne permettent pas aux différents acteurs d'adapter leur modèle économique à la transition numérique et aux transformations des pratiques. Les états généraux de la presse ont été salutaires financièrement pour l'ensemble des acteurs, mais cette aide n'a pas pour autant réglé le problème de fond : celui de structurer un modèle économique viable et efficace sur le long terme. Il est, à mon sens, nécessaire de procéder à une remise à plat du système très hétérogène des aides publiques, de les réorienter de manière efficace vers les dispositifs les plus innovants, les plus porteurs et les plus aptes à faire émerger la presse de demain et d'accorder clairement une priorité en direction de la presse d'information politique et générale. Concernant la distribution, il paraît opportun de réfléchir également à un rééquilibrage des crédits entre transport postal et aide au portage. Nous savons, aujourd'hui, que le portage est un vecteur de diffusion de la presse rapide, efficace et adapté aux attentes des éditeurs de la presse quotidienne nationale et régionale et de ses lecteurs. Il me paraîtrait donc naturel de favoriser son développement. Je partage également les interrogations de certains de mes collègues sur la fiscalité préférentielle attribuée à l'ensemble des titres de presse. Il y a là, me semble-t-il, un chantier qu'il nous faudra ouvrir au cours de l'année 2013. Il est, à mon sens, urgent d'engager une réflexion sur la fiscalité à laquelle est assujettie la presse numérique payante, qui possède un modèle économique encore extrêmement fragile.

Concernant l'actualité récente, je salue l'action entreprise pour sauver le groupe Presstalis qui était en situation de faillite. Nous pouvons, d'ailleurs, légitimement regretter l'inaction du précédent gouvernement qui s'est contenté d'observer, sans doute au nom de la libre concurrence, la guerre économique à laquelle se livraient les deux acteurs de la distribution de presse. Il est anormal que le groupe Presstalis ait dû assumer la distribution des titres quotidiens les moins rentables, pendant que des éditeurs de titres hebdomadaires faisaient jouer la concurrence au profit des Messageries lyonnaises de presse. Il n'est pas normal que le contribuable ait à payer…

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