Intervention de Christian Kert

Réunion du 12 février 2014 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Kert, rapporteur :

Je me réjouis du consensus qui entoure cette proposition de loi, au service du livre, de la préservation de la diversité de la création et du maintien d'un réseau dense de librairies indépendantes sur tout le territoire. Ce texte doit en effet permettre de rétablir des conditions de concurrence un peu moins déloyales entre ces librairies et les grandes plateformes de vente de livres en ligne, qui octroient aujourd'hui à leurs clients des avantages commerciaux que ne peuvent se permettre de proposer les petites librairies.

À l'issue de son examen par le Sénat, le texte comporte désormais deux articles.

L'article 1er, dont la rédaction a été légèrement modifiée par le Sénat, encadre les conditions de vente à distance des livres, afin de faire cesser le contournement, que nous avons dénoncé, de l'esprit de la loi Lang du 10 août 1981 relative au prix du livre.

La question est d'importance car l'essor du marché du livre sur Internet se fait hélas au détriment des librairies indépendantes, dont la rentabilité financière a été en moyenne divisée par trois en dix ans.

Les entreprises vendant des livres sur Internet pratiquent de façon quasi systématique la gratuité des frais de port sans minimum d'achat et cumulent bien souvent cet avantage avec la remise de 5 %. Dictée par une stratégie privilégiant les volumes de ventes plutôt que la marge unitaire, leur politique aboutit à la dilution de la notion même de prix unique du livre. Il en résulte une distorsion caractérisée de concurrence avec les libraires indépendants, qui ne peuvent se permettre d'accorder les mêmes avantages à leurs clients.

La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, à la suite de l'adoption en séance publique d'un amendement du Gouvernement, vise à interdire le cumul des deux avantages commerciaux que sont le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port, en précisant que, « lorsque le livre est expédié à l'acheteur et n'est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l'éditeur ou l'importateur » et que « le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu'il établit ».

Au Sénat, Mme Bariza Khiari, rapporteure pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, a estimé que le dispositif demeurait incomplet s'agissant de la livraison car, dans cette rédaction, elle pouvait continuer d'être proposée gratuitement. Le Sénat a donc modifié le texte afin d'indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit.

En séance publique, le Sénat a par ailleurs adopté un amendement présenté par M. Jacques Legendre visant à reporter la date d'entrée en vigueur de l'article 1er de trois mois à compter de la publication de la loi, ce report étant destiné à rendre possibles les adaptations techniques nécessaires, notamment la modification des logiciels de facturation des plateformes de vente en ligne.

Je souscris à la précision de la non-gratuité des frais de port, qui est pleinement conforme à l'objectif poursuivi par la proposition de loi initiale. Pour ce qui est du report de l'entrée en vigueur, on peut estimer de bonne pratique de laisser le temps aux opérateurs de s'adapter au nouveau cadre législatif.

L'article 2 a, quant à lui, été introduit au Sénat à l'initiative du Gouvernement. Il habilite ce dernier à transposer par ordonnance un accord-cadre sur le contrat d'édition à l'ère du numérique qui a été conclu en mars 2013 par le Conseil permanent des écrivains, qui rassemble l'ensemble des organisations représentant les auteurs du livre, et le Syndicat national des éditeurs, organisation professionnelle des entreprises d'édition.

Il faut mesurer le caractère proprement historique de cet accord, qui marque l'aboutissement de près de quatre années de débats et d'âpres négociations entre le Syndicat national de l'édition et le Conseil permanent des écrivains sur les conditions de cession et d'exploitation des droits numériques.

Le droit positif est en effet particulièrement peu adapté à l'ère numérique : que signifie, dans le monde du numérique, « fabriquer en nombre des exemplaires » d'une oeuvre ? Quelle est la portée de l'obligation d'« exploitation permanente et suivie » de l'oeuvre ? Il est donc urgent d'adapter la définition que le code de la propriété intellectuelle donne du contrat d'édition.

Je vous présente brièvement les quatre principales dispositions de l'accord.

Premièrement, l'accord fait obligation au contrat d'édition de prévoir une partie distincte regroupant toutes les dispositions concernant l'exploitation numérique de l'oeuvre. La solution de deux contrats séparés, initialement soutenue par les auteurs, n'a finalement pas été retenue, au nom de la logique d'exploitation globale, imprimée et numérique, de l'oeuvre. La séparation en deux parties permet néanmoins de reconnaître que les deux types de droits sont distincts, la résiliation de l'une des parties du contrat ne devant pas remettre en cause la validité de l'autre partie.

Deuxièmement, auteurs et éditeurs se sont accordés sur une définition des critères permettant d'apprécier l'obligation aujourd'hui faite à l'éditeur d'une « exploitation permanente et suivie » de l'oeuvre, tant dans l'imprimé que pour le numérique, obligation dont le non-respect permettra à l'auteur de recouvrer de plein droit ses droits d'exploitation.

Troisièmement, le code de la propriété intellectuelle devra préciser que le contrat d'édition comporte obligatoirement une clause permettant à l'auteur ou à l'éditeur de demander la renégociation des termes économiques du contrat avant son échéance.

Enfin, l'accord prévoit également que l'éditeur devra, au moins une fois par an et pendant toute la durée du contrat, adresser à l'auteur une reddition de comptes. Le non-respect de cette obligation par l'éditeur autorisera l'auteur à résilier de plein droit l'ensemble du contrat.

En application de l'article 2 de la proposition de loi, le Gouvernement sera autorisé, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à modifier les articles relatifs au contrat d'édition contenus dans la partie législative du code de la propriété intellectuelle afin de tirer les conséquences juridiques de la signature de cet accord.

Pourquoi une ordonnance ? Je ne suis pas plus enthousiaste que vous, mais le réalisme commande de se ranger aux arguments avancés.

Au Sénat, la ministre de la culture et de la communication a fait valoir que l'accord nécessite une transcription législative rapide et que le Gouvernement n'a pas trouvé d'autre support législatif depuis sa signature, il y a bientôt un an.

Les auditions que j'ai moi-même menées ont confirmé l'urgence à modifier le code de la propriété intellectuelle. Dans l'attente d'une telle modification, l'application des termes de l'accord n'a guère été anticipée. Près d'un an après la signature, il serait, aux yeux des signataires eux-mêmes, très périlleux d'attendre davantage et de prendre le risque de laisser retomber la dynamique favorable dont procède l'accord.

Le champ de l'habilitation est circonscrit à l'adaptation des dispositions législatives du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition aux termes de l'accord, souvent très précis. Le Gouvernement dispose donc d'une marge de manoeuvre limitée pour l'écriture de l'ordonnance.

Le Gouvernement est en outre contraint dans le temps : l'article 2 fixe pour la publication de l'ordonnance un délai de six mois suivant la promulgation de la loi et précise qu'un projet de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de la publication de l'ordonnance. Ce nouvel article poursuit, comme l'article 1er, l'objectif d'adapter le marché du livre et les conditions de sa commercialisation à l'univers numérique.

Dans ces conditions, et alors que, par principe, aucun de nous n'est favorable au dessaisissement des parlementaires de leur pouvoir de voter la loi – d'autant qu'en l'espèce, elle est paradoxalement d'initiative parlementaire –, je me range aux arguments exposés par les signataires de l'accord et vous invite à adopter cet article sans modification, comme l'ensemble de la proposition de loi.

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