La proposition de loi qui nous est soumise en deuxième lecture ne comporte pas de changement notable en matière de vente de livres. En revanche, un second article y a été ajouté au Sénat, sans rapport avec le sujet initial, j'y reviendrai.
Je rappelle d'abord les nombreux oublis de cette proposition de loi.
Vous ne proposez pas de renforcer les moyens de contrôle juridique et financier des entreprises afin de surveiller les multinationales de la vente en ligne et d'éviter un manque à gagner de plusieurs centaines de millions d'euros pour les finances de l'État.
Vous ne proposez pas d'harmoniser la fiscalité européenne, alors que les multinationales ont fait du contournement des lois nationales un sport de haut niveau. Les paradis fiscaux, qu'ils soient européens ou plus lointains, ne sont pas inquiétés.
Vous ne proposez pas non plus de mieux contrôler le travail dans les entrepôts logistiques qui fleurissent partout en France. Qu'il s'agisse d'Amazon ou des nombreux drives de supermarchés, les conditions de travail des salariés dépendent du bon vouloir des employeurs, faute d'une inspection du travail suffisante. Heureusement, le projet de loi relatif à la formation professionnelle viendra y remédier… En fait, non ! Ce projet de loi contient lui aussi un cavalier législatif qui vient abîmer encore un peu plus l'inspection du travail. Monsieur le rapporteur, vous n'êtes malheureusement pas le seul à ne pas mettre en oeuvre les mesures urgentes dont les salariés français ont besoin.
Je maintiens donc la conclusion à laquelle j'avais abouti en première lecture : votre proposition de loi, composée d'un unique article, ne peut prétendre changer en profondeur l'état du commerce du livre en France.
Certes, il est possible que certains acheteurs, grâce à la proposition de loi, passent par leur libraire plutôt que par des sites en ligne. Mais, pour l'immense part des achats qui ne peuvent pas avoir lieu localement, par manque de librairies ou par épuisement des stocks, votre texte ne fera qu'augmenter les marges des multinationales de la vente en ligne.
Dans le même temps, vous laissez Amazon et ses concurrents louer des droits d'accès à des livres numériques qu'ils qualifient de ventes. Il s'agit d'une escroquerie sémantique. Les clients se voient octroyer un droit à lire et non un fichier électronique. Il est urgent d'étudier comment mettre fin à ces systèmes fermés qui privent les clients de toute possibilité de sortie.
Je suis donc fort déçue que, en tant que grands défenseurs des libraires, vous n'ayez pas voté mon amendement au dernier projet de loi de finances. La vente de livres sous forme de fichier en format ouvert aurait alors bénéficié d'une TVA réduite, tandis que les systèmes fermés, comme ceux d'Amazon ou Apple, qui sont une prestation de service numérique, auraient été soumis à une TVA à taux normal.
Vous semblez sincèrement inquiets de l'avenir des librairies. Votre intention est louable tant les libraires sont indispensables à la diffusion de la culture. Mais vous auriez alors pu leur offrir un soutien financier ou légal plus marqué.
Je connais ainsi des libraires qui souffrent des conditions imposées par les grandes maisons d'édition. Commandes imposées, expéditions facturées à tort, livres abîmés mais non repris, les abus sont nombreux et avérés. Quelles sont vos propositions pour rétablir un équilibre entre les principales maisons d'édition, fortes de leur concentration, et la myriade de libraires indépendants ?
Enfin, le Gouvernement a souhaité obtenir le droit de légiférer par voie d'ordonnance à propos de l'accord-cadre sur le contrat d'édition à l'heure numérique, sur lequel je ne reviendrai pas puisqu'il me semble équilibré.
En revanche, la méthode me pose problème. La proposition de loi que nous avions étudiée n'a aucun rapport avec ce second article. Je peux comprendre qu'il soit urgent de légiférer à propos de cet accord-cadre, mais je désapprouve formellement ce procédé. Il constitue un manque de respect envers le rôle du Parlement.
Le Gouvernement nous a pourtant promis un projet de loi portant sur la création, prenant en compte la révolution numérique. Ce texte semblait le véhicule législatif idoine pour la transposition de l'accord. Faut-il comprendre que le Gouvernement, qui a déjà pris beaucoup de retard à ce sujet, compte encore repousser l'examen de ce projet de loi ?
En attendant une réponse à cette question et malgré mes nombreuses remarques, le groupe écologiste votera cette proposition de loi qui va dans le bon sens.