l est important, pour les quelque 400 agents français qui oeuvrent en faveur de la coopération un peu partout dans le monde, de savoir que la représentation nationale s'intéresse à eux, car ils travaillent dans des conditions qui ne sont pas toujours aisées – bien que souvent ensoleillées – et ils se sentent parfois isolés.
Je vous présenterai successivement la direction de la coopération de sécurité et de défense, l'action qu'elle mène en Afrique et les perspectives ouvertes en décembre dernier par le sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique.
La DCSD est une direction politique et opérationnelle du ministère des Affaires étrangères, qui découle des conclusions du Livre blanc de 2008, lequel avait affirmé le continuum sécurité-défense. Elle a pris en 2009 la suite de la direction de la coopération militaire et de défense, en incluant dans son champ d'action les coopérations de sécurité intérieure menées auparavant par la direction générale de la coopération internationale et du développement (aujourd'hui devenue la direction générale de la mondialisation) du ministère des Affaires étrangères. Elle est aujourd'hui chargée de la coopération structurelle avec les États étrangers dans les domaines de la défense, de la sécurité intérieure et de la protection civile. Notre objectif est de mettre en place, de renforcer et de pérenniser les capacités régaliennes des pays partenaires, afin de les aider à faire face aux menaces et à prévenir les crises et, plus généralement, afin d'accroître leur stabilité.
Pour ce faire, nous utilisons plusieurs modes d'action.
La coopération structurelle de défense française procède traditionnellement d'une approche bilatérale : conseil auprès des hautes autorités civiles et militaires du pays, formation de cadres, formations techniques spécifiques, par exemple dans le domaine de la police scientifique et technique.
Depuis quelques années, y est associée une approche multilatérale, notamment par l'intermédiaire des écoles nationales à vocation régionale (ENVR), qui drainent des étudiants de plusieurs pays africains, voire de l'ensemble du continent. Certaines dispensent des enseignements généraux – comme l'école de guerre de Yaoundé, au Cameroun –, d'autres des formations plus spécifiques ; par exemple, le centre de Ouidah, au Bénin, forme au déminage humanitaire. Dans tous les cas, les formations sont l'occasion de nouer des liens entre des personnes d'origines différentes, qui pourront ensuite parler le même langage et coopérer entre elles.
Le Quai d'Orsay dispose en outre d'autres outils de coopération multilatérale, comme les projets du fonds de solidarité prioritaire (FSP). Ainsi, le programme Asaca – Appui à la sécurité de l'aviation civile en Afrique –, qui vise à lutter contre l'utilisation de l'aviation civile par les terroristes, concerne vingt-deux pays.
Nous nous rapprochons également de l'Union africaine et des organisations sous-régionales, comme la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ou la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), et nous travaillons de plus en plus avec l'Union européenne et l'Organisation des Nations unies (ONU).
Enfin, certains pays font appel à la France parce qu'ils veulent engager des actions de coopération ou de développement en Afrique, mais indirectement. Il nous revient alors de mettre en oeuvre leurs projets.
Par le passé, nous pouvions également céder du matériel d'équipement, mais nous ne le faisons plus, faute de moyens – sauf pour les ENVR. Par exemple, une ENVR qui voudra former au maintien de l'ordre – ou à la « gestion démocratique des foules », comme on dit maintenant – aura besoin de boucliers et de matraques.
Notre budget est d'une centaine de millions d'euros par an, répartis sur deux programmes.
Le programme 105, « Action de la France en Europe et dans le monde », nous alloue quelque 80 millions d'euros. Les deux tiers sont dévolus aux rémunérations et aux charges sociales, le tiers restant allant aux crédits d'intervention ; depuis la création de la DCSD, il y a cinq ans, ceux-ci ont été divisés par deux et, sur le budget triennal 2013-2015, la baisse est de 15 %.
Au titre du programme 209, « Solidarité à l'égard des pays en développement », nous disposons de deux types de ressources : les financements issus du FSP, à hauteur de 13 millions d'euros l'année dernière, et les crédits de sortie de crise – quatre millions d'euros l'an passé. Je pourrai vous donner des exemples précis d'emploi de ces crédits si vous le souhaitez.
La DCSD regroupe environ 400 personnes : 229 coopérants militaires sont déployés dans le monde entier, mais principalement en Afrique – qui représente à peu près 80 % des efforts de la DCSD ; s'y ajoutent une 41 gendarmes, 48 policiers, 9 experts de la sécurité civile et 63 agents en administration centrale : militaires, diplomates, policiers, spécialistes de la sécurité civile.
Quelle est la différence entre la coopération opérationnelle et la coopération structurelle ? Les opérations, y compris la formation pour préparer les engagements en opérations, relèvent de l'État-major des armées et de la direction de la coopération internationale du ministère de l'Intérieur ; pour notre part, nous sommes chargés de mettre en place, de renforcer et de pérenniser les institutions régaliennes dans les pays partenaires. Cela signifie que, lorsqu'il y a une crise, comme actuellement en République centrafricaine, nous ne nous occupons pas de sa gestion – vue la situation, nous serions bien en peine de le faire ; nous n'en sommes qu'au stade de la réflexion sur la manière de réorganiser les forces armées, la police et la gendarmerie.
Nos relations avec l'État-major des armées sont excellentes. Lorsque la crise a éclaté en République centrafricaine, nous avons retiré nos coopérants, sauf quelques-uns qui, grâce à leurs réseaux et à leur connaissance du pays, ont facilité l'implantation de nos troupes. Réciproquement, lorsque nous nous réimplantons dans un pays en sortie de crise, nous bénéficions du soutien des formes armées et des détachements d'instruction opérationnelle (DIO) viennent à l'appui des formations que nous délivrons. Un comité de pilotage avec l'État-major des armées se réunit deux fois l'an. Bref, tout se passe en bonne intelligence.
Les relations sont plus difficiles avec le ministère de l'Intérieur, sans doute pour des raisons historiques : alors que le dispositif de coopération des trois armées et de la gendarmerie est unifié depuis les origines, la coopération policière n'a rejoint le dispositif commun qu'en 2009. Il faut du temps pour que les mentalités évoluent. En outre, les décrets et les arrêtés du ministère de l'Intérieur et du ministère des Affaires étrangères sont parfois contradictoires, ce qui ne facilite pas les choses. Enfin, les services policiers français sont très mobilisés sur leurs missions de sécurité intérieure et ne peuvent pas toujours garantir la disponibilité de leur ressource. Il suit de là que le taux d'exécution des missions de coopération, dépassant 90% pour les militaires, n'est que de 40% pour les agents civils.
Les priorités politiques de la DCSD sont fixées par la présidence de la République et par le cabinet du ministre des Affaires étrangères. Nous avons une priorité géographique très claire, le Sahel, et une priorité thématique, la lutte contre le terrorisme et contre les grands trafics transfrontaliers. J'y ai ajouté d'autres priorités liées à l'action à long terme de la DCSD, qui est nécessairement déconnectée de l'actualité politique, puisqu'elle a vocation à installer des institutions pérennes.
Traditionnellement, la DCSD contribue ainsi à l'extension de l'influence de la France dans le monde. Pour favoriser l'apprentissage du français, nous avons développé, d'abord en interne, puis en relation avec l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), des méthodes d'apprentissage du français en milieu militaire et en milieu sécuritaire ; nous sommes en train de les ouvrir à l'ONU. L'objectif est non seulement de promouvoir la connaissance de notre langue, mais également de contribuer à la formation de contingents susceptibles de se déployer dans des pays où l'on a besoin de Casques bleus francophones. Aujourd'hui, 55 % des opérations de maintien de la paix se déroulent dans des zones francophones, alors que 30 % seulement des troupes sont francophones. Nous organisons également des séminaires internationaux.
J'en viens à l'action que mène la DCSD en Afrique.
Nous avons conduit un processus de retour d'expérience (RETEX) pour savoir pourquoi l'action de la France et de la communauté internationale avait porté si peu de fruits au Mali et en République centrafricaine.
Une première série de causes est liée aux États eux-mêmes. Ceux qui se sont effondrés étaient sujets à un fort clientélisme et à une corruption généralisée ; ils souffraient à la fois d'un manque de volonté politique, notamment à l'endroit du dispositif de défense, et d'une faiblesse des administrations, incapables d'assimiler l'apport des actions de coopération. Sur le plan politique, le radicalisme gagnait les coeurs et les esprits.
Deuxième série de causes : la faiblesse des forces armées dans les pays concernés, avec une gestion des ressources humaines défaillante et une rupture du lien entre l'encadrement et la base, les officiers généraux vivant dans l'aisance alors que les troupes manquaient de tout. Il s'agissait bien souvent d'armées faites de bric et de broc, qui pouvaient bénéficier d'une aide importante, mais provenant de pays multiples, et dont le matériel était hétéroclite ; du coup, elles n'arrivaient pas à l'entretenir et à mettre en place une action opérationnelle cohérente. Enfin, on pouvait parfois noter une faible combativité liée aux cultures de certaines populations.
Dernière série de causes : les insuffisances de l'assistance internationale. Il ne semble malheureusement pas évident pour tout le monde qu'il n'y a pas de sécurité sans développement, et réciproquement. À la direction générale « Développement et coopération » (DEVCO) de la Commission européenne, par exemple, on ne veut pas entendre parler d'uniformes ! D'autre part, le manque de coordination de l'aide internationale a conduit à une véritable gabegie. Certains pays se sont fait financer trois fois les mêmes programmes sans que les bailleurs le sachent ! Une ambassadrice française me disait encore récemment : « Surtout, ne donnez pas de matériel ; des halls entiers sont remplis de véhicules qui ne servent à rien ! » Il convient de mettre fin à ce gaspillage.
Pour ce faire, nous avons conçu une méthodologie. Cela a été fait avant mon arrivée, mais j'ai souhaité la formaliser et je la présente systématiquement aux chefs d'État et de gouvernement auxquels je rends visite.
Premier point : les Africains demandent des réponses africaines aux problèmes africains ? Prenons-les au mot ! Nous répondons exclusivement aux sollicitations des pays partenaires, sans leur dire ce qu'ils doivent faire ; nous leur demandons ce dont ils ont besoin, nous analysons avec eux leurs demandes et, si nous les jugeons pertinentes, nous essayons d'y répondre.
Deuxième point : nous ne faisons plus, comme auparavant, de la coopération de substitution. Nous envoyons des spécialistes dans les pays partenaires afin qu'ils les aident à bâtir ce dont ils ont besoin, mais sans agir à leur place. Nos experts donnent des conseils, mais c'est à nos partenaires de s'approprier les actions et de les adapter aux réalités du terrain.
Mais cela ne suffit pas : il faut ensuite passer de l'appropriation à l'autonomisation. L'objectif final de la coopération, c'est que, à terme, les experts puissent se retirer et que le pays partenaire soit capable d'agir seul – quitte à lui apporter encore un peu d'aide de temps en temps.
C'est pourquoi nos actions de coopération s'appuient désormais sur des projets contractualisés. Pour chaque action, nous exigeons que soient précisés l'objectif, ce que chacun s'engage à faire, et les indicateurs de gestion utilisés. Nous acceptons de répondre à la sollicitation du pays partenaire, à condition que celui-ci s'engage à fournir les moyens matériels, humains et financiers nécessaires au projet ; en échange de quoi, nous lui procurons l'ingénierie de formation et les spécialistes. Dans la mesure où l'on constate tous les six mois ou tous les ans qu'il poursuit son effort, nous renforçons notre soutien ; dans le cas contraire, si, de toute évidence, il ne s'agit pas d'une priorité pour le pays – ce dont la France n'a pas à juger –, nous nous désengageons. J'espère que cela incitera les autres pays partenaires à assumer leurs responsabilités et que la coopération deviendra ainsi plus vertueuse.
Dernier point – sur lequel je ne m'attarderai pas : nous privilégions de plus en plus une approche internationale.
Quant à la « Françafrique », je dois dire qu'elle ne m'intéresse pas. Je suis pour ma part avant tout spécialiste des pays arabes, et non de l'Afrique – même si j'ai participé à des opérations aux quatre coins du continent. Que la France ait laissé un héritage historique et culturel dans une partie de l'Afrique n'est pas pour moi une motivation pour agir, mais un gage d'efficacité : il est plus facile de coopérer quand on partage la même langue et les mêmes systèmes administratifs. C'est un atout sur lequel nous nous appuyons pour assurer la sécurité de l'Europe – qui est indissociable de celle de l'Afrique. Toutefois, nous ne nous cantonnons pas à cette Afrique-là ; au contraire, nous menons de plus en plus d'actions de coopération en direction de l'Afrique anglophone, de l'Afrique lusophone et de l'Afrique arabophone.
En revanche, nous ne produisons pas le même effort suivant les régions. Au Sahel, nous luttons surtout contre le terrorisme et le narcotrafic. Dans le golfe de Guinée, nous oeuvrons en priorité à la sécurité maritime et à la consolidation des démocraties. En Afrique du Nord, nous souhaiterions nous intéresser au terrorisme, aux migrations clandestines et à la bonne gouvernance, mais nous nous heurtons à des obstacles de nature politique ou opérationnelle. En Afrique de l'Est, nous concentrons nos efforts sur la sécurité maritime et le renforcement des capacités de maintien de la paix. Le point commun avec l'action des forces armées françaises, c'est que notre objectif est de renforcer les Africains, et non de tout faire à leur place, afin que, à terme, ils soient capables de gérer eux-mêmes leurs crises et que nous n'ayons plus qu'à leur prêter appui. C'est pourquoi la DCSD a envoyé, dans vingt-trois pays africains, soixante conseillers auprès des plus hautes autorités politiques et militaires.
Enfin, quelles sont nos perspectives ? À l'issue du sommet de l'Élysée, les chefs d'État africains ont décidé de porter les efforts dans trois directions : la sécurité au Sahel, en mettant tout particulièrement l'accent sur les frontières, la sécurité maritime dans le golfe de Guinée et la consolidation de l'architecture de paix et de sécurité africaine. Ce sommet nous a donné un cadre d'action politique, une visibilité internationale et une légitimité, notamment vis-à-vis de l'Union européenne et des Nations unies. Il a aussi permis de relancer la dynamique partenariale.
D'autre part, nos ressources budgétaires déclinant, nous nous efforçons de trouver des ressources autres. Nous modulons l'assistance que nous apportons en fonction de la situation financière du pays partenaire : s'il est riche, nous la lui faisons payer ; s'il est pauvre, nous fournissons les ressources. Nous apportons un appui croissant aux entreprises françaises, en particulier pour répondre aux appels d'offres à Bruxelles ou à New York ; en retour, nous leur demandons de soutenir nos efforts, notamment en Afrique – par exemple, en nous fournissant des formateurs. Nous répondons aux appels d'offres de l'Union européenne, en notre nom propre ou via des opérateurs publics ou parapublics tels que France Expertise Internationale, l'opérateur du Quai d'Orsay, CIVI.POL, celui du ministère de l'Intérieur, ou Défense Conseil International (DCI), celui du ministère de la Défense. Nous montons aussi des opérations triangulaires, financées par des pays tiers et mises en oeuvre par la France, ce qui nous donne l'occasion de soutenir les entreprises françaises grâce à l'achat de matériel. Bref, nous essayons d'oeuvrer intelligemment pour essayer de compenser la diminution de nos ressources.