Intervention de Laurence Dumont

Réunion du 12 février 2014 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Dumont, rapporteure :

« Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience », écrivait René Char. C'est dire tous les égards que vous méritez ! Hier encore, en audition, une personne m'a dit : « Il nous a parfois dérangés, mais il est fait pour cela. » Vous avez réussi à troubler un monde où régnait une certaine opacité et à obtenir, comme on me l'a aussi dit dans une audition, un « effet de cliquet » dans l'histoire des prisons. Il y a vingt ans, les personnels étaient embauchés, selon les termes que certains d'entre eux ont employés, « pour donner des baffes ». Ils affirment qu'aujourd'hui, grâce à votre action, ce n'est plus possible.

Vous êtes parvenu à ce résultat avec des propos positifs et attentionnés à l'égard de toutes les professions concernées. Surtout, vous avez su faire le lien entre les conditions de détention et les conditions de travail des personnels.

Vous insistez sur le fait que l'on connaît encore trop peu les lieux de privation de liberté. Il me semble que les parlementaires devraient faire amende honorable, eux qui ont depuis dix ans la possibilité de visiter ces lieux – et même, plus récemment, les hôpitaux psychiatriques, sur lesquels il conviendrait de mettre l'accent.

Même si la situation reste par endroits alarmante, votre personnalité et votre action font l'unanimité. Vous avez su notamment éviter l'écueil de la défiance qui aurait pu suivre l'adoption du texte de 2007.

Cette proposition de loi consacre le maintien du Contrôleur général des lieux de privation de liberté comme instance indépendante du Défenseur de droits, alors que certains considéraient, lors du débat de 2011, que la question se poserait à la fin du premier mandat du Contrôleur. Elle consacre aussi les pratiques que vous avez mises en place dans le silence de la loi de 2007.

Le Sénat l'ayant adoptée à l'unanimité, je ne reviendrai que sur quelques points qui pourraient encore faire débat. La confiance dans l'institution et dans votre action personnelle est très forte, mais certaines questions demeurent quant à l'avenir.

Vous évoquez dans toutes vos interventions les représailles à l'encontre des personnes détenues. Les auditions que j'ai menées montrent que les personnels peuvent aussi être la cible de représailles de la part de leur hiérarchie. Je cite les propos que l'un d'entre eux a tenus : « Quand j'ai été confronté au Contrôleur des prisons, je n'ai pas tout dit, car j'ai aussi une hiérarchie. Toute vérité n'est pas forcément bonne à dire. On peut vous en tenir rigueur. » Il nous est également apparu que, malgré le peu de saisines qui vous parviennent en la matière, vous êtes un dernier recours essentiel pour les malades placés en hôpital psychiatrique.

Toujours est-il que, si la saisine peut faire avancer une situation, elle peut aussi avoir des conséquences pour la personne dont le nom ou le dossier est porté à votre connaissance. La protection instaurée par le texte est donc tout à fait bienvenue.

S'agissant des reconduites à la frontière et des mesures d'éloignement, la France est en manquement depuis 2010. Alors que l'on n'évoquait d'abord la question que pour les reconduites hors Union européenne, le Sénat a souhaité l'élargir aux ressortissants reconduits à l'intérieur de l'Union. Ces deux cas ne sont pas différents en termes de principes, mais en termes d'organisation matérielle. Les personnes qui relèvent du règlement « Dublin II » et des réadmissions à l'intérieur de l'Union donnent lieu à 11 000 procédures par an. Les procédures prévues par le règlement « Dublin II » étant centralisées, il n'y a pas de difficulté à ce que le Contrôleur général en soit prévenu ; mais, dans le cas de la réadmission, la procédure est totalement décentralisée et dépend de chaque préfecture, ce qui rend plus difficile l'information du Contrôleur général. De plus, la réadmission intervient parfois de façon très rapide : dans le cadre des conventions bilatérales, elle peut prendre entre quelques heures et un à deux jours.

Deux hypothèses se présentent : la première serait d'exclure les réadmissions et de ne conserver dans le dispositif que les procédures relevant du règlement « Dublin II », ce qui ne serait pas très satisfaisant sur le plan des principes ; la seconde serait de conserver les réadmissions, sachant que le contrôle serait quasi inapplicable en l'état actuel des choses. Bref, la question n'est pas tout à fait résolue. Peut-être pourrait-on décider qu'il appartient finalement au Contrôleur général d'activer la demande.

Ma deuxième interrogation porte sur le secret médical. Vous-même vous êtes dit à plusieurs reprises très attaché au maintien de cette relation de confiance essentielle dans les lieux de privation de liberté. La mesure proposée implique une réflexion approfondie de la part du corps médical. Pour l'instant, toutefois, personne n'a fait état d'une opposition de principe. Nous procéderons à l'audition de l'Ordre des médecins et du ministère de la Santé la semaine prochaine. Pour mémoire, le Défenseur des droits bénéficie déjà d'un dispositif d'accès aux informations couvertes par le secret médical, selon une procédure moins encadrée que celle qui est proposée dans le texte. En outre, partout ailleurs en Europe, le secret médical n'est pas opposable en cas d'allégation de mauvais traitements.

Le Sénat a prévu le dispositif suivant : si la personne concernée donne son accord, un contrôleur ayant la qualité de médecin – il y en a aujourd'hui trois dans votre équipe – accède aux informations ; dans le cas d'allégations de privations, sévices et violences sur un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger, le secret médical peut être levé sans le consentement de la personne.

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