La crise que vit la presse illustre donc parfaitement les propos d'Antonio Gramsci : l'ancien monde ne parvient pas à mourir tandis que le nouveau n'arrive pas à naître.
Dans le contexte de révolution industrielle que vit la presse, il convient de repenser de toute urgence les modalités de l'intervention de l'État. Le rôle des pouvoirs publics doit être non pas d'empêcher mais d'accompagner les mutations irréversibles. Or, depuis vingt ans, l'écosystème continue à orienter l'essentiel de ses ressources vers le maintien de modèles anciens, indépendamment de toute réflexion sur leur finalité, leur pertinence et leur viabilité, avec parfois la complicité de certains éditeurs, dont l'attitude face au changement rappelle étonnamment la formule d'Edgar Faure : l'immobilisme est en marche, et rien ne l'arrêtera !
Combien le contribuable aura-t-il dû débourser pour retarder la mort de France Soir, aidé à hauteur de 50 centimes d'euros par exemplaire vendu pour un prix de vente de 50 centimes ? Combien aura-t-il versé au groupe Hersant Média, aujourd'hui au bord du gouffre ?
Les pouvoirs publics ont également la responsabilité d'accompagner la transition en évitant la rupture. À cet égard, tant que le relais numérique n'est pas assuré, la vente en kiosque demeure incontournable et la chute de Presstalis aurait évidemment constitué une rupture fatale. L'État ne pouvait pas ne pas intervenir, mais, là encore, comment ne pas s'indigner du désastre ? Cela fait bien dix ans que les problèmes sont visibles et la situation dans laquelle nous nous trouvons prévisible. Il faut maintenant en payer le prix, un prix d'autant plus élevé que l'on a trop longtemps mis la poussière sous le tapis et que l'on est aujourd'hui obligé de demander à un État et à des éditeurs plus impécunieux que jamais un effort financier sans précédent.
Non, le secteur de la distribution de la presse ne se prête pas à une concurrence saine et équitable entre deux opérateurs. Oui, Presstalis doit conduire un effort de restructuration majeur, dans un marché dont l'effondrement est inéluctable. Oui, la concurrence entre les deux messageries a fait artificiellement baisser les prix, et les éditeurs doivent aujourd'hui payer un prix plus proche de la réalité des coûts de la distribution car, non, l'État ne pourra pas payer seul.
Quel dommage qu'il ait fallu attendre que Presstalis soit au bord du dépôt de bilan pour feindre de découvrir la situation et tenter d'en tirer les conséquences qui s'imposent. À quoi ont donc servi les états généraux voulus par le Président Nicolas Sarkozy ?
Dès 2009, en effet, le président de l'Autorité de la concurrence, M. Bruno Lasserre, avait rappelé que les conditions d'une concurrence juste n'avaient jamais été remplies sur le marché de la distribution et qu'elles ne le seraient jamais tant que Presstalis aurait à supporter seule les surcoûts spécifiques de la distribution des quotidiens.
Que s'est-il passé depuis ? Les Messageries lyonnaises de presse ont continué, dans les mêmes conditions de concurrence et de pratiques tarifaires, à affaiblir Presstalis, en profitant du transfert de titres de presse magazine et à battre en brèche le principe de solidarité, celui-là même qui justifie que les titres de la presse récréative bénéficient de grandes largesses du contribuable. Aujourd'hui, alors que l'avenir de Presstalis est menacé, les MLP rechignent à contribuer à un effort de péréquation, dont le montant a été établi plutôt a minima.
En outre, alors que l'on est occupé à tenter d'éteindre l'incendie à Presstalis, il ne faut pas perdre de vue que tout cela n'a de sens que s'il reste des diffuseurs au bout de la chaîne. Or ces derniers présentent la particularité d'être à la fois la raison d'être et les grands oubliés de la chaîne de distribution. Leur situation, dont l'amélioration était l'un des objectifs principaux des états généraux de la presse écrite, n'a jamais été aussi mauvaise.
Si l'on peut se féliciter qu'un plan de financement de Presstalis ait pu être proposé in extremis, la question de l'avenir de la distribution de la presse, et de Presstalis en particulier, reste entière. Il faut se rendre à l'évidence, nous ne sommes pas parvenus à faire coexister de manière satisfaisante concurrence, solidarité et régulation dans le secteur de la distribution.
C'est pourquoi deux options s'ouvrent à nous.
La première, idéale, serait de maintenir ou, plutôt, de restaurer le système coopératif et le principe de solidarité. Si tel est le cas, il faudra aller bien au-delà de la péréquation mise en place à l'occasion du plan de sauvetage de Presstalis pour envisager un rapprochement entre les deux messageries.