Mes chers collègues, après avoir longtemps siégé au sein de la commission des Lois, je considère comme un honneur de rejoindre aujourd'hui la belle et prestigieuse commission de la Défense.
La proposition de loi que je vous présente a pour objet de consacrer de façon intangible la dénomination « Voie sacrée nationale » pour la route départementale qui relie Bar-le-Duc à Verdun. Il s'agit d'une initiative de plus de soixante-dix députés des groupes UMP et UDI, reprenant celle de notre collègue sénateur Michel Guerry.
Plus longue et plus meurtrière bataille de l'histoire de la Première Guerre mondiale – 300 000 morts en trois cents jours –, Verdun est devenu le symbole de la résistance et de la ténacité des armées françaises face aux assauts ennemis.
Cette résistance acharnée n'aurait pas été possible sans un acheminement continu vers le front de renforts, de munitions et de matériels. Or, parce qu'elle constituait un saillant des lignes françaises, la place forte de Verdun ne disposait d'aucune voie de communication pouvant supporter un tel afflux d'hommes et de matériels. La Voie sacrée est donc née de cette nécessité. Les chemins sinueux et mal empierrés qui reliaient, sur un peu plus de 50 kilomètres, Bar-le-Duc au carrefour du Moulin brûlé, au sud de Verdun, furent exclusivement réservés aux véhicules automobiles. La voie fut divisée en six cantons et des carrières furent ouvertes tout au long pour jeter en permanence des pierres sous les roues des véhicules.
Le résultat obtenu fut sans précédent. Pendant chaque mois de mars à juin 1916, le trafic a dépassé 500 000 tonnes et 400 000 hommes, sans compter les 200 000 blessés évacués. Comme le souligne une étude sur le sujet, « pendant toute la guerre 1914-1918, on n'a jamais obtenu davantage sur une seule route pendant une durée aussi longue ». Les chiffres sont évocateurs : au plus fort de la bataille, 8 000 véhicules se succédant nuit et jour sur cette route, soit un toutes les quatorze secondes ; des millions de kilomètres parcourus et 700 000 tonnes de calcaire jetées sous les roues de ces convois qui s'enchaînaient sans fin.
Il est donc clair que la Voie sacrée fut l'organe vital, essentiel, qui alimentait la bataille de Verdun. Les observateurs de l'époque en avaient d'ailleurs déjà conscience, y compris à l'étranger : dans le Times du 6 mars 1916, Lord Northcliffe disait à propos de cette route stratégique : « l'efficacité française n'est nulle part mieux illustrée ».
Comme vous le savez, c'est Maurice Barrès qui, le premier, sut dégager le symbole et trouva le nom de cette voie, en référence à l'antique Via sacra romaine menant au triomphe – un triomphe qui, dans ce cas, a coûté de nombreux morts et blessés.
Dès le lendemain de la guerre, en 1919, le conseil général de la Meuse a réclamé le classement de la Voie sacrée dans la grande voirie, qui préfigurait la voirie nationale. La route, jalonnée tous les kilomètres de bornes spécifiques, ornées sur leur flanc d'une palme de laurier et coiffées d'un casque de poilu – ils ne sont plus en bronze car beaucoup ont été volés –, fut inaugurée le 21 août 1922 par Raymond Poincaré. Le 18 octobre 1921 fut déposé à l'Assemblée nationale, au nom du Président de la République, Alexandre Millerand, un projet de loi visant à consacrer, « de manière définitive, le rôle considérable joué par cette voie pendant la guerre ».
La loi fut définitivement adoptée par le Parlement, à l'unanimité, le 30 décembre 1923.
Ainsi que le soulignera plus tard, en 2007, le rapport d'inspection diligenté par le ministère de l'Équipement, le classement au rang de route nationale de la route départementale Bar-le-Duc Verdun « a été prononcé pour des raisons liées à la mémoire » et « non pour des raisons d'intensité du trafic automobile ». Son titre de Nationale Voie sacrée était unique dans le patrimoine national. Bien que ses caractéristiques en termes de circulation n'en fissent pas à proprement parler une route « nationale », la conjonction des deux termes « nationale » et « Voie sacrée » montrait bien sa spécificité.
Cette situation a duré jusqu'au vote de la loi du 13 août 2004, qui a transféré certaines voies nationales dans le réseau des voies départementales. La Nationale Voie sacrée, elle, n'aurait jamais dû être déclassée, mais le législateur n'a pas pris en considération ce cas particulier. Je le regrette, et je considère qu'il s'agit d'une faute historique.
Certes, des oppositions se sont manifestées à ce déclassement, notamment de la part de la mairie de Verdun. Mais le conseil général de la Meuse n'avait pas d'autre choix que d'accepter le transfert. La Voie sacrée reçut donc le nom de route départementale 1916. Le conseil général procède désormais à l'entretien courant de la chaussée, tandis que l'État continue à veiller, aux côtés des collectivités, à la mise en valeur historique et paysagère du site.
Cela n'a pourtant pas mis fin à la mobilisation du maire de Verdun, qui a sollicité de nombreux élus et représentants d'associations patriotiques pour que la Voie sacrée, en souvenir de son histoire si particulière, soit rebaptisée « Voie sacrée nationale ». Pour répondre à cette mobilisation – et sans doute sous l'effet d'une certaine gêne –, le ministère de l'Équipement a diligenté, en 2006, une mission d'inspection pour la préservation de la Voie sacrée, mission qui a proposé que la voie continue à être gérée par la collectivité compétente tout en gardant son titre de « Nationale Voie sacrée » ou de « Voie sacrée nationale ».
Finalement, le Gouvernement a consacré l'appellation « Voie sacrée nationale » par un arrêté interministériel, en date du 18 février 2007, qui précise que cette dénomination est la « seule utilisée dans les documents administratifs » et sur les dispositifs de signalisation routière, au fur et à mesure de leur remplacement. L'affaire devrait donc être considérée comme classée ; malheureusement, cet arrêté n'est pas appliqué par le conseil général.
Je vous propose aujourd'hui de consacrer définitivement cette dénomination par la loi et de clore enfin ces querelles locales très préjudiciables. Certes, dans un premier temps, cette proposition de loi pourrait raviver quelques braises, mais j'ai bon espoir de voir finalement triompher le bon sens et la loi.
Alors que la France vient d'ouvrir les célébrations du Centenaire de la Grande Guerre, il serait dommage de ne pas profiter de cette occasion pour rappeler l'attachement de la Nation tout entière à cette route si glorieuse.
Comme le souligne le général Elrick Irastorza en préface d'un livre consacré à la bataille de Verdun, « dès l'été 2014, tous ceux et toutes celles qui, de par le monde, voudront se souvenir de “Ceux de 14”, auront les yeux et le coeur tournés vers la France, épicentre du conflit. Sans attendre 2016, ils les tourneront inévitablement vers Verdun. »
Le temps est donc venu d'affirmer de manière intangible le caractère national de la Voie sacrée. S'il semble délicat, compte tenu de l'intensité modérée de son trafic automobile, d'ériger à nouveau cette route en route nationale – ce qui serait pourtant à mes yeux la solution idéale –, l'accolement de l'adjectif « national » permettrait de la distinguer, aux yeux des Français et à l'intention des générations futures, des autres routes départementales.
Il ne s'agit en aucun cas d'une démarche partisane, née de la volonté de prendre parti pour telle ou telle collectivité, mais au contraire de la nécessité, à la veille des cérémonies du Centenaire, d'offrir l'image d'une Nation rassemblée autour du souvenir de cette bataille.
S'il ne s'agit pas non plus d'une loi « mémorielle », le vote de ce texte témoignerait de la volonté des représentants de la Nation que nous sommes de prendre pleinement part au cycle de commémorations du Centenaire de la Grande Guerre. Cette proposition de loi n'a pas vocation à diviser, mais bien à perpétuer l'élan unanime qui avait animé les parlementaires lorsqu'ils s'étaient saisis de ce sujet, il y a plus de quatre-vingt-dix ans.
Cette proposition de loi se veut également un hommage symbolique à ceux de 14-18, si bien représentés par les soldats de Verdun. La Nation leur doit bien cela.
En conclusion, monsieur le président, mes chers collègues, je vous demande d'adopter cette proposition de loi.